Société

le verglas : Pour qui sonne le verglas

Je vous entends déjà: «Ah non! Pas encore! Mais y vont-tu nous sacrer patience avec ça! Ras la casquette des malheurs de la grande métropole!»

Stoppez tout de suite le torrent de justifications qui afflue à vos lèvres. Je sais pourquoi l1empathie des Québécois a cédé le pas à une éc¦urite aiguë. Et je n1en suis même pas fâchée, je comprends la frustration des gens de mon ancienne ville d1adoption pour l1avoir déjà < et souvent < partagée. La capitale qui n1a plus de capitale que le nom, l1exode des jeunes, l1érosion de l1État, le nombrilisme des médias… Et tutti quanti… Tout pour Montréal, quoi!

Alors vous pourrez peut-être imaginer que moi, pendant le verglas, j1ai tenu le rôle de Montréal la Terre promise alors que tout le Québec débarquait chez moi, mon horrible Bertha au gaz (dont tous se moquaient en d1autres temps) assurant la sécurité calorifère de mon logis.

Heureuse élue que j1étais. Alors que l1île s1éteignait, prenant peu à peu l1allure d1une ville assiégée, je continuais à me prélasser dans mon bain. Imaginez la jalousie de vos amis, voisins et familles sur qui la foudre vient de s1abattre (ce n1est pas un jeu de mots) et qui vous observent, bien au chaud, siroter un verre de vin rouge cheap que le resto du coin vous a refilé sous la table because les circonstances.

Alors imaginez que Bertha, dont la ronflante fiabilité vous a mis à l1abri de l1incompétence d1un célèbre col roulé, invite par le fait même tous les sinistrés ayant redécouvert un certain lien d1amitié avec vous…

Et voilà qu1arrivent votre s¦ur et son indomptable dalmatien, tous deux traumatisés par cinq froides nuits passées à mâchouiller des toasts au Cheeze Wiz dans un sombre sous-sol de Boucherville. Et voilà un tel qui quête quelques pieds carrés où étendre son sac de couchage. Et voilà l1autre qui donnerait son âme pour une douche chaude.

Remarquez, vu de l1autre bord, le portrait n1est pas plus reluisant. Des réfugiés se sont battus dans les centres d1hébergement et votre propre mère est forcée de se taper les jérémiades de votre grand-tante lavalloise pendant 11 jours. Et pour votre part, quand le climat vous pousse à fuir vers une capitale paisiblement ensevelie sous la neige, c1est pour entendre vos ex-collègues se plaindre de l1inextinguible couverture télévisuelle de l1événement: «Tu regarderas au canal machin, le festival de la bûche!» J1ai regardé le canal machin. Une campagne de Vision mondiale version arctique. Ce sont des psychologues et non des sacs de couches qu1il aurait fallu envoyer par camions entiers pour calmer la psychose collective…

Le verglas, c1était ça. Autant que les pylônes transformés en ¦uvres d1art contemporaines, autant que les pas de l1armée résonnant sur le pavé glacé, autant que les veaux, vaches, cochons, couvées morts gelés.

Le verglas, c1était un rallye pour découvrir le dernier commerce capable de vous vendre du café chaud ou des bougies. C1était une série d1appels, pendant une nuit insomniaque, pour trouver l1imbécile de votre c¦ur qui a eu la bonne idée de traverser le centre-ville alors que la radio raconte les blocs de glace de deux tonnes qui tombent sur la gueule des passants.

Un champ de bataille sur un gros tas de bûches.

Le fil de notre vie aussi emberlificoté que ceux d1Hydro.

Le verglas, c1était encore et surtout un éternel party de Noël sans dinde chez matante Gertrude. Alors, si vous craignez le 24 ou le 31, imaginez le verglas…