C’est le temps des impôts! Comme chaque année, le gouvernement fédéral utilisera une partie de vos impôts pour financer l’armée canadienne et acheter des armes. Mais vous pouvez refuser de participer à l’effort de guerre. DOMINIQUE BOISVERT, objecteur de conscience et journaliste à la revue Relations, nous explique ce qu’il en est.
Accepteriez-vous de vous enrôler dans l’armée? Si oui, pas de problème: l’objection de conscience fiscale n’est pas pour vous. Mais si vous refuseriez de faire la guerre, alors il est bien possible que la suite vous intéresse.
La guerre, de nos jours, se fait de moins en moins avec des bras, et de plus en plus avec de la technologie. On l’a bien vu encore récemment en Irak: les soldats sont remplacés par des «missiles intelligents». Si bien que les armées ont bien davantage besoin d’argent que de militaires, à la fois pour la recherche de pointe et l’achat d’armement toujours plus sophistiqué.
C’est pourquoi l’objection de conscience, qui était traditionnellement le fait d’individus refusant, par convictions religieuses ou éthiques, de servir dans l’armée, s’est graduellement transformée en objection de conscience fiscale: refuser de payer pour qu’on fasse, en notre nom et grâce à nos impôts, ce que nous refuserions de faire nous-mêmes si on voulait nous conscrire.
Une longue tradition
Le mouvement des «impôts pour la paix» a débuté, au Canada, à Victoria en 1978. Des quakers (groupe de tradition protestante depuis toujours opposé à la guerre) ont mis sur pied un «Fonds pour la paix» dans lequel les objecteurs de conscience canadiens pouvaient verser, en fiducie, la portion militaire de leurs impôts qu’ils refusaient de payer au gouvernement fédéral. A partir de 1987, un mouvement semblable s’organisa au Québec, sous le nom de «Nos impôts pour la paix». Depuis vingt ans, plusieurs centaines de Canadiens ont ainsi refusé de participer à la guerre.
Pour les objecteurs de conscience, le dilemme est annuel: désobéir à la loi de l’impôt ou désobéir à sa conscience? En tant que citoyens, ils tiennent à payer toute leur part de la cagnotte collective que sont les impôts, mais leur conscience leur interdit de payer pour la guerre ou ses préparatifs.
Et ce choix moral ne date pas d’hier! Le Canada reconnaît depuis 1793 le droit de s’opposer au service militaire. Au début, l’État obligeait les objecteurs de conscience à payer une taxe spéciale pour remplacer leur service militaire, mais il a finalement accepté que cette taxe soit consacrée exclusivement à des fins non militaires. D’ailleurs, même durant les deux guerres mondiales, le Canada a reconnu l’objection de conscience et a émis, à l’intention des Églises pacifistes et des objecteurs de conscience, une série spéciale de «Bons de la Victoire» dont les revenus seraient exclusivement consacrés à soulager les souffrances des populations civiles, plutôt que de servir à financer l’effort de guerre.
Depuis sa création, le mouvement canadien des «Impôts pour la paix» a cherché, par divers moyens, à obtenir du gouvernement fédéral un mécanisme officiel permettant aux objecteurs de conscience de respecter à la fois la loi et leur conscience. On a contesté la loi devant les tribunaux, effectué un lobby intensif auprès des politiciens, et déposé des projets de loi privés en Chambre, comme le projet de loi C-272 (voir encadré).
L’objection de conscience fiscale est également pratiquée, depuis de nombreuses années et de manières diverses, dans plusieurs pays du monde. Aux États-Unis, le refus de payer ses impôts militaires a donné lieu à toutes sortes d’affrontements, parfois spectaculaires, entre les objecteurs de conscience et l’Internal Revenue Service. En Italie, par contre, après plusieurs procès intentés par le gouvernement contre les objecteurs de conscience, on semble être parvenu à une quasi-reconnaissance de facto.
La huitième Conférence internationale des impôts pour la paix se tiendra d’ailleurs à Washington à l’été de l’an 2000, après celle de Londres en 1996, et celle de New Delhi en 1998.
Que faire et pourquoi?
Personnellement, comme plusieurs autres objecteurs de conscience, j’envoie depuis des années mes impôts militaires au «Fonds pour la paix». Les raisons d’agir ainsi peuvent être multiples: pour certains, c’est d’abord une question individuelle de conscience; pour d’autres, c’est aussi une contestation de l’armée et du gaspillage de ressources que représentent les dépenses militaires. Plusieurs objecteurs de conscience militent activement en faveur de moyens alternatifs pour résoudre les conflits, tant au plan national qu’international. Certains vont jusqu’à promouvoir, avec des arguments de poids, l’idée d’un Québec sans armée.
Jusqu’ici, les objecteurs de conscience canadiens ont maintenu une attitude de dialogue avec le gouvernement dans le but d’en arriver à une solution mutuellement acceptable. Et le gouvernement, qui considère les impôts versés au «Fonds pour la paix» comme des impôts impayés, s’est contenté, dans l’immense majorité des cas, d’envoyer des rappels périodiques additionnés d’intérêts, ou de se servir en passant lorsqu’il devait de l’argent à un objecteur de conscience (crédit d’impôt pour la TPS, etc.).
Dans quelques rares cas, où les objecteurs de conscience continuaient de refuser de payer des montants devenus importants, le gouvernement a saisi les sommes «dues» à même les comptes en banque ou les salaires.
Le Canada consacre entre 7 et 8 % de son budget aux dépenses militaires. Pour s’opposer à cette complicité forcée avec la guerre et ses préparatifs, plusieurs moyens peuvent être utilisés:
– Apposer, sur votre rapport d’impôt, un autocollant affirmant: «C’est contre ma conscience de payer pour la guerre»;
– Écrire au ministre fédéral des Finances et à celui de la Défense pour vous opposer à ce qu’une partie de vos impôts soit utilisée pour des fins militaires;
– Écrire à votre député fédéral pour demander l’établissement d’un Fonds pour la paix;
– Lorsque vient le temps de payer vos impôts, soustraire un montant symbolique (ou le plein pourcentage de la portion militaire) en signifiant aux ministres concernés les motifs de votre refus;
– Ou payer vos impôts en deux chèques séparés, en demandant que le chèque pour la portion militaire soit versé à un «Fonds pour la paix».
Alors, cette année, enverrez-vous «votre p’tit 8 %» pour la guerre ou pour la paix?
Pour en savoir plus, vous pouvez communiquer avec le Centre de ressources sur la non-violence, situé au 420, rue Saint-Paul Est.
Téléphone: 844-0484.
Courriel: [email protected].
Le projet de loi C-272
Le 3 novembre 1997, le député Svend Robinson a présenté le projet de loi C-272. Ce que ce projet de loi propose est fort simple: le gouvernement autoriserait les objecteurs de conscience à verser dans un compte spécial, à l’intérieur du Fonds consolidé, la part militaire de leurs impôts; en échange de quoi le gouvernement ferait rapport chaque année au Parlement du nombre d’objecteurs de conscience enregistrés, du montant total des impôts concernés; et certifierait qu’aucun montant du compte spécial n’a été utilisé à des fins militaires. Mais ce projet n’a pas encore été accepté…