En 1898, dans La Guerre des mondes, l’auteur H.G. Welles imagina une invasion de la Terre par des Martiens. Cent un ans plus tard, c’est l’inverse: un groupe d’humains veut envahir Mars. Pas en 2080, mais dans vingt ans! Réservez votre billet…
Vous ne le savez peut-être pas, mais pendant que vous lisez ces lignes, des milliers de gens disséminés aux quatre coins du monde tentent d’amasser des fonds pour construire une immense station spatiale dans… l’Arctique canadien, sur l’île Devon, plus exactement. Si tout va bien, ils commenceront la construction de ce projet évalué à un million de dollars US l’an prochain.
Cette station de deux étages, qui abritera une équipe d’ingénieurs et de scientifiques, et qui fonctionnera à l’énergie solaire, comprendra des bureaux, des entrepôts, une salle à manger, un dortoir, et un garage rempli de véhicules tout-terrains, de machinerie lourde et d’instruments de forage. Les hommes et les femmes qui vivront dans cette station expérimentale seront complètement coupés du reste du monde: ils devront recycler leur eau, faire pousser leurs légumes, etc.
Le but de ce projet grandiose? Ni plus ni moins que préparer la prochaine colonisation de la planète Mars qui, selon ces passionnés d’astronomie et de science-fiction, devrait débuter autour de 2020.
«Nous avons choisi le Grand Nord canadien car c’est le paysage qui ressemble le plus à la surface de la planète rouge, déclare Robert Zubrin, initiateur du projet. Il y fait extrêmement froid, la terre est sèche, et il y a des cratères partout…» Seule différence: l’atmosphère de Mars est cent fois plus mince que celle de la Terre. Mais, bof, c’est un détail…
Objectif Mars!
Ingénieur aéronautique travaillant au Colorado, Robert Zubrin rêve de la planète Mars depuis sa tendre enfance. En 1996, cet ancien professeur de sciences a écrit The Case for Mars, un essai qui a connu un succès phénoménal auprès des cracks d’astronomie et d’ingénierie spatiale. Dans ce livre-culte, Zubrin affirme que la planète Mars est à la portée de nos mains, et que nous pourrions la coloniser en moins de dix ans.
Le programme de Zubrin s’inspire librement du célèbre Rapport de 90 jours commandé par George Bush en 1989 (voir encadré). Il coûterait vingt milliards de dollars au départ, plus deux milliards par mission – une aubaine… Il permettrait à l’Homme de construire une immense station sur Mars, une sorte de «maison secondaire» de la race humaine, qui pourrait accueillir une poignée de chanceux advenant la destruction de notre planète.
Lors de la sortie du livre, les théories de Zubrin semblaient tirées par les cheveux, et relever davantage de la science-fiction que de la science. Mais en juillet 1997, la sonde Pathfinder toucha le sol de la planète rouge, et Mars redevint soudainement à la mode. En trente jours seulement, le site Internet de la NASA enregistra plus de 556 millions de hits. «Cela m’a encouragé à aller plus loin», dit Zubrin. Et plus loin il alla. C’est ainsi qu’en août 1998, avec sept cents «Marsophiles», Zubrin fonda la Mars Society, un organisme à but non-lucratif rassemblant des Trekkies à longues oreilles, des chercheurs sérieux et des astronomes amateurs. Son but: effectuer un lobbying auprès de la NASA, et convaincre les gouvernements du monde entier de joindre leurs forces et de débloquer les fonds nécessaires à la colonisation de Mars. Pas pour dans cent ans – pour dans vingt, trente ans, maximum.
Voici un extrait de la déclaration de fondation de la Mars Society:
«Le temps est venu pour l’humanité d’explorer la planète Mars. Nous sommes prêts. En fait, nous sommes mieux préparés à envoyer des hommes sur Mars que nous l’étions à en envoyer sur la Lune au tout début de l’ère spatiale. Pourquoi aller sur Mars? Parce que les civilisations sont comme les êtres humains: elles aiment relever des défis. Les défis nous empêchent de sombrer. Naguère, les nations se faisaient la guerre; aujourd’hui, le monde devient de plus en plus uni. Nous devons utiliser l’énergie que nous consacrions à nous combattre pour accomplir une mission commune, plus grande, plus noble. Nous devons aller sur Mars pour la jeunesse, car l’esprit de la jeunesse vit d’aventure. Un programme d’exploration de la planète Mars inciterait les jeunes à s’intéresser davantage à la science, et à étudier en ingénierie, en aéronautique ou en médecine. Une fois sortis de l’école, ces gens créeraient de nouvelles industries, inventeraient de nouveaux médicaments et augmenteraient le PIB de leur pays. La colonisation de Mars est une occasion extraordinaire de recommencer le monde à neuf, d’exporter la vie sur d’autres planètes. Après tout, l’Homme n’est pas qu’un simple animal: il est le Messager de la vie. Nous devons aller sur Mars pas seulement pour nous, mais pour un peuple à venir – les futurs Martiens.»
L’appel de Zubrin a été entendu. La Mars Society est maintenant présente dans plus de vingt pays. Ses neuf cents membres payants (et ses six mille sympathisants) ont formé différents groupes de travail, afin de faire avancer certains dossiers.
Il y a le Groupe Éducation, qui tente de propager la Bonne Nouvelle dans les écoles; le Groupe Événements, qui organise des colloques et des congrès; le Groupe Marketing, qui développe des produits dérivés destinés à amasser des fonds; sans oublier le Groupe Levées de fonds, le Groupe Relations publiques et le Groupe Politique, qui se spécialise dans le lobby auprès des élus, tant sur le plan local qu’international. On a même mis sur pied un Groupe Artistique, dont la mission est «d’assurer une forte présence de la planète Mars dans le domaine des arts: peinture, musique, littérature»!
Les Lavigueur déménagent
Les membres de la Mars Society ne sont pas seuls à vouloir mettre le pied sur la planète mythique. Récemment, le Los Angeles Daily News consacrait un texte à Roderick et Randa Milliron, deux Américains de quarante-huit ans qui rêvent de voyages interstellaires. Passionnés de science-fiction, les Milliron ont investi toutes leurs économies (cent mille dollars) dans la construction d’une fusée pouvant amener quatre astronautes sur Mars. Entourés d’une équipe de douze bénévoles, ils bossent quatre-vingts heures par semaine dans un entrepôt de l’aéroport de Mojave, et pensent lancer leur premier prototype dans l’espace le printemps prochain. «L’industrie spatiale va connaître un véritable boum, disent-ils, et nous voulons être là pour en profiter. De plus, nous sommes romantiques: nous voulons marcher main dans la main sur Mars avant d’avoir soixante-dix ans.»
«Fly me to the moon…»
Le Rapport de 90 jours
A l’été 1989, le président George Bush a demandé à la NASA d’étudier la faisabilité d’une éventuelle colonisation de la planète Mars. Après trois mois, l’organisme accoucha d’un rapport volumineux, appelé aujourd’hui Le Rapport de 90 jours.
Selon la NASA, un projet destiné à coloniser la planète Mars coûterait cinq cents milliards de dollars. Si on le mettait à exécution rapidement, l’Homme pourrait mettre le pied sur la planète rouge en 2019.
Le plan était simple, mais horriblement ambitieux. Il consistait à construire une base sur la Lune. De là, on ferait décoller des fusées qui apporteraient hommes et matériel sur Mars. Ces fusées hyper-sophistiquées, qui ressembleraient aux vaisseaux de la série Battlestar Galactica, feraient le trajet Lune-Mars en dix-huit mois.
Toutefois, ce projet n’a jamais levé. La fin de la guerre froide, jumelée avec la décision du gouvernement américain de réduire substantiellement ses dépenses, contribua à envoyer Le Rapport de 90 jours sur les tablettes, où il ramasse de la poussière depuis lors.