Société

Pas vu pas pris : L’arroseur arrosé

Pas vu pas pris, le film-choc de PIERRE CARLES sur la collusion entre la politique et la télé, fait un tabac au Cinéma Parallèle. Mais plusieurs observateurs restent sceptiques, et dénoncent les moyens pas très catholiques du réalisateur. Carles serait-il aussi manipulateur que ses victimes?

L’histoire commence par un beau jour d’été, en 1994. En attendant son passage en direct au journal télé, François Léotard, alors ministre de la Défense, bavarde avec Étienne Mougeotte, vice-président de TF1. Il y a des caméras, des micros et, justement, ils sont en marche. La conversation de ces vieux amis, qui sont à «tu» et à «toi», tombe dans les magnétoscopes de pirates des ondes, et peu de temps après, le scandale éclate. Le Canard enchaîné titre: «Léotard balance des secrets d’État par satellite», puis: «Encore heureux qu’il n’ait pas livré le code secret de l’arme nucléaire!»

Mais, curieusement, la télé ne parle pas de l’affaire.
Curieux, en effet, se dit un certain Pierre Carles qui connaît bien le milieu de la télé pour y travailler régulièrement, et qui est déjà doté à l’époque d’une réputation d’agitateur. Profitant d’une commande de Canal +, Carles se lance dans ce qui deviendra Pas vu à la télé, un document d’une douzaine de minutes sur la connivence entre les médias et le pouvoir. Aidé par son ami Hector Obalk, il part à la rencontre de quelques vedettes du petit écran, histoire de recueillir leur avis. Résultat: toutes ou presque sont mal à l’aise; c’est du moins ce qui ressort du sujet une fois monté. Pierre Carles traque les contradictions, les hésitations, le double langage des journalistes-vedettes et il semble dévoiler une vaste conspiration: à savoir qu’on peut tout dire à la télé, tant que cela ne touche pas ceux qui la font.

Carles semble avoir tellement raison sur la solidarité des gens de télé que son sujet ne passe pas sur Canal +. «Censuré», comme le titre un article du Monde à l’époque. Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Se doutant de quelque chose, Carles avait pris le parti d’enregistrer toutes ses conversations téléphoniques concernant Pas vu à la télé, tout en se filmant lui-même. On entre alors dans le film du film, et dans ce qui deviendra Pas vu pas pris, qui sortait au Parallèle le 29 janvier.

Et ce n’est pas tout: Carles prépare actuellement le film du film du film, Enfin pris, qui racontera la sortie en salle de Pas vu pas pris, et l’agitation médiatique qui en découle!

Car il s’en est passé des choses depuis la sortie du film en France, mi-novembre.

Couac couac
L’ami et collaborateur de Carles au moment de la réalisation de Pas vu à la télé, Hector Obalk, s’est élevé publiquement contre le film qu’il dénonce aujourd’hui comme une manipulation.

Revenons au début: le point de départ de toute l’histoire est la bande Mougeotte-Léotard, qui, selon Le Canard enchaîné, était explosive puisqu’on pouvait y voir un ministre important révéler des secrets d’État à une vieille connaissance, qui était aussi le patron d’une des plus grandes télés de France. Or, quels secrets d’État? Obalk les a cherchés, il ne les a pas trouvés. Un peu étonnés, Carles et lui sont allés interroger Claude Angeli, le patron du Canard enchaîné, qui fut bien forcé d’admettre qu’il n’y avait finalement rien d’explosif dans cette bande. «Angeli a reconnu que son journal avait commis une erreur, raconte Obalk. Pour moi, cette erreur est une faute diffamatoire grave. Il m’a dit qu’il ne fallait pas prendre ça comme ça, qu’au Canard on est des bons vivants… Ce retournement de situation me paraît très bon pour l’enquête.»

Or, Pierre Carles décide contre toute attente de ne pas intégrer l’entrevue d’Angeli dans son film! Pourtant, cette confession aurait apporté une force supplémentaire à Pas vu pas pris. Cela aurait révélé toute l’absurdité de la situation en montrant que tout le monde s’énerve à propos d’une cassette…vide! Car si on enlève les secrets d’État, il ne reste plus que le spectacle de la camaraderie de deux hommes qui se connaissent depuis longtemps, et la défense feutrée des intérêts d’une chaîne de télé par l’un de ses dirigeants. C’est-à-dire rien. Et tout le monde est d’accord là-dessus.

Obalk dénonce également les effets mensongers de montage. Un exemple: pendant le film, un des journalistes interrogés, Charles Villeneuve, s’énerve subitement et exige qu’on arrête l’entrevue. Qu’a-t-il à cacher? Rien, mais justement, le film ne le montre pas: Villeneuve s’énerve parce qu’Hector Obalk lui a demandé si son patron ne serait pas coupable de «trafic d’influence» en défendant sa chaîne auprès d’un ministre, ce qui est un délit aux yeux de la loi française. Pas étonnant que le journaliste refuse de répondre…

Pour certains journaux, Pierre Carles est un héros des temps modernes, le seul journaliste qui ait le courage de dire la vérité vraie, quelles qu’en soient les conséquences. Mais la réalité est peut-être moins belle. Quand on l’interroge, Carles dit qu’il considère son brûlot non comme un documentaire, mais comme comme une fiction aux effets-vérités surprenants: «Il ne faut pas tomber dans le panneau de croire que c’est un documentaire. (.) La vérité est dans la recréation des choses. Dans ce film, il y a tout un tas d’artifices, un travail de recréation, mais qui vise à toucher certaines vérités ou réalités.»

Pour Carles, tous les moyens sont bons pour trouver la vérité. Mais quelle vérité? Que la vie en groupe impose des contraintes? Qu’on ne peut pas tout dire tout le temps? Pour le brûlot, on repassera…

Pierre Carles et Hector Obalk ont débattu publiquement de leurs divergences sur le site de Chronic’Art (www.chronicart.com/carles/obalk.htm).
Consultez aussi le site de l’association Pour voir Pas vu (www.pvpv.org).