Les prêtres catholiques gais : La communion des corps
Société

Les prêtres catholiques gais : La communion des corps

Après des décennies de silence, les prêtres catholiques gais amorcent à leur tour leur libération. Fini, l’isolement: ils se réunissent au vu et au su de leurs supérieurs, et ils ont même fondé une association! Trois d’entre eux nous en parlent…

«Quand j’avais douze ans, je jouais à la messe dans le garage du chalet de mes parents», raconte Jean. Maintenant, il n’y joue plus, il la célèbre. Prêtre en banlieue de Montréal, Jean ressemble à tous les hommes qui approchent de la soixantaine. Hergé, lui, est prêtre depuis quinze ans dans la région de Québec. Il a été sur le marché du travail pendant cinq ans avant d’entendre «l’appel de Dieu».

Ces deux prêtres (les noms utilisés dans ce texte sont des pseudonymes) ne se connaissent pas, mais ils ont une chose en commun: ils sont gais.

«Je sais que je suis gai depuis tout le temps, raconte Jean. Je dirais même que mon attirance pour les hommes a toujours été là, dès mon très jeune âge.»

Tout comme Hergé, Jean le savait sans vouloir se l’avouer. Leur entrée en religion s’est donc faite avant qu’ils n’acceptent leur homosexualité. «Après mon ordination, c’est devenu invivable, je ne pouvais plus nier cette vérité qui était en moi, dit Hergé. Ça me faisait souffrir énormément, mais je sentais que c’était vraiment mon identité et que je ne pouvais plus la fuir. J’ai donc essayé de vivre la phrase: la vérité vous rendra libre.»
Confiant que Dieu l’avait choisi en sachant pertinemment qu’il était gai, Hergé a continué son cheminement d’acceptation de son homosexualité. Pour Jean, le questionnement a été plus profond. «Trois ans après avoir été ordonné, je suis allé voir un psychiatre, un père jésuite. Ce que j’ai retiré de ces rencontres, c’est que je devais continuer. Je suis passé à travers, et je suis resté moi-même. Mon christianisme n’avait pas à être lié à des règlements humains émis à une époque X.»

Tous les deux vivent aujourd’hui très bien le fait d’être prêtres et gais. Leurs familles sont au courant, leurs amis aussi (Hergé dit même qu’ils ont considéré son ouverture comme un cadeau, une forme de confiance). Même leurs supérieurs le savent…

«Je connais un prêtre qui a dit à ses paroissiens qu’il était gai, raconte Jean, et ils l’ont très bien accepté. Certains disent même qu’il est meilleur prêtre depuis qu’il leur en a parlé. Je trouve que ce serait merveilleux d’en arriver là, mais ma paroisse est plutôt homogène et ça pourrait faire plus de tort que de bien. Quand j’arrêterai d’être curé de paroisse, j’aimerais aller travailler avec les sidéens pour pouvoir m’ouvrir…»

De son côté, Hergé dit qu’il ne se cache plus, qu’il commence à répondre «Oui» quand on lui demande s’il est gai, et que bientôt, il acceptera de serrer dans ses bras ou d’embrasser son conjoint en public.

La tentation de la chair
Hergé voit l’abstinence comme un chemin valable, mais peu fréquenté. Il croit qu’une très grande majorité des prêtres, gais ou non, voient la chasteté comme une valeur qui se vit surtout dans le cour… «Le sacerdoce, le mariage et la vie amoureuse, ce n’est pas inconciliable», dit-il. Jean va plus loin: «J’espère que pour le bout de temps qu’il me reste à vivre, j’aurai quelqu’un à côté de moi! Il faut être honnête avec ce qu’on est, même si ça ne respecte pas les règles. Actuellement, en Afrique, il y a des prêtres qui vivent avec des femmes, et c’est su et toléré… Toute personne équilibrée a besoin d’une vie sexuelle. La chasteté au sens sexuel du terme est la chose la plus inhumaine que l’Église nous demande!»

Une vision des choses qui semble être partagée par bon nombre de prêtres. En effet, dans une étude américaine publiée il y a quelques années sur la sexualité des prêtres gais, on apprend que sur les cent un prêtres qui ont accepté de témoigner, un seul n’avait jamais eu de rapport sexuel depuis son ordination. Pour le reste, un tiers en avait eu rarement, un autre tiers à l’occasion, et le dernier tiers plus fréquemment. Pour la très grande majorité de ces prêtres, ces rapports se vivaient avec un conjoint régulier.

Plus jamais seul
Si Jean et Hergé ont pu effectuer ce cheminement personnel, c’est un peu grâce à un groupe unique en son genre: AGAPE. L’Association Gaie Anonyme pour Prêtres Exclusivement est née en 1993. «J’ai eu un accident qui m’a obligé à rester alité et c’est là que j’ai décidé de faire quelque chose, raconte Émile. J’ai profité de ma convalescence pour fonder AGAPE avec un ami. Ça faisait trente ans que j’accompagnais des prêtres dans leurs retraites, et ceux qui étaient gais vivaient beaucoup de solitude et de peurs. Il y a une tendance dans les évêchés à cacher les problèmes sous le tapis et à envoyer ceux qui dérangent dans une "Sibérie ecclésiastique"…»

L’initiative a porté fruit: aujourd’hui, le groupe a une succursale à Québec, une autre à Montréal, et attire des prêtres venus d’aussi loin que les Maritimes, l’Ontario et même le Nord des États Unis. L’association compte maintenant environ quatre-vingts membres réguliers et a accueilli, depuis ses débuts, plusieurs centaines de prêtres gais!

Émile dit que le groupe est connu et accepté par les évêques. «Ils devraient même s’en réjouir! Sortir du placard, c’est comme naître à nouveau, affirme-t-il. Il y a des prêtres qui arrivent à l’association heureux de briser leur isolement, mais aussi d’autres qui pensent au suicide. Avant de s’accepter, les gens vivent dans la peur, la crainte et la stérilité. Un gai qui s’accepte a pourtant un potentiel de fertilité incroyable pour la paternité spirituelle, la créativité… Quand leur curé s’accepte, les paroissiens se rendent compte qu’il est plus heureux, plus près de ses sentiments, plus à l’écoute.»

Hergé, qui a fondé la succursale de Québec, abonde. «Je suis meilleur prêtre depuis que je m’accepte comme gai. J’ai beaucoup souffert avant de vivre cette dimension de ma personne, et ceci m’amène à être très compatissant dans mon ministère, surtout auprès des marginalisés.»

Encore loin du miracle
Le catéchisme est assez clair: «La tradition a toujours déclaré que les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés… Ils ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas.» Mais dans un même souffle, un paragraphe plus loin, il affirme: «Ils [les gais] ne choisissent pas leur condition homosexuelle… Ils doivent être accueillis avec respect, compassion et délicatesse.»

«Actuellement, l’Église manque le bateau, croit Jean. Je ne suis pas du tout d’accord avec le pape au sujet de l’homosexualité. Pour moi, le véritable péché, c’est le manque d’amour et de respect. Saint Augustin a dit: "Aime et fais ce que tu veux." C’est ce qu’il faut faire, mais en aimant vraiment!»

Même son de cloche du côté d’Hergé. «J’ai au cour un seul désir, celui de vivre vrai dans ce que je suis. Peut-être que je me trompe, mais Dieu est miséricordieux…»

«Le pape, c’est mon coach pour les "olympiades éternelles", dit Émile. Il me donne des recettes, des suggestions, mais en bout de ligne, c’est moi qui décide pour ma vie.»

L’hypocrisie de l’Église va plus loin que dans la seule doctrine. Actuellement, les membres d’AGAPE représentent environ 2 % des prêtres catholiques du Québec, mais selon plusieurs études, 20 % des prêtres seraient gais. Même la revue L’Actualité religieuse dans le monde a publié un texte citant ce chiffre. En plus d’être aveugle aux besoins de ses paroissiens gais, l’Église ne reconnaît pas ses propres prêtres qui le sont. Ce qui n’empêche pas les gais de poursuivre leur affirmation, la société d’évoluer, et les prêtres de se dissocier de plus en plus de certaines doctrines dépassées.

Et pendant que le fossé se creuse, certains, comme Jean, tendent des perches. «Quand il y a de l’amour, c’est ça qui est important. Je ne vois donc pas pourquoi on refuse encore le mariage gai…»

AGAPE Québec: (418) 682-2860
AGAPE Montréal: (514) 682-2860
Site Internet: members.xoom.com/agape1