Au printemps prochain, la littérature québécoise sera en vedette au Salon du livre de Paris. Les éditeurs s’entredéchirent pour savoir qui traversera l’Atlantique pour nous représenter. Malheureusement, les écrivains eux-mêmes n’ont pas leur mot à dire. CAROLE DAVID, auteure, a pris la plume pour nous rappeler que derrière les chiffres, il y a des mots…
Depuis plus d’une semaine déjà, les éditeurs, par la voix des journalistes, interviennent publiquement pour discuter de la fameuse LISTE des écrivains qui ont gagné un voyage organisé pour représenter le Québec au Salon du livre de Paris au printemps prochain. Précisons qu’il y a deux listes: la liste des écrivains qui seront là en chair et en os, et la liste des ouvres qui seront vendues dans les librairies pendant ce joyeux printemps.
Les Français pourront donc communier sous les deux espèces. Attention! Un écrivain ne se retrouve pas nécessairement sur les deux listes, mais elles ne sont finalement que l’envers et l’endroit de la même question: «Où en est notre littérature et ceux qui la font?»
Il ne s’agit pas ici de discuter de la pertinence de la présence de tel ou tel écrivain dans cette ultime entreprise de séduction sur le terrain de la Ville lumière, mais plutôt de constater que, jusqu’ici, les éditeurs se sont invectivés en se lançant des chiffres par la tête.
On semble oublier que l’écrivain est celui qui est à l’origine de la chaîne commerciale du livre, et qu’il aimerait parfois avoir son mot à dire. C’est à se demander si l’écrivain existe, une fois son livre terminé! Est-il une espèce en voie de disparition? C’est en tout cas ce qu’il faut en conclure dans cette histoire: les écrivains ont eu très peu de poids dans les décisions prises par les comités et les sous-comités organisateurs de cet événement.
De plus, ils n’ont pas été sélectionnés par leurs pairs, mais surtout par les éditeurs, à partir de critères essentiellement commerciaux. Or, un créateur qui demande une bourse ou qui reçoit un prix est toujours évalué par d’autres créateurs dans son domaine. Pourquoi est-ce différent dans ce cas-là? Pourquoi l’UNEQ (Union des écrivains québécois), dont le mandat est de défendre les auteurs, n’a-t-elle pas pris plus de place que l’ANEL (l’Association nationale des éditeurs de livres) dans le processus de sélection des écrivains?
Agenouillés devant la France
Cette triste affaire révèle également à quel point l’édition québécoise est mal en point.
D’abord, on s’aperçoit que l’écrivain québécois doit encore être reconnu par la France pour avoir une valeur dans son propre pays. Vendra-t-il des livres en France? Les chiffres sont secrets et le sujet, tabou. Les mauvaises langues affirment que les livres édités directement en France sont destinés au public québécois… Celui-ci sera d’autant plus impressionné par un auteur qui publie dans une édition française et achètera en librairie québécoise le livre en question. Il croit ainsi faire un choix éclairé, car les Français auraient élu cet auteur pour l’amour de la littérature… Quand il faut faire un détour en France pour acquérir une reconnaissance (souvent le seul salaire de l’écrivain), on se dit que la logique est un peu tordue.
Cette crise qui secoue le milieu de l’édition permet aussi de se poser quelques questions sur la santé de l’édition québécoise et le silence qui entoure cette entreprise. Quel est le statut de l’écrivain dans le milieu de l’édition? Est-il vraiment considéré autrement que pour sa télégénie et sa capacité à s’exprimer en public? Oubliez les histoires des années soixante comme celle de Réjean Ducharme qui envoie son manuscrit chez Gallimard, sans arrière-pensée, et qui passe comme une lettre à la poste. Cela appartient désormais au folklore québécois. Aujourd’hui, un livre ne suffit plus: il faut être médiatique avant tout.
Quand on examine la liste des écrivains sélectionnés, on s’aperçoit que la plupart d’entre eux ont publié au moins un titre en France, soit en publiant directement dans une maison française, soit en coédition. Pourquoi? Notre réseau d’édition est-il si mauvais que ça? Fait-il si mal son travail que l’on ne veuille pas montrer aux Français les livres que nous publions nous-mêmes?
Mon éditeur me rappelait que Gaston Miron avait refusé de publier dans une maison d’édition française prestigieuse pour diverses raisons dont celle, entre autres, d’affirmer l’autonomie de notre littérature et de ses structures: édition, distribution, diffusion.
Étant de nature pessimiste, j’en suis venue à la conclusion que tous les efforts, les espoirs investis dans ces entreprises n’ont pas donné les résultats escomptés.