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Commerce équitable: le café : Petit grain va loin
Carle Bernier-Genest
Photo : Mitchell Denburg
Hier, ils brandissaient des pancartes et faisaient signer des pétitions, sans grand résultat. Aujourd’hui, ils ont compris. Confortablement assis dans leurs salons, ils déstabilisent des multinationales en sirotant leur café…
Tous les matins, dans les pays producteurs de café, des milliers d’hommes et de femmes se lèvent pour aller cueillir à la main les petits fruits rouges des caféiers. Après leur journée épuisante, ils reçoivent entre deux et cinq dollars de salaire, soit environ cinq sous pour chaque livre de café cueillie. Arrivée à Québec, cette livre vous sera revendue un peu moins de dix dollars.
La différence de prix s’explique en partie par le nombre d’intermédiaires par lesquels passe le café pour se rendre à votre tasse. Pour le reste, ce sont les multinationales qui empochent. À elles seules, les compagnies Philip Morris, Nestlé, Procter&Gamble et Sara Lee contrôlent plus de 70 % du marché mondial du café. Une mainmise qui permet aux deux premières d’avoir un chiffre d’affaires plus élevé que le produit intérieur brut du deuxième pays producteur, la Colombie!
C’est en réponse à cette réalité qu’est apparue dans les années 70 l’idée du commerce équitable. Le principe est simple, on élimine les intermédiaires pour offrir aux travailleurs du Tiers-Monde le meilleur prix possible pour leurs produits. Depuis ses débuts, le commerce équitable se fait principalement à travers le café. La raison en est simple, c’est le deuxième produit le plus échangé sur la planète, derrière le pétrole.
Une cause café
Laure Waridel est une des pionnières du commerce équitable au Québec. Aujourd’hui responsable du programme provincial «un juste café», elle raconte: «Avec le commerce traditionnel, le café passe par la bourse. Plus souvent qu’autrement, les paysans n’ont presque rien pour leurs récoltes. Avec le commerce équitable, ils sont assurés de recevoir 1,26 $ américain la livre, plus cinq sous si le cours de la bourse dépasse ce prix plancher. Et si la culture est biologique, ils reçoivent un autre 15 sous la livre…»
Pour pouvoir passer par la filière équitable, les paysans doivent former une coopérative démocratique, qui servira d’intermédiaire avec les acheteurs du Nord et qui assurera la redistribution de l’argent de la vente. UCIRI, une coopérative du Mexique, est un bon exemple de réussite. Née en 1983 de la volonté de familles réparties dans 17 petites communautés de se sortir de la pauvreté, elle regroupe aujourd’hui plus de 2000 familles de 49 communautés. Elle a permis de mettre sur pied un système de transport entre les villages, de construire la seule école secondaire de la région, de créer un réseau rudimentaire de soins de santé et de s’occuper des premières transformations du café pour en tirer de meilleurs revenus. Tout ça dans une des régions les plus reculées du pays.
L’explosion
À l’autre bout de la filière, il y a ceux qui commercialisent le café. Au Québec, ce sont principalement Oxfam-Québec et les torréfacteurs Just Us! et Café Rico qui se partagent le marché. Ceux-ci distribuent ensuite leurs cafés dans plus de 50 points de ventes.
L’an passé, c’est 10 000 kilos de café équitable qui se sont ainsi vendus au Québec, soit moins de 0,1 % du marché du café… Mais Laure est confiante: «Il y en a qui visent 1 % du marché, moi je dis que ce n’est pas assez ambitieux. Je crois qu’on pourrait atteindre 5 %. La population du Québec est déjà sensible aux problèmes Nord-Sud. Si seulement on pouvait réussir à entrer dans les supermarchés…» On n’en est pas là, mais l’objectif n’est pas exagéré puisqu’en Suisse, le café équitable a atteint ce 5 % des ventes et est disponible dans les supermarchés depuis plusieurs années.
En attendant, la demande se concentre principalement à Montréal et à Rimouski, qui a déjà cinq points de vente. À Québec, il n’y a que deux endroits où s’en procurer, mais plus pour bien longtemps!
Il y a moins d’un mois, le premier torréfacteur québécois de café équitable naissait: Café Rico. Avant, ce café arrivait soit du Maine, soit du Nouveau-Brunswick. Maintenant qu’on peut s’approvisionner à Montréal, plusieurs nouveaux projets sont apparus. Pour l’instant, le plus important est celui du grossiste en aliments biologiques Distribue-Vie. En pleine expansion, la compagnie était à la recherche de nouveaux produits à offrir à ses clients. Dans un mois elle offrira un café biologique, torréfié par Café-Rico, à sa douzaine de clients de la région de Québec.
Le magasin Le Crac est un de ceux-là. Michèle Orain, responsable des commandes, raconte: «Les cafés biologiques que nous vendons sont déjà tous équitables, mais nous seront heureux d’ajouter un nouveau choix. La progression des ventes de ces cafés, chez nous, est d’environ 30 % par an…» La demande est là, c’est l’offre qui fait défaut.
Bruno Doyon, qui fait de la distribution de café à domicile depuis deux ans, se lancera aussi dans l’équitable d’ici quelques semaines. «Actuellement, je n’ai qu’une petite clientèle… J’ai fondé Bruno-Café avec les moyens du bord et là, je veux diversifier mon offre pour pouvoir vivre de ce travail.»
Un autre projet est aussi en préparation. Bruno Paradis, un comptable en management et sa compagne, avocate, veulent ouvrir d’ici l’été un café-bistro équitable près du Vieux-Québec. «On est rendu à une étape de notre vie où on réfléchit… On vit dans un monde un peu superficiel, qui a perdu contact avec la réalité des choses. On sent le besoin de se tourner vers de nouvelles valeurs», raconte-t-il.
La fin d’un monde…
Quand ces trois projets auront vu le jour, il permettront de multiplier les ventes de ce café. Laure, du projet «un juste café», croit même qu’on atteindra le 1 % du marché très rapidement.
Après, il faudra convaincre l’Assemblée nationale de passer au café équitable, comme le Parlement européen, pour donner l’exemple. «On a déjà essayé, mais on n’est pas tombé sur la bonne personne… Il suffirait qu’on trouve un député qui y croit pour que ça change, il y a une ouverture», affirme la jeune femme.
Enfin, il ne restera plus qu’à trouver un peu d’espace sur les tablettes des supermarchés pour augmenter au maximum les ventes, donc aider le plus de petits paysans possible. Actuellement, le commerce équitable permet à 800 000 familles du Sud de vivre plus décemment. Le jour où 5 % des Québécois boiront tranquillement leur café équitable, c’est plusieurs milliers de familles de plus qui en bénéficieront… Et quelques points de pourcentage de profits qui disparaîtront des poches des actionnaires des quatre géants du café.
Où se procurer du café équitable? Le Crac, 690, rue Saint-Jean, 647-6881; La Boule Miche, 1483, chemin Sainte-Foy, 688-7538; Bruno-Café, 577-8268; Distribue-Vie, par le biais de votre magasin d’aliments naturels préféré.