Rénovation des stations de métro : Avancez vers l'arrière!
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Rénovation des stations de métro : Avancez vers l’arrière!

La STCUM a décidé de rénover quelques stations de métro. Coût de l’opération Réno-Métro: soixante millions de dollars. Malheureusement, pendant les travaux, on a maltraité quelques ouvres d’art. Constat des dégats.

Jean-Paul Mousseau doit se retourner dans sa tombe. Quatre de ses ouvres avaient discrètement disparu de la station Peel, dans les années 80, suite à la construction des Cours Mont-Royal. Elles ont été retrouvées, et la STCUM les a réinstallées… mais deux d’entre elles ont été posées avec la signature de l’artiste à l’envers!

Prévues à l’époque de leur confection pour accompagner le passant dans son mouvement, ces pastilles de céramique multicolores avaient été intégrées aux murs. Aujourd’hui, elles sont accrochées comme des tableaux, en partie devant des panneaux publicitaires et à quelques pieds derrière des colonnes…
Le non-respect des ouvres semble une pratique courante à la Société de transport. A la station Villa-Maria, une des murales de l’artiste André Léonard a servi de «babillard» pour l’installation de deux tableaux indiquant les intervalles de passage des trains! Alors que le mur voisin, qui fait face aux voyageurs, est resté vierge…

A la station Champ-de-Mars, Marcelle Ferron aura peut-être plus de chance. Certaines sections de sa très colorée verrière, de deux mille pieds carrés, ont été endommagées avec le temps. En quelques endroits, les verres de couleur ont déjà disparu au profit d’un simple verre transparent. Il semble maintenant que la STCUM soit prête à restaurer l’ouvre.

Selon Gaetan Pelletier, l’architecte responsable des travaux de rénovation, le conseil d’administration de la Société de transport entérinera en mars la décision d’aller de l’avant dans ce dossier et débloquera des budgets. Une rumeur raconte que la STCUM se préparait à mettre fin à la dégradation de la verrière de Madame Ferron en l’enfermant entre deux vitres, sans même la restaurer! Ce que nie monsieur Pelletier: «J’ai rencontré madame Ferron il y a déjà plusieurs mois, et les travaux de restauration, qui ont toujours été au programme, se feront sous sa supervision.»

Selon Docomomo, un organisme voué à la protection de l’architecture moderne, le patrimoine architectural du métro de Montréal, qualifié à l’époque de son inauguration comme le plus beau du monde, est en danger. En effet, les ouvres de Mousseau, Léonard et Ferron ne sont que la pointe de l’iceberg…

Michèle Picard, historienne de l’architecture et secrétaire de l’organisme, a visité certaines stations avec nous.

«Prochaine station: Beaudry»
Avant les rénovations, cette station était considérée par plusieurs comme la station la plus laide de tout le réseau. Dans un document de la STCUM sur l’art dans le métro, on raconte: «Pour cette station, l’architecte Niklewicz a opté pour une harmonie des matériaux et des couleurs de terre.» En effet, Beaudry était tout en brun, beige et rouge vin.

«L’architecte qui fait les rénovations a décidé d’intégrer les couleurs de l’arc-en-ciel gai dans la station. La voûte du tapis roulant sera donc peinte», raconte monsieur Pelletier. Déjà, au niveau du quai, des tuiles mauves, roses et bleu pâle ont été installées au bas des escaliers. Ces couleurs s’intègrent très mal au brun et au beige ambiants…

«Mais où est le respect du concept du premier architecte? lance madame Picard. Ni les couleurs ni le format des nouvelles tuiles ne cadrent avec la station!» Monsieur Pelletier rétorque que le choix vient de l’architecte, qu’on lui a laissé sa liberté, et que «tous les goûts sont dans la nature».

«Prochaine station: Place-des-Arts»
«En architecture moderne, les textures, les jeux d’ombre et de lumière étaient très importants», raconte Michèle Picard. C’est pourquoi elle déplore les rénovations de la station Place-des-Arts. «Sur les murs, il y avait une tuile vernissée qui réfléchissait la lumière. Ce n’était pas une ouvre d’art, mais ça ajoutait de la lumière, et son orientation verticale contrastait avec l’orientation horizontale des tuiles des murs… On aurait dû tout faire pour la conserver.»

L’historienne poursuit: «Les nouvelles tuiles n’ont aucune texture; de loin, on ne les voit même pas!» Elle s’en prend aussi à l’idée d’avoir installé un plancher verni. «Avec un peu d’eau sous les bottes, je ne serais pas surprise que plusieurs personnes glissent…» Pour elle, la station a perdu toute son âme.

«Prochaine station: Frontenac»
Les ouvriers étaient en train de poser les dernières tuiles du nouveau plancher lors de notre passage. A peine descendus du wagon, nous avons découvert quatre tuiles brisées. «On passe d’un plancher qui était en bon état à un plancher fabriqué avec des matériaux de mauvaise qualité, se désole madame Picard. Je comprends les architectes de ne pas vouloir que leur nom soit associé à de tels travaux: les contrats ont été donnés aux plus bas soumissionnaires. Ils ont un peu honte…»ª

Monsieur Pelletier reconnaît que les contrats ont été accordés à ceux qui demandaient le moins pour leurs travaux. Mais il avance que ça n’a pas eu d’impact sur la qualité du travail et des matériaux utilisés… Michèle Picard conteste: «Ils ont fait des choix esthétiques, et ils sont mauvais. On a remplacé beaucoup des matériaux originaux par de nouveaux matériaux cheap. Parfois, on se demande même s’ils ne les ont pas trouvés dans une vente!»ª

«Prochaine station: Terminus»
Pour Docomomo, tout est là. Les rénovations se sont faites sans aucune consultation des organismes de sauvegarde du patrimoine, et on a sacrifié la qualité à la quantité.

De plus, la STCUM n’a aucune politique de conservation de l’art et de l’architecture. Gaetan Pelletier pense que «même si l’organisme en avait une, il y aurait des erreurs. Une politique n’est pas garante de tous les gestes qui sont posés. On essaie de maintenir autant que possible les stations dans leur état original; on travaille en collaboration avec le service culturel de la Ville, et la section architecture de la STCUM est consultée pour tous les travaux. C’est suffisant.»ª

Un avis que ne partagent pas du tout les organismes de sauvegarde du patrimoine de Montréal, qui aimeraient bien, un jour, se faire dire: «Merci d’avoir voyagé avec la STCUM.»