Société

La semaine des 4 jeudis : Les bourgeons gentilshommes

À Paris, il y a du printemps dans l’air. Et donc du Québec, puisque le Printemps du Québec y bat son plein. Art «littéral», performances, virtuel, entités robotisées, marathon d’écriture, la programmation quotidienne de l’événement regorge de happenings qui mettent l’accent sur la modernité du Québec au sens large du terme. Des fils, des écrans, des créations futuristes, des machines et des machins parlants, affirment en chour avec la ministre Beaudoin «que nous ne sommes plus au temps de la cabane à sucre mais au siècle du gratte-ciel.»

Mais enfin, depuis Céline Dion et Luc Plamondon, nos amis français ne savent-ils pas qu’il est bien fini le temps du sirop et des raquettes, le temps du pittoresque? Non?

Le directeur des services d’immigration du Québec à Paris confesse avec joie que la visibilité accrue de la Belle Province suscite des vocations d’immigrants. De toutes les terres de France cette année, on prend son baluchon. Oh! le beau pays. Oh! les grands espaces, s’exclament plus de trente mille Français. Cet engouement est le bienvenu, il s’accorde aux politiques des ministères. Voilà des gens auxquels on n’aura pas à apprendre le français et qui ne fileront pas, sitôt arrivés, faire le taxi à Toronto.

À l’usage de nos cousins de France qui voudraient entamer une nouvelle vie chez nous, L’Express a publié en mai dernier un numéro hors-série, une espèce de mode d’emploi intitulé Destination Québec.
Nos amis auraient tout intérêt à le lire, ils y apprendront pêle-mêle:

_ que nous nous nourrissons d’une «gastronomie à base de plats riches, de ragoût d’orignal ou de sanglier»,

_ que «nos cinq à sept durent plus longtemps et se terminent par des jeux de société»,

_ que si nous ne sommes pas racistes à l’égard des immigrants c’est parce que nous avons été «élevés dans la grande tradition canadienne anglophone qui interdit les jugements tranchés»,

_ que chez nous «le médecin ne se déplace que si vous êtes mourant ou handicapé».

«Pas très facile quand on a 40 degrés de fièvre et qu’il fait -20 degrés dehors», commente le magazine.

Un passage obligé par le lexique de la langue québécoise vous précisera aussi que «bobettes» veut dire «caleçon», «bargain» veut dire «solde», mais que «c’est un vrai bargain» veut dire «c’est une bonne affaire» et que si «gosses» veut dire «testicules», «avoir des gosses» ne signifie pas «avoir des testicules»… Vieilles finesses de la langue, que le Frenchie n’en finit pas d’assimiler!

Après une première conférence de presse peu courue, alors que la moitié de tout ce qui écrit soit parti se faire valoir outre-mer, c’est sans surprise que les grands hebdos français se penchent maintenant sur notre littérature.

Les gens qui parlent de ce que l’on connaît bien en parlent toujours mal. L’occasion est belle de feuilleter nos périodiques frenchies chéris et si crédibles, qui nous servent de référence lorsqu’ils parlent de l’Afrique ou de l’Asie.

Passons sur la grande image de couverture du très sérieux Courrier international: une roulotte crade et une demi-douzaine de cabanes à moineaux sur fond de neige. Voilà qui suffira à n’importe qui pour mesurer le sérieux de ces gens. Minable sans plus.

L’Express et le Nouvel Observateur n’ont rien trouvé de mieux que de titrer simultanément leur livraison de cette semaine «Vive le Québec livre». Comme c’est fin ce jeu de mots! Comme cela, surtout, est révélateur. Ne leur est-il rien resté du Québec que la phrase de De Gaulle?

On voudrait parler petite culture puisqu’à l’ombre des livres, la grande se bute _ pittoresque oblige _ au froid, aux grands espaces et aux tribus. Ce commentaire réducteur et particulièrement stupide de Jacques Godbout: «Au Québec, les seuls qui vivent de leur plume ce sont les Indiens» ne changera rien aux préjugés. À l’instar de Robert Lalonde qui explique que le clergé a chassé les Indiens des églises (quand?), il n’est pas le seul à se retrouver subitement de l’Indien dans sa nature et son vocabulaire, le temps de fourguer sa prose. Nous n’irons pas bien loin. Le temps de lire que Denise Bombardier est la plus célèbre écrivaine du Québec, d’entendre l’excellent Jean Fugère, à la télé de Radio-Canada, se battre les flancs de la bonhomie de nos auteurs chez Pivot, le temps de se dire que tout ceci restera un vase clos intellectuel, un jeu de yo-yo entre Québécois, le temps d’apprendre que le plus grand poète chansonnier depuis Vigneault et Leclerc s’appelle… Desjardins. C’est trop et pas assez.

Et que dire de cette expression utilisée un peu partout: Canadien-Francophone, de cette locution bâtarde que n’utilise plus personne _ sinon quelques anciens combattants, pas même Jean Charest _ et qui équivaut à l’égard de nos luttes, à traiter un Noir de nègre.

On pardonnera à nos cousins de ne pas saisir ces subtilités, moins de ne pas avoir engagé des journalistes qui s’y connaissent.

Mais qu’est-ce que tout cela? Une tempête filmée dans un verre d’eau. Cinq pages d’un côté, quatre de l’autre. Trois mots pour la musique, un entrefilet pour la danse… des journalistes, des animateurs de radio professionnels qui en couvrent d’autres, amateurs. Une enflure médiatique passagère, un chien qui court après sa queue, des tickets d’avion gratuits pour faire prendre l’air à des artistes blêmes… Montréal qui parle d’elle-même pour elle-même, à Montréal ou à Paris. Une opération de relations publiques téléguidée qui semble plus propice à flatter le politique que l’art, pendant que Guy Provost, faute de mieux, fait des pubs pour les arrangements funéraires de Norwich Union en attendant la politique du 1%.

Un grand peuple n’est jamais plus petit que lorsqu’il a besoin des autres pour croire en lui-même.