La fin du monde-FPJQ : Médium saignant
Société

La fin du monde-FPJQ : Médium saignant

La fin de l’année approche, et le merveilleux monde des médias est secoué depuis quelques jours par des mini spasmes inquiétants. Le premier: la décision de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec de ne pas accorder le statut de membres à Jacques Mathieu, Patrick Masbourian et Jean-René Dufort, respectivement rédacteur en chef, et reporters à l’émission La fin du monde est à sept heures.

Les principales raisons invoquées sont les suivantes: les trois individus en question ne travaillent pas pour une entreprise de presse dûment reconnue, et, quand ils sont l’objet de plaintes devant le Conseil de presse, leur producteur, Coscient, répond que La fin du monde est une émission humoristique, et non une émission d’information.

Sur ce dernier point, la FPJQ a entièrement raison. Si les reporters de La fin du monde veulent être reconnus comme journalistes, ils doivent, à leur tour, reconnaître l’existence d’organismes qui font l’objet d’un consensus comme le Conseil de presse. Ce qui ne les empêche pas d’avoir des réserves face à ces mêmes organismes, et de les exprimer le temps venu, si ça leur chante.

Là où la décision de la FPJQ ne tient pas debout, c’est quand son président Michel C. Auger répond que les reporters de La fin du monde ne relèvent pas du service de nouvelles de TQS. A ce compte-là, il y a quelques membres de la FPJQ qui devraient rendre leur carte sur-le-champ. A commencer par Denise Bombardier. En effet, Mme Bombardier anime Au-delà des apparences, une émission hebdomadaire qui relève du secteur des variétés de Radio-Canada, et qui, comme La fin du monde, est produite par un producteur privé, dans ce cas-ci, Avanti. Madame Bombardier anime aussi un quiz, également produit par Avanti, et diffusé sur les ondes de Télé-Québec.

En quoi son travail est-il plus journalistique que celui de Jean-René Dufort?
Carole Vallières aussi est membre de la FPJQ. Or, Mme Vallières, ex-animatrice à Radio-Canada, anime une émission sur les ondes de Canal Vie. Pourquoi aurait-elle droit de posséder une carte de presse?

Enfin, Isabelle Maréchal, elle aussi reporter à La fin du monde, est membre en règle de la FPJQ depuis plusieurs années. Son nom figure d’ailleurs dans le répertoire actuel de la Fédération. A-t-on l’intention de lui retirer sa carte? «Disons que son cas nous a filé entre les doigts, l’an dernier, répond Claude Robillard, secrétaire général de la FPJQ. Ce serait surprenant qu’on lui accorde sa carte l’an prochain si elle travaille toujours pour La fin du monde.»

Quant au cas de Madame Bombardier, il se pourrait que son dossier soit lui aussi réétudié quand viendra le temps de renouveler son adhésion. «Quelqu’un qui n’occupe pas une fonction journalistique ne devrait pas être membre, affirme Claude Robillard. Ceci dit, nous ne faisons pas d’enquêtes, et nous ne regardons pas toutes les émissions de télé qui sont en ondes. Il se peut que des cas nous échappent, et il restera toujours des zones grises. Doit-on accepter tous les cas bizarres sous prétexte que la FPJQ compte une faible minorité de cas qui ne sont pas tout à fait cachers? Je ne crois pas.»

La fin du monde est-elle un cas bizarre; ou incarne-t-elle, qui sait, une nouvelle façon de faire du journalisme? Le débat est loin d’être fini.

L’affaire Lorraine Pagé
Pendant qu’on s’interroge sur le statut professionnel de Jean-René Dufort – dont l’audacieux reportage sur une fille qui a voté cinq fois a fait le tour du Canada anglais, au lendemain des élections provinciales – , nos médias traditionnels continuent de verser dans le sensationnalisme de bas étage.

Dernier exemple? L’affaire Lorraine Pagé.

Samedi matin, la syndicaliste, soupçonnée d’avoir volé une paire de gants dans un magasin La Baie de la Place Versailles, faisait la une du Journal de Montréal. La une, rien de moins.
Plus tard dans la journée, Radio-Canada et RDI (je n’ai pas vu les topos de TVA et de TQS) y allaient à fond la caisse, diffusant un reportage du journaliste Daniel Carrière qui, gonflé à bloc, se promenait dans le stationnement de la Place Versailles, brandissant la une du Journal de Montréal en posant LA question aux passants: «Pis, qu’en pensez-vous?» Du grand journalisme.

Lundi, c’était au tour de J.E. d’en rajouter. A défaut d’avoir obtenu de l’information supplémentaire sur l’affaire, mais rêvant tout de même d’enfoncer le clou, l’émission de ligne ouverte posait la question suivante à ses téléspectateurs: «Avez-vous déjà commis un vol à l’étalage?» Subtil.

Mardi, en première page de La Presse, on pouvait lire un texte sur les systèmes de surveillance pour lutter contre le vol à l’étalage dans les grands magasins. La comprenez-vous?
Bien entendu, tous les médias ont ressorti l’affaire Claude Charron des boules à mite, rappelant qu’à l’époque, le jeune ministre péquiste avait dû démissionner après avoir été arrêté pour le vol d’un veston, au magasin Eaton. On s’est donc empressé de dresser le parallèle, et ce, avant même que des accusations formelles ne soient déposées à l’endroit de Madame Pagé. Du beau travail journalistique: propre, objectif, éthique. Et dire que tout ce beau monde a sa carte de la FPJQ!

Ohayon chez Scully
Vous souvenez-vous de Charles Ohayon? Directeur des programmes à Radio-Canada, il avait dû démissionner en septembre dernier parce que sa relation avec Johanne Forgues, vice-présidente de la maison de production Prisma, le plaçait en situation de conflit d’intérêts.

Dimanche dernier, on pouvait voir la première entrevue de Monsieur Ohayon depuis sa démission. Où? Chez Robert Guy Scully! En effet, c’est Monsieur Information essentielle lui-même qui a eu l’honneur de recevoir l’ex-directeur des programmes dans le cadre d’une autre de ses séries bidon, Les Canadiens du millénaire.

Avant de parler de la télévision de l’an 2000, le beau prétexte, le pauvre Scully n’avait pas le choix: il devait parler du fâcheux épisode. Il a péniblement attaqué, soulignant à quelques reprises que ce n’étaient pas tant les faits qui l’intéressaient (tu parles!) que l’aspect humain de la chose. En effet, Monsieur Ohayon et ses proches ont beaucoup souffert de la pression médiatique (il a comparé sa situation à celle de Bill Clinton!) même si, a-t-il ajouté avec un sourire en coin, «des études démontrent que seulement 15 % des lecteurs lisent les critiques télé et culturelles des quotidiens». Belle mentalité de la part d’un ancien dirigeant de la télévision d’état.

Tout ça pour dire que Monsieur Scully a offert une belle tribune à Monsieur Ohayon qui en a profité pour jouer à la victime. Mieux encore, Scully a comparé la situation à celle du duc de Windsor qui avait renoncé au trône pour l’amour de Madame Simpson. Combien on gage que dans trente ans, l’histoire de Monsieur Ohayon va faire une minute du patrimoine dans les salles de cinéma?