Le Mail Centre-Ville détient actuellement le record de la rue couverte la plus longue au monde. La Ville de Québec a décidé que c’était trop, on enlèvera vraisemblablement les deux tiers du toit l’an prochain… La résistance s’organise!
En 1986, Armel Larochelle a acheté un édifice riverain du Mail Centre-Ville. «J’ai choisi ça plutôt qu’une maison à la campagne parce que j’avais accès à tout, sans avoir à sortir dehors.» Quand il dit tout, c’est vraiment tout! En ouvrant sa porte, Armel se retrouve à l’intérieur du Mail. Il y fait son marché, son magasinage, passe parfois à la bibliothèque et y rencontre pratiquement tous ses amis.
Le Mail, en piètre état, est surtout fréquenté par des personnes âgées. On l’appelle même la «Petite Floride». Plusieurs handicapés habitent aussi le voisinage, puisque le Mail facilite grandement leurs déplacements. Pas de transport adapté à attendre, tout est à portée de chaise roulante. «La journée où les travaux débuteront, je m’attacherai à un pilier de ciment avec une chaîne autour de la taille, assis sur mon fauteuil», affirme un ami d’Armel, atteint de paralysie cérébrale.
Plus de 200 logements donnent directement sur cette rue couverte et des centaines de personnes se sont installées dans le voisinage pour en profiter.
Le toit: un bouc émissaire?
L’an dernier, le maire annonçait un grand projet: la démolition de ce toit qui «étouffe» la rue Saint-Joseph. La phase 1 prévoit le retrait des deux tiers du toit. La Ville affirme qu’elle économisera ainsi 400 000 $ de frais d’entretien par année et que dans 15 ans ces économies auront compensé le coût des travaux. On les évalue actuellement à 4,5 millions $. La Ville dit aussi que ça relancera l’économie dans le quartier…
Bien que quelques promoteurs appuient le projet, les petits propriétaires, comme Armel, sont beaucoup moins intéressés. «Tous les ans, je paye plus de 1000 $ pour financer l’hypothèque de la construction de ce toit et là on veut le démolir! Ça m’appartient! Je songe sérieusement à un recours collectif…», annonce celui qui a fondé, en février, la Coalition pour la conservation et l’embellissement du Mail. Puis il ajoute: «Absolument rien ne nous prouve que sans toit l’économie reprendra!»
Depuis un mois, cette coalition naissante a fait circuler une pétition (déjà signée par huit des propriétaires riverains du Mail, par les trois quarts des commerçants qui y tiennent boutique et par des centaines d’usagers et de résidants). La Coalition compte maintenant plus de trente membres et possède même sa propre boîte aux lettres au 790, rue Saint-Joseph. Au cours des prochaines semaines, elle entend intensifier ses actions et trouver de nouveaux appuis pour «sauver» le Mail.
Deux mondes
La divergence de vue entre la Ville et les promoteurs, d’un côté, et les petits propriétaires, commerçants et usagers du Mail, de l’autre, perdure depuis l’annonce du projet. La Ville a tenu des audiences publiques l’an passé, où les deux clans se sont exprimés et affrontés.
Claude Larose, conseiller municipal et responsable du dossier, affirme: «À la fin des audiences publiques on se comprenait mieux. Ma perception, c’est qu’il y a eu une évolution vers une majorité en faveur de notre projet et pour l’enlèvement du toit, de la rue de la Couronne jusqu’à du Pont.»
Armel Larochelle conteste: «J’y ai été deux jours sur trois et ce n’est pas du tout ce que j’ai entendu! Il suffit de lire les mémoires pour voir qu’au contraire, une majorité de gens s’oppose au projet de la Ville!»
La Ville prépare les travaux sur la base des recommandations qui lui ont été transmises dans le Rapport des Commissaires déposé à la suite de ces audiences publiques. Pour Armel Larochelle, ce rapport n’est pourtant pas du tout le reflet des audiences. «Sur les quarante mémoires, un seul parlait de démolir le toit jusqu’à du Pont. Et un seul parlait d’ouvrir la rue Saint-Dominique. Pourtant, ces deux points ont été présentés comme conclusions des audiences par le Rapport! Ça vient d’où, ces conclusions?»
Au service des Communications de la Ville, François Moisan reconnaît que la démolition du Mail jusqu’à la rue du Pont était prônée dès le début, mais qu’on avait limité le projet pour s’adapter au tollé de protestations qu’il avait engendré. Pour ce qui est de l’ouverture de Saint-Dominique, l’idée a été abandonnée. En effet, plusieurs commerçants du Mail ont exprimé à la Ville leur peur de perdre une partie de leur clientèle.
Je me souviens
Il y a presque trente ans, une administration municipale a voulu donner aux générations futures un exemple de son savoir-faire et de sa vision de l’avenir. Ce patrimoine est aujourd’hui menacé. Le conseiller municipal Claude Larose explique: «Si le Mail avait un propriétaire privé, celui-ci risquerait peut-être de l’argent pour le rénover, mais la Ville ne le fera pas.»
C’est peut-être dans cette explication que réside tout le problème de la rue Saint-Joseph. Son propriétaire n’est pas prêt à y investir, donc elle n’attire pas de nouveaux locataires, ce qui fait que l’équipement est déficitaire. Les dernières rénovations datent de 15 ans, les accès sont pour la plupart loin d’être invitants et le stationnement est déficient.
Les audiences publiques auront au moins permis de démontrer toute la créativité de la population. Plutôt que de parler de la démolition de ce lien de presque un kilomètre entre le Palais de Justice et la bibliothèque Gabrielle-Roy, certains ont soumis des propositions. On passe du simple ajout de plantes, de petits jeux d’eau, de bancs et de parcs pour enfants au remplacement intégral du toit par une véritable verrière. Plus visionnaire encore, le projet de Gabriel Lemieux, géographe touristique, propose de faire du Mail le premier jalon d’un futur Québec souterrain, inspiré du Montréal souterrain!
Plus près de la réalité, le ministre Landry annonçait, lors du dépôt du dernier budget provincial, que le Mail et ses alentours immédiats seront les hôtes du Centre National des Nouvelles Technologies de Québec. Les entreprises qui s’établiront dans les sites choisis profiteront de généreuses subventions salariales pour créer des emplois de haut savoir appliqué au secteur des arts et de la culture.
De plus, l’énorme bâtiment inutilisé qui abritait il y a quelques années un Zellers a trouvé preneur: la Régie des alcools, des courses et des jeux.
Des initiatives qui font dire à Alain Laliberté, directeur général de la SIDAC (Société d’initiative et de développement des artères commerciales): «Avec tous les projets autour du Mail, j’aurais attendu un peu avant de prendre une décision finale…»
Avouons que fêter le nouveau millénaire avec un Mail «cité informatique» redéveloppé à même l’héritage du passé serait nettement plus intéressant que le fêter sur des ruines…