Société

La parité en politique : Le pouvoir? Connais peu!

Il n’y a pas beaucoup de femmes en politique. Faut-il imposer des quotas pour remédier à la situation? MANON TREMBLAY, prof à l’Université d’Ottawa, a discuté de la question avec plusieurs politiciennes canadiennes. L’idée ne fait pas l’unanimité…

La parité, c’est la représentation égale des hommes et des femmes dans l’arène politique. Tout le monde appuie cette idée. Le hic, c’est que les gens ne sont pas d’accord sur les moyens à prendre pour y arriver. En France, où la présence d’un «jupon» au parlement défrise encore les hommes (et où le nombre de femmes en politique est ridiculement bas), de plus en plus de citoyennes croient qu’il faut imposer des quotas afin d’arriver à une représentation politique égale. Bien que le Sénat français bloque encore cette proposition, l’idée fait son chemin.

Qu’en est-il au Canada, un pays réputé pour être évolué en matière de féminisme? Est-ce que la présence de femmes au gouvernement fédéral change l’exercice du pouvoir? Nous avons posé la question à Manon Tremblay, professeure agrégée de science politique à l’Université d’Ottawa, ville où elle assiste depuis des années au match qui se dispute à la Chambre des communes. Dans son essai Des femmes au parlement: une stratégie féministe?, Tremblay a interviewé des femmes députées fédérales sur leur expérience du pouvoir.

Les femmes que vous avez rencontrées sont-elles d’accord avec les programmes de quotas?
Globalement, non. Leur pire crainte est d’être nommées «députées-quotas»… Les réformistes sont fortement en désaccord; cependant, quelques femmes des autres partis – et qui s’affichent féministes – appuient le concept des quotas, mais elles ne sont pas légion. En fait, les femmes disent avoir peur de ne pas être nommées en fonction de leur compétence, mais pour remplir des critères externes à la politique. Or, ce qui me frappe, moi, c’est que personne ne s’interroge sur la «nature» de la compétence en politique…

Que voulez-vous dire?
Dans une recherche que je mène actuellement sur des candidates qui se sont présentées à l’élection fédérale de 1997, tout le monde s’accorde pour dire que la compétence correspond souvent à des traits de caractère associés à la socialisation masculine plutôt que féminine: quelqu’un qui fonce dans le tas, qui a du leadership, qui sait mettre le poing sur la table, par exemple.

+ mon avis, il y a là un obstacle à l’élection de femmes: beaucoup se disent: «Si c’est ça, être en politique, pas question!» Donc, il faut s’interroger sur le type de «gouverne» que l’on veut avoir: la compétence politique d’une personne se mesure-t-elle à sa capacité d’écraser l’autre, ou plutôt à celle de l’écouter et d’en arriver à un consensus?

Les femmes que vous avez rencontrées pensent-elles exercer le pouvoir différemment des hommes?
Pour la très grande majorité, oui. D’abord, elles abordent des questions dont les hommes ne traitent pas, comme par exemple les garderies, la violence familiale, l’équité salariale. Ensuite, les femmes appréhendent les politiques publiques différemment: selon plusieurs spécialistes, les femmes auraient davantage, en raison de leur socialisation et de leur expérience, une éthique ou une perspective plus morale de la société; alors que les hommes voient les choses en termes de droit, ou encore de coûts-bénéfices.

N’y a-t-il pas, dans ces généralisations, un risque de retomber dans les clichés sur les dossiers dits «féminins»?
Oui, il y a un piège. Mais je pense que lorsqu’il y aura un plus grand nombre de femmes en politique, c’est-à-dire quand il y aura parité, on arrivera à changer les mentalités. Les recherches que j’ai menées montrent que les femmes abordent, plus que les hommes, les dossiers dits féminins (garderies, équité salariale, violence familiale, etc.): que voulez-vous, il faut bien que quelqu’un en parle! Quand les femmes seront plus nombreuses, ces dossiers seront également traités par les hommes parce qu’ils seront inscrits dans les programmes politiques: ils n’auront pas le choix d’en tenir compte. Pour l’instant il y a donc un risque, mais le jeu en vaut la chandelle.

Les femmes trouvent-elles que le milieu politique est sexiste?
Absolument. L’une d’entre elles a déjà comparé le milieu politique à un garage: quand vous y entrez, vous êtes dans une culture tout à fait masculine. Mais il y a aussi la question du langage: les collègues sont souvent grivois, et carrément sexistes. Les femmes ont aussi des problèmes avec la question du vêtement, aussi banal que cela puisse paraître.

Dans quelle mesure l’habillement est-il significatif?
En 1995, une ministre m’a confié tenir un agenda de ses tenues vestimentaires: si elle prononce une conférence devant une association, il faut qu’elle fasse attention à ne pas porter la même chose quand elle y retournera quelques mois plus tard, parce que les gens la jugeront sur ses tenues, sur le paraître. De plus, n’oublions pas que s’habiller coûte plus cher pour les femmes, sans compter le maquillage et la coiffure qui prennent du temps! Et on n’imagine pas qu’une femme arrive en Chambre sans avoir pris soin de son apparence (un homme non plus, mais ses tenues sont plus simples).

Ce que cela révèle, c’est que la place des femmes en politique est encore très controversée: d’une part, on leur demande d’être des «hommes» en matière de compétence; et de l’autre, on continue à exiger d’elles une féminité précisément pour être compétentes. Ultimement, cela révèle l’hostilité de la politique envers les femmes. Elles doivent se travestir: adopter un «comportement» qui rejoint le modèle de l’homo-politicus, supposément neutre (en fait masculin), mais elles doivent être féminines pour rester crédibles.

Les femmes que vous avez rencontrées se sentent-elles le devoir d’incarner un modèle pour les autres femmes?
Plusieurs d’entre elles, oui. Chez les femmes libérales, certaines disent non. C’est ce qu’on appelle les «Reines abeilles»: elle disent: «Je me suis prise en main, j’ai foncé, et je ne me sens pas redevable»; mais elles sont minoritaires. La plupart se sentent une responsabilité face aux autres femmes, mais elles délimitent le terrain car elles doivent aussi représenter tous leurs citoyens.

Ce qui est intéressant au Parti libéral, c’est le fameux Caucus des femmes. C’est unique au Canada (ça ne veut pas dire qu’au Bloc, par exemple, il n’y a pas de féministes). Grâce au Caucus, les femmes libérales peuvent agir comme un groupe de pression à l’intérieur du gouvernement pour faire avancer des dossiers: on l’a vu avec la question des pensions alimentaires, où il y avait un gender gap au gouvernement. Là, la mobilisation des femmes a été fructueuse.

Que pensez-vous de la situation du Québec et du Canada, par rapport à d’autres pays, sur le plan de la représentation politique? Est-ce que nous sommes en bonne position?
Nous sommes dans la moyenne. Je m’insurge contre cette idée qui veut que, parce que les mentalités changent, les femmes entreront «naturellement» en politique. Il faut cesser de penser que chaque élection amènera son lot de femmes. C’était faux au Québec jusqu’à récemment; et c’est faux en Ontario, où le nombre de femmes a régressé.

Au Canada, nous avons un instrument formidable qui s’appelle la Charte des droits et libertés, et notamment l’article 15-2, qui admet les mesures d’action positive, ce qui n’est pas le cas en France, qui juge de telles mesures inconstitutionnelles. Il est donc possible de corriger la situation.

Mais je souhaite personnellement qu’il y ait plus de «féministes» en politique: c’est bien beau, plus de femmes au pouvoir, mais il faut aussi qu’on s’interroge sur le genre de pouvoir que l’on exerce. Et les féministes peuvent être très éclairantes, tout en restant loyales à leurs partis respectifs.

Des femmes au Parlement: une stratégie féministe?
Éd. du remue-ménage, 1999, 314 p.