La corruption et la famille olympique : Les seigneurs des anneaux
A la suite des accusations de corruption qui touchent la ville hôte des Olympiques d’hiver de 2002, la planète entière crie au scandale, à commencer par les chantres de Québec 2002, qui songent même à poursuivre le Comité international olympique. Pourtant, de telles allégations ne datent pas d’hier.
Depuis les révélations du vénérable membre du Comité international olympique (CIO) qu’est Marc Hodler, l’organisme qui aime bien se comparer à une grande famille n’en finit plus de se faire éclabousser. Salt Lake City, Atlanta, Nagano et Sidney, pour n’en nommer que quelques-unes, auraient usé de tactiques déloyales pour obtenir les jeux tant convoités. Pendant que, dans la Capitale, les organisateurs de Québec 2002 ont semblé tomber des nues, un ancien directeur des communications du comité de Salt Lake affirmait candidement: «Presque tous les membres du CIO sont venus ici et ont reçu des cadeaux qui valaient bien plus que la limite permise. Tous nos invités ont été très, très bien traités.»
A moins que l’on soit naïfs, toutes les «révélations» des dernières semaines n’ont rien de bien nouveau, comme on peut le constater dans la revue de presse et de littérature qui suit, constituée uniquement d’extraits publiés avant le scandale, certains remontant jusqu’en 1972.
«Un groupe de Toronto entreprend aujourd’hui une campagne internationale de quarante millions de dollars pour tenter d’obtenir que les Jeux olympiques d’été de 2008 se tiennent dans la Ville-Reine. (…) Le groupe fréquentera les rencontres olympiques et sportives qui se tiendront un peu partout dans le monde afin de tenter de convaincre les membres du comité. Ils les inviteront également à venir à Toronto, toutes dépenses payées.»
– Presse canadienne, 1er juin 1998.
«Pour tirer un avis favorable de ce cercle de tout-puissants, c’est à un coûteux travail de séduction qu’un pays ou une fédération sportive doit consentir. Quand il en coûte des millions de dollars pour convaincre cinquante décideurs, on est aux portes de la corruption caractérisée.»
– Laurent Laplante, Le Soleil, 10 août 1996.
«Le magazine allemand Der Spiegel affirme que quinze délégués du comité olympique avaient accepté d’accorder leur vote à Atlanta, où ont eu lieu les Jeux d’été de 1996, en échange d’argent comptant, de cartes de crédit, de soins médicaux et de bourses d’études universitaires.»
– Presse canadienne, 1er juin 1998.
«Le rapport de la commission de la culture et de l’éducation du Conseil de l’Europe (…) vilipende "la tactique purement et simplement méprisable adoptée par les autorités de Berlin pour les Jeux olympiques de l’an 2000". Présenté hier, le texte fait allusion à un scandale qui avait éclaté l’été dernier après qu’il eut été établi que l’entreprise de relations publiques engagée par les autorités de Berlin avait constitué un fichier sur les personnes chargées de prendre la décision sur le lieu des J.O. de l’an 2000. Ce fichier comportait notamment des détails sur la vie privée de ces personnes qui auraient permis éventuellement de faire pression sur elles.»
– Le Devoir, 1er octobre 1992.
«Vous savez, tenter d’obtenir les Jeux ne ressemble à rien de ce que je connaisse. Sauf, peut-être, à la séduction d’une jolie fille. Les candidats usent d’approches subtiles, offrent des petits cadeaux. Les Japonais étaient devenus maîtres de cet art, offrant de très jolis bibelots. Le règlement du CIO interdit désormais à ses membres d’accepter des cadeaux d’une valeur supérieure à cent dollars. Mais les membres sont toujours conviés à des repas bien arrosés et se font payer des billets aller-retour pour visiter les villes candidates. Pour certains d’entre eux, ces voyages constituent la chance de leur vie.»
– Douglas Roby, membre du CIO à l’époque, cité dans William O. Johnson Jr, All That Glitters Is Not Gold, Putnam, 1972, p. 276.
«Vous croyez avoir déjà vu de la politique? Assistez à une réunion du CIO. Les Russes menaçaient de boycotter Munich si les Allemands ne votaient pas pour Moscou. Le général Clark nous a dit qu’il devait voter pour la Russie au premier tour parce qu’ils lui avaient promis de voter pour lui à la succession d’Avery [Brundage] comme président du CIO l’année suivante. Et il y a eu la tragédie avec l’Afrique noire: ils nous ont demandé de promettre de répudier l’Afrique du Sud et la Rhodésie s’ils votaient pour Los Angeles.»
– Ibid., p. 286.
«Parallèlement à la campagne officielle, les bruits les plus fous circulent. Amsterdam accuse des membres africains du CIO de vendre leur voix, mais offre à leurs épouses de précieuses porcelaines du XVIIIe siècle. Certains membres et leurs proches font plusieurs fois le tour du monde aux frais des villes candidates sous le prétexte de les visiter. Après l’élection, les auditeurs du gouvernement allemand critiquent sévèrement la structure de dépenses du comité de Berchtesgaden et notent, en passant, que les frais d’un bref séjour sur place d’un membre du CIO et de sa famille s’élèvent à plusieurs milliers de deutschemarks.»
– Jean-Loup Chappelet, Le Système olympique, Presses universitaires de Grenoble, 1991, pp. 243-244.
«Il a été estimé que près de 130 millions de dollars furent dépensés par les treize villes candidates de 1992. Conscient que ces sommes auraient pu être consacrées plus directement au sport, le CIO tenta de freiner les dépenses futures en limitant visites, réceptions et expositions. Mais il ne remporta que peu de succès pour les Jeux de 1996.»
– Jean-Loup Chappelet, op. cit., p. 246.
«A Budapest (…) [Samaranch] a remis à l’ambassade d’Espagne une horrible statue de Don Quichotte qu’on lui avait offerte, et s’est demandé comment se débarrasser du service à thé en argent dont un représentant indonésien lui a fait cadeau: "Ce type veut entrer au CIO, d’où ces cadeaux qu’il me fait. Il exagère. De plus, il n’a pas bon goût."»
– J. Boix, A. Espada et R. Pointu, Juan Antonio Samaranch, L’héritage trahi, Romillat, 1994, pp. 125-126.
«Le CIO n’a jamais prétendu être une organisation diplomatique. Cela ressemble à un club britannique. C’est une organisation fermée à qui n’en est pas membre, mais, à l’intérieur, elle est gérée démocratiquement.»
– Dick Pound, membre canadien du CIO, cité dans Vyv Simson, Andrew Jennings, Main basse sur les J.O., Flammarion, 1992, p. 300.
«[M. Mains Baladeuses] s’est approché de deux hôtesses de Falun et fut repoussé à chaque fois.(…) Il s’est essayé avec une troisième, de façon plus insistante. Il l’a coincée dans l’ascenseur, et a formulé une demande qu’on entend presque à chaque campagne de candidature: Enlève tes vêtements et je vote pour ta ville. Don’t, and I won’t.»
– Ibid., p. 131.
«Le Kenyan Charles Mukora et le Français Jean-Claude Killy sont directeurs chez Coca-Cola dans leur propre pays. Parmi les autres membres du CIO qui figurent sur la liste de paie d’entreprises partenaires, il y a le Portoricain Richard Carrion, un directeur chez Visa International en Amérique latine et l’Israélien Alex Gilady, vice-président aux sports chez NBC, qui prend toujours part aux négociations de contrat de la compagnie de télévision avec le CIO.»
– Ibid., pp. 58-59.
«David Sibandze [membre du CIO] nous a demandé si on pouvait faire inscrire son fils dans une université suédoise, de préférence celle d’Uppsala. Lorsqu’on a réussi à régler la question, Sibandze en fut informé. Ce n’est que plus tard que nous avons appris que toutes les villes candidates avaient reçu la même requête.»
– Lars Eggertz, leader de la candidature de Falun, en Suède, cité dans Andrew Jennings, ibid., p. 126.
«33 millions de livres ont été dilapidés pour s’assurer les voix de 43 membres sur les 85 d’une oligarchie connue sous le sigle de CIO.»
– The Observer, Londres, à propos du choix de la ville hôte des Jeux de 1992, cité dans Vyv Simson, Andrew Jennings, ibid., p. 311.
«Le président du CIO [Samaranch] expliqua à ses compatriotes que la qualité de la candidature était loin de suffire, qu’elle était presque accessoire, l’important étant de réserver à chacun de ses collègues un traitement personnalisé. A celui-ci, amateur d’opéra, on ménagea une entrevue avec Placido Domingo. A celui-là, philatéliste, on offrit des timbres rares. »
– Ibid., pp. 155-156.
Et vous croyez qu’il suffira de quelques démissions pour changer tout ça???