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Citoyens opposés à la brutalité policière : Qui sème la merde?
Francis Dupuis-Déri
Chaque année, le comité des Citoyens opposés à la brutalité policière (COBP) invite les gens à manifester à l’occasion de la Journée internationale contre la brutalité policière, le lundi 15 mars. Cette année, la manifestation a tourné à l’émeute. FRANCIS DUPUIS-DÉRI, écrivain, collaborateur à Voir et membre de COBP, était de la manif. Il nous livre son témoignage et ses réflexions.
Le 15 mars, c’est la Journée internationale contre la brutalité policière. À cette occasion, des événements ont lieu un peu partout dans le monde. À Montréal, cette année, ce fut l’explosion. Oh! rien à voir avec les émeutes de Québec ou celles de la coupe Stanley. Non… à peine deux ou trois cents punks-squeegees qui ont laissé éclater leur colère. Résultat: plusieurs voitures de police bombardées de blocs de glace, de bouteilles et de pierres, et une dizaine d’arrestations musclées. C’était pourtant suffisant pour faire la une des quotidiens, qui titraient avec ironie que la manif contre la violence s’était déroulée dans la violence…
Facile en effet d’affirmer que les squeegees et les punks n’attendaient qu’une occasion pour tout casser. Mais cette explosion résulte surtout d’une provocation policière. Vers 16 h 15, alors qu’environ trois cents personnes attendaient calmement au square Berri que la manif se mette en marche, trois policiers n’ont rien trouvé de mieux à faire que d’arrêter un individu soupçonné d’avoir un couteau. Trois policiers qui marchent au milieu de trois cents punks-squeeges pour arrêter quelqu’un, c’est voyant, c’est provocant, c’est insultant. Surtout si la manif a justement pour objet de protester contre la brutalité policière. Comme celui qui cracherait sur l’hostie en pleine messe de minuit à l’oratoire Saint-Joseph, les policiers devaient savoir que leur geste serait perçu comme une provocation. Et comme celui qui sème la merde récolte la tempête, les policiers n’ont pas dû être surpris de voir qu’instantanément, la foule est descendue dans la rue et qu’elle s’est mise en marche.
Par leur provocation, les policiers demandaient en quelque sorte aux organisateurs de COBP de conduire au centre-ville, à l’heure de pointe et sans freins une manif de trois cents punks-vapeur dont ils avaient eux-mêmes provoqué l’embardée. Merci beaucoup, la police. Comme presque toujours dans les banlieues américaines et françaises, l’explosion a ici aussi été provoquée par une erreur policière.
Police et médias: copains-copains
Il faut dire qu’une telle provocation à un événement organisé par COBP n’a rien de surprenant. La police n’aime pas beaucoup COBP. Ainsi, des policiers ont rendu visite au moins à deux reprises au propriétaire du bar Le Zest où COBP organisait la veille de la manif une série de conférences sur la brutalité policière. Le tout se terminait par un show. Des discussions et de la musique, voilà tout. N’empêche que les policiers voulaient tout savoir, et qu’ils ont demandé au propriétaire du Zest les numéros de téléphone des organisateurs de l’événement. À quand l’instauration d’un permis pour seulement discuter entre amis de la sacro-sainte police?
Mais revenons à nos cochons. La manif, donc, a tourné à l’émeute. C’est en tout cas ce que la plupart des médias ont retenu. Le Journal de Montréal allait même jusqu’à titrer à la une: «Des policiers attaqués par des opposants à la… brutalité policière.» On sentait bien dans ce titre à qui allait la sympathie du journal. Et pourtant, la photo de la couverture montrait deux policiers baraqués comme des joueurs de football écrasant de tout leur poids une jeune femme étendue sur le sol. Le Journal de Montréal aurait donc tout aussi bien pu titrer: «Une manif contre la brutalité policière se termine par… de la brutalité policière.» Cela aurait été beaucoup plus cohérent avec la photo.
Mais lorsque les journalistes vous disent que telle manif a tourné à l’émeute, vous devez savoir une chose: le porte-parole du SPCUM, l’officier Ian Lafrenière, fait copain-copain avec les médias. Cela donne lieu à des situations plutôt tordues: lorsque, vers huit heures du soir, l’officier Lafrenière a garé sa voiture au coin Ahmerst et de Maisonneuve, où l’on venait de procéder aux dernières arrestations, le porte-parole du SPCUM a été accueilli par des journalistes et des caméramans qui multipliaient les poignées de main chaleureuses et les claques dans le dos. Comme une bande d’amis en fin de party, ils se racontaient les événements forts de la journée… en riant.
Pas étonnant dès lors que la plupart des médias aient souligné à gros traits la violence des manifestants. Pas étonnant qu’on ait oublié de mentionner que les policiers harcèlent 365 jours par année les prostituées et les squeegees, les professionnels du plus vieux et du plus jeune métier du monde, et que cela aussi explique peut-être la colère des manifestants. Ils savent bien qu’avec l’arrivée du printemps, les policiers vont redoubler d’effort pour les «nettoyer» du centre-ville. C’est que la fierté a une ville… Une fierté de fiers-à-bras.
Cette explosion de rage, c’était, pour les punks-squeegees, une façon de rééquilibrer, l’instant d’une nuit, un rapport de force où ils sont trop souvent perdants et sans défense contre ceux qui, en principe, devraient les protéger. Ceux qui vivent dans la rue savent bien que la nouvelle police de quartier ne fait pas de quartier.
Les journalistes qui rigolaient avec le porte-parole de la police ont aussi oublié de rappeler que les policiers qui ont tué Jose-Carlos Garcia, Richard Barnabé, Anthony Griffin, Jorge Chivarria-Reyes et Marcellus François sont non seulement encore en liberté, mais qu’ils n’ont pas été punis et qu’ils marchent pour la plupart encore armés dans les rues de la ville.
Pas étonnant non plus, lorsque l’on est si bon ami du porte-parole de la police, qu’on oublie de mentionner l’arrestation qui a eu lieu au début de la manif et qui a mis le feu aux poudres. Ian Lafrenière n’en parle sans doute pas trop devant les micros et les caméras. Curieux silence puisqu’il était justement l’un des trois policiers qui ont procédé à cette arrestation. Agent de la paix ou agent provocateur?