Journée internationale des femmes : Fabienne Larouche, Isabelle Péladeau, Louise Vandelac
Société

Journée internationale des femmes : Fabienne Larouche, Isabelle Péladeau, Louise Vandelac

Les femmes qui ont des opinions et qui n’ont pas peur de les exprimer font-elles peur aux hommes? Passent-elles encore pour des hystériques? Nous avons posé la question à trois femmes publiques reconnues pour leur franc-parler.

Qu’ont en commun Fabienne Larouche, Isabelle Péladeau et Louise Vandelac? Toutes trois sont des femmes bien en vue dans leur milieu et reconnues pour exprimer librement leurs opinions. En d’autres mots, elles font bouger des choses.

Scénariste et productrice, Fabienne Larouche occupe une place privilégiée dans le paysage télévisuel québécois. Auteure des textes des séries à succès Scoop, Miséricorde, Innocence, Urgence et Paparazzi, en collaboration avec Réjean Tremblay, elle écrit aujourd’hui en solo le téléroman Virginie qui rassemble en moyenne un million de téléspectateurs quatre soirs par semaine sur les ondes de Radio-Canada. Reconnue pour son franc-parler, elle n’hésite pas à dénoncer publiquement les abus de pouvoir et le trafic d’influence en vogue dans le milieu hyper subventionné de la production télévisuelle.

Pour sa part, Isabelle Péladeau a longtemps été considérée comme «la fille de», mais la mort du patriarche a permis à la fille aînée du clan Péladeau de prendre son envol. Depuis la télédiffusion de Qui étiez-vous Monsieur P?, un documentaire qui tentait de disséquer la personnalité complexe du célèbre homme d’affaires québécois, Isabelle Péladeau jouit d’une certaine popularité. Sa franchise, sa sincérité, ainsi que sa froide analyse du milieu des affaires ont fait d’elle une interlocutrice recherchée par les médias qui ont compris que cette femme d’affaires, également mère de deux enfants, avait touché une corde sensible chez les Québécois.

Enfin, Louise Vandelac est l’incarnation même de l’intellectuelle engagée. Sociologue, elle enseigne à l’Université du Québec à Montréal, où elle est, entre autres, chercheure au Centre pour l’étude des interactions biologiques entre la santé et l’environnement (Cinbiose), présidente du Comité d’accès à l’égalité de l’UQAM, et également porte-parole de la Coalition québécoise pour une gestion responsable de l’eau, Eau Secours!. En 1991, le premier ministre du Canada, monsieur Mulroney, la congédiait, elle et trois autres commissaires (dont Maureen McTeer, l’épouse du ministre Joe Clark), pour avoir osé intenter des poursuites en Cour fédérale contre la présidente de la commission Baird sur les nouvelles technologies de reproduction et contre le premier ministre, responsable de cette commission.

Réunies l’espace d’une soirée dans les locaux de Voir, ces trois femmes qui n’ont pas froid aux yeux ont répondu à nos questions.

Est-ce que vous vous considérez comme trois femmes en colère?
Isabelle Péladeau: Le mot «colère» me fait réagir car c’est un terme qui est interprété négativement. Or, la colère, ça peut être très libérateur. Dans mon cas, c’est ce qui m’a aidée à sortir de mes peurs, de mes angoisses. Ç’a été très positif pour moi. Mais une femme qui a du tempérament et qui exprime son opinion, c’est souvent interprété, dans le monde des affaires du moins, comme de l’hystérie. Je préfère le terme «femme en affirmation».

Louise Vandelac: Ma première réaction est d’éclater de rire, la seconde est d’être un peu en colère devant une telle image. Quand des femmes disent ce qu’elles ont à dire et prennent la place qu’elles ont à prendre dans une société, on les considère soit comme des pasionarias, soit comme des femmes en colère. Ou encore, on les dépeint comme étant tout à fait exceptionnelles par rapport à l’ensemble des femmes, et cela, je trouve ça carrément insupportable. Je pense qu’actuellement, bon nombre d’individus sont indignés, et avec raison. Ce n’est pas parce que nous sommes des femmes que nous sommes davantage en colère. Personnellement, il y a plusieurs choses qui me mettent en colère mais je ne suis pas quelqu’un qui est, a priori, en colère.

Fabienne Larouche: Moi, je suis de moins en moins en colère parce que c’est fatigant d’être en colère. Mais j’ai fait beaucoup de colères à un certain moment où j’avais l’impression que personne ne m’écoutait. J’obligeais les gens à m’écouter. + un moment donné, plus tu grimpes les échelons, plus on te prend au sérieux, moins tu ressens le besoin de te mettre en colère. Ceci dit, je suis quelqu’un qui s’indigne très fortement et je n’ai pas la langue de bois; je dis ce que j’ai à dire. Le mot «colère» ne me fait pas peur mais c’est vrai qu’il est un peu fort.

Qu’est-ce qui vous met en colère?
I. P.: Par rapport au milieu dans lequel j’ai évolué, ce qui m’indigne, c’est le fait que les femmes soient souvent obligées d’avoir des réactions exagérées pour se faire entendre. Comme si on était obligées de crier pour manifester notre présence! Ce qu’on dit est considéré comme futile, pas sérieux: c’est du commérage de bonne femme. Ça me met hors de moi, je trouve ça très difficile à vivre.

J’en ai aussi contre l’attitude à l’endroit des femmes dans la haute hiérarchie des affaires. Par exemple, si deux femmes siègent à un conseil d’administration, elles ne seront pas portées à s’asseoir côte à côte. Pourquoi? Par peur d’être perçues comme étant lesbiennes (et je n’exagère pas); ou pour ne pas donner l’impression qu’elles créent une coalition. Les femmes sont mal à l’aise; c’est comme si le fait d’être assises l’une à côté de l’autre exprimait un parti pris contre. C’est quand même incroyable!

L. V.: Pour moi, ces questions-là se posent moins à un niveau personnel que collectif. Ce qui m’indigne particulièrement, c’est le mépris des pouvoirs politiques et économiques à l’égard des citoyens. Ça, ça me met en colère! Je travaille entre autres sur l’appropriation des sources de vie, qu’il s’agisse de sources de vie biologiques _ le sperme, l’ovule, l’embryon, les gènes _ ou encore d’une ressource aussi vitale et fondamentale que l’eau. Et dans tous les cas, ce que je vois d’une façon concrète, c’est trop souvent l’improvisation, le secret et l’incapacité de comprendre ces questions-là à long terme, de façon globale et cohérente. Or, quand on crache en l’air, ça finit toujours par nous retomber sur le nez.

C’est simple, les ressources sont finies! Actuellement, la seule matière première renouvelable, ce sont les déchets. Ça devient insensé de voir la façon dont on se comporte par rapport à ces questions. On est en train d’adopter un paquet de mesures en secret relativement à l’eau, aux forêts, à l’énergie _ c’est totalement inadmissible.

F .L.: Ça me touche beaucoup ce que vous dites parce que ce qui me met le plus en colère, c’est probablement la question suivante: Où sont les journalistes? Dans mon domaine, il y a des scandales partout. Les journalistes sont au courant de ces choses-là, et ils ne bougent pas. Résultat: les politiciens et les gens de pouvoir ne s’en font pas. S’il s’écrit un article ou deux sur un sujet, ils attendent un peu et recommencent leurs magouilles par la suite.

Dans le milieu de la production télévisuelle, le trafic d’influence, le copinage et la corruption sont incroyables. Le Québec, c’est quasiment l’Italie. L’autre problème, c’est la censure subtile qui s’exerce. On me dit: «Fabienne, tu ne devrais pas parler autant.» On essaie de me faire taire.

Est-on pris au sérieux quand on est une femme qui exprime ses opinions ou sa colère à voix haute? + quoi s’expose-t-on?
I. P.: Dans mon cas, depuis que je me suis exprimée dans le cadre d’un documentaire consacré à mon père, il y a un phénomène médiatique autour de moi. Les gens m’appellent de partout. Je me rends compte que lorsque je parle, les gens me prennent au sérieux. On dit que j’ai une attitude franche, et je trouve ça intéressant. Ça rejoint peut-être ce que Louise disait plus tôt, qu’on en a marre d’entendre des gens qui disent n’importe quoi, qui jouent des rôles, qui s’approprient des idées juste parce que ça fait bien.

F. L.: Dans mon cas, au début, j’écrivais avec Réjean Tremblay qui était aussi mon mari. C’était un gros et grand gars, un journaliste qui était pris au sérieux, et dont tout le monde avait peur dans le milieu. Il était une espèce de bouclier qui me permettait d’avancer dans ce milieu. Si Réjean n’avait pas été là, ça m’aurait sans doute pris pas mal plus de temps pour me rendre là où je suis aujourd’hui, et je serais pas mal plus amochée. J’aurais beaucoup de cheveux gris.

Aujourd’hui, on me prend davantage au sérieux. Je suis productrice depuis quelques mois, ce qui fait sans doute dire à des gens que je vais empocher l’argent et intégrer les rangs, comme les autres. Or, il ne faut pas. Il faut continuer à dénoncer les choses qui nous semblent injustes. Ce qui m’enrage, c’est qu’on me demande souvent: «Pourquoi dis-tu ces choses-là? Qu’est-ce que tu as à gagner?»

L. V.: Prenons l’exemple de la Commission royale d’enquête sur les nouvelles technologies de reproduction. En tant que chercheure, je trouvais inadmissible qu’après deux ans à siéger à cette commission, je ne pouvais pas voir les programmes de recherche. + trois mois du début de l’écriture du rapport de cette commission, il était toujours impossible d’obtenir les programmes de recherche, de savoir qui avait reçu des subventions, quels étaient les montants attribués, etc. Comme chercheure, j’ai dit: «No way!»

Nous sommes allés en Cour fédérale contre la présidente de la Commission et contre le premier ministre parce que nous considérions qu’ils n’avaient pas respecté la loi sur les commissions royales d’enquête. Le premier ministre nous a congédiés, ce qui a empêché la poursuite, et étouffé le scandale.

Il est vrai qu’au Québec, on n’a pas une tradition d’engagement sur la place publique, contrairement aux États-Unis, où l’on voit des groupes de chercheurs et de scientifiques engagés; ou à l’Europe, où l’intellectuel est nécessairement engagé dans sa société. Ici, on a de plus en plus l’impression que c’est un péché ou une tare d’être intellectuel. D’autre part, compte tenu des liens de plus en plus étroits entre l’industrie et le milieu universitaire, on a trop souvent une conception étroite et scientiste de la recherche. Il y a donc de moins en moins d’intellectuels qui osent parler. Les menaces sourdes se font aussi dans ce milieu-là. Exprimer publiquement ses convictions, ça peut aller jusqu’à nuire dans l’obtention de subventions de recherche.

Avez-vous l’impression de détenir du pouvoir dans vos domaines respectifs?
L. V.: Par rapport à l’ampleur des questions sur lesquelles je travaille, je n’ai aucun pouvoir. J’aimerais avoir les moyens de travailler beaucoup plus sérieusement avec des outils et des équipes pas mal plus consistantes. Ceci dit, dans le dossier de l’eau, par exemple, le fait d’organiser des spectacles, de faire un travail de sensibilisation et d’obtenir une certaine médiatisation aura permis de faire reculer le projet de privatisation de l’eau à Montréal… du moins depuis deux ans…

I. P.: J’essaie d’abord et avant tout d’avoir du pouvoir sur ma vie, d’être équilibrée, d’apporter de l’amour à mes enfants. + partir du moment où l’on a confiance en soi, on peut peut-être donner un certain exemple. Est-ce que c’est ça, le pouvoir? La possibilité de changer les choses en étant authentique, en essayant de répandre un peu de bien autour de soi?

Je crois que nous sommes toutes les trois privilégiées de pouvoir nous adresser aux médias, de nous prononcer et _ qui sait? _ de représenter des femmes qui n’ont pas l’occasion de parler parce qu’elles ne sont pas des figures publiques. Quand j’ai avoué mon alcoolisme à la télévision, ce n’était pas évident et ça prenait du courage mais je l’ai fait pour dire aux gens que même quand on est riche, on peut vouloir noyer ses problèmes dans l’alcool. Il y a plusieurs personnes qui m’ont appelée pour me dire: «Merci, vous nous donnez l’espoir de continuer.» Alors pour moi, en ce moment, c’est ça, avoir un certain pouvoir.

Quand j’étais à la tête de Publicor, je n’ai jamais joué à celle qui détenait le pouvoir. C’est certain que je décidais certaines choses, mais je n’avais pas la prétention de révolutionner le monde. Je déteste les prétentieux, ceux qui s’imaginent détenir le pouvoir.

F. L.: J’ai peut-être un pouvoir d’influence mais si j’avais eu un véritable pouvoir, certaines choses auraient sauté à un moment donné. Or, cela n’a pas été le cas. J’ai le privilège d’écrire pour la télévision, et ça, ce sont les dirigeants de Radio-Canada et de TVA qui me l’accordent. Le jour où je ne ferai plus l’affaire, ce sera fini. Tantôt on a parlé de la prétention. C’est quelque chose que j’exècre. Quand j’écris Virginie, je ne pense pas au pouvoir que je pourrais avoir. Qui suis-je pour commencer à faire la leçon aux gens?

I. P.: Oui, mais si tu choisis de parler d’un problème dans Virginie, ça fera réfléchir les gens. Plutôt que de parler de pouvoir, on pourrait parler d’influence. Tu as une certaine influence. Tout comme Louise a une certaine influence dans son domaine.

L. V.: Je pense que dans mon cas, c’est plutôt de l’ordre d’un tout petit contre-pouvoir, mais c’est surtout la possibilité d’élaborer un contre-pouvoir collectif.

Quand on occupe une place bien en vue dans la société, qu’on est reconnue pour avoir des opinions tranchées, de quelle façon cela modifie-t-il notre rapport avec les hommes?I. P.: Ça dérange, ça va chercher leur insécurité la plus profonde. Au XIXe siècle, on enfermait les femmes qui dérangeaient. Je pense à Camille Claudel, par exemple. Aujourd’hui, si on pouvait encore faire ça, il y en aurait une gang d’enfermées _ dont moi-même, je suis certaine. Mais je suis très fière de ça, cela veut dire que je les fais réagir.

L. V.: C’est triste mais il y a encore peu d’hommes suffisamment adultes et matures pour être capables d’avoir de vrais rapports avec des femmes pleines et entières. Les attitudes seront soit des attitudes de peur soit des attitudes de conquérant parce qu’on fait monter la mise et qu’ils veulent accumuler des trophées de chasse. C’est d’une faiblesse incroyable, et ça montre à quel point les hommes ont peur. Et ça, c’est tragique.

Que pensez-vous de la solidarité féminine? Est-ce un mythe, selon vous?
F. L.: Je crois que oui. Nous ne sommes pas assez solidaires entre nous. Il y a une tradition d’amitié chez les hommes, des réseaux d’influence et de copinage que nous n’avons pas, nous, les femmes. Souvent, on se jalouse, on est envieuses. On est assez dures entre nous. Quand on veut tendre la main, on sent une méfiance à l’autre bout.

I. P.: Oui, mais ça tend à changer. J’ai déjà dit à la télévision que j’avais été trahie par des femmes au niveau professionnel, mais il ne faut pas passer sous silence certaines initiatives. Je pense à l’Association des femmes d’affaires du Québec qui a créé des cellules d’entraide pour ses membres. Il faut en parler de ces choses-là.

L. V.: Une des choses les plus fascinantes dans bon nombre de groupes, y compris à l’intérieur du mouvement des femmes, c’est la possibilité pour des individus de milieux radicalement différents de pouvoir se parler et de parler des mêmes choses. Et ça, c’est profondément révolutionnaire. Parce que tout est fait pour qu’on soit ghettoïsé, et qu’on se méfie les uns des autres.

Ceci dit, la solidarité ne peut pas s’établir uniquement sur la base du sexe. Il faut qu’il y ait des affinités vraies, des projets, des objectifs, et une façon de voir le monde qui puisse être partagée. Oui à la solidarité féminine, mais pas à n’importe quel prix.