Société

Les relations judéo-québécoises : Shalom Québec

De Guy Bouthillier à Gretta Chambers, plus de deux cents personnes ont participé jeudi dernier à un colloque sur les relations judéo-québécoises. Un dialogue constructif qui vise à encourager les rapprochements entre «Québécois de souche» et «Québécois de souche… juive».

C’est au temple juif Emanu-El Beth Shalom, rue Sherbrooke Ouest, que se tenait le 25 mars dernier le colloque Les relations judéo-québécoises: identités et perceptions mutuelles, organisé conjointement par la Bibliothèque publique juive et par l’IREP (Institut interuniversitaire de recherches sur les populations). Un lieu symbolique puisque c’est dans cette synagogue qu’ouvra très longtemps le rabbin Stern, connu pour son esprit d’ouverture envers les autres cultures et même les autres religions. De plus, cette synagogue est tenue par des juifs du mouvement «réformiste», une branche du judaïsme qui défend une vision élargie de l’identité juive et qui permet aux femmes de devenir rabbins. Le véritable maître d’ouvre de cet événement était Pierre Anctil, cet écrivain qui a publié de nombreux livres sur la communauté juive au Québec, dont plusieurs originalement écrits en yiddish par des juifs montréalais, et qu’il a lui-même traduits. Ce colloque s’inscrivait parfaitement dans sa démarche personnelle, consistant à encourager les rapprochements entre les «Québécois de souche» et les «Québécois de souche… juive».

On peut affirmer, sans crainte de se tromper, qu’un colloque est un succès lorsque les organisateurs doivent constamment ajouter des chaises pour satisfaire la demande des nouveaux arrivants. Et ce colloque fut certainement un succès puisqu’il attira plus de deux cents personnes et qu’il permit d’établir un dialogue entre deux communautés qui ont souvent eu des rapports ambigus, pour ne pas dire conflictuels. Il était ainsi heureux de voir défiler des conférenciers juifs se disant souverainistes ou fédéralistes, d’apercevoir dans la salle Guy Bouthillier, le président de la SSJB, et d’entendre les témoignages de «simples citoyens» qui partageaient avec l’auditoire leurs expériences réussies de rapprochements interculturels. Heureux aussi de se faire rappeler le rôle qu’ont joué les juifs dans la construction du Québec moderne, que ce soit les élites et leurs dons aidant à mettre sur pied le Centre canadien d’architecture, la Bibliothèque Samuel-Bronfmann de l’Université de Montréal, l’Orchestre symphonique de Montréal ou encore les mouvements ouvriers juifs extrêmement combatifs pendant la première moitié du siècle, qui ont contribué à améliorer les conditions de travail de tous les Québécois.

Un des responsables de l’organisation du colloque, le professeur Gérard Bouchard, prit la peine de préciser d’entrée de jeu qu’un tel colloque constituait un «acte responsable d’une société qui veut se connaître». Il encouragea les participants à exprimer librement leurs pensées et mêmes leurs arrière-pensées, processus important pour permettre un véritable dialogue. Et en effet, si démocratie il y a, c’est certainement lors de tels événements qu’elle se vit et se construit, plutôt que dans l’isoloir froid du bureau de scrutin. Même si Pierre Anctil espérait que toute l’attention ne soit pas concentrée sur l’épineuse mais inévitable question de l’antisémitisme québécois, il n’est pas surprenant qu’elle ait été omniprésente tout au long de la journée. Il fallait assurément crever l’abcès pour entamer un véritable et franc dialogue.

C’est Victor Teboul, un juif souverainiste, enseignant au cégep Lionel-Groulx (!), qui, le premier, a soulevé la question de l’antisémitisme, si souvent couplée dans l’imaginaire collectif à la montée du nationalisme québécois. Teboul a confié qu’il s’agissait d’un problème particulièrement sensible pour quelqu’un comme lui qui se considère à la fois Québécois et juif: «Lorsque je lis des études dans les journaux révélant que, telle année, le nombre d’actes antisémites est moins élevé au Québec que dans le reste du Canada, je ne sais pas si c’est mon côté québécois ou mon côté juif qui est le plus soulagé!»

Dans l’ensemble, les intervenants ont cherché à dédramatiser la situation. Rebecca Margolis a même souligné que les poèmes yiddish d’ici qu’elle a étudiés célébraient Montréal et sa vie paisible. Elle a découvert que chez les poètes montréalais de langue yiddish, même les références à la vie catholique, comme le chant des carillons ou la croix du mont Royal, n’avaient aucune connotation négative. Voulant illustrer les bons rapports entre catholiques et juifs, Ignaki Olazabal du Département d’anthropologie de l’Université de Montréal, a quant à lui rappelé l’histoire d’un curé de Saint-Sauveur qui avait organisé une corvée dans le village pour reconstruire la ferme d’un juif, entièrement détruite par le feu.

Paradoxalement, plusieurs juifs qui vivaient à Montréal dans la première moitié du siècle déploraient que les anglophones soient «odieusement antisémites», selon Ignaki Olazabal. Gretta Chambers, ancienne chancelière de l’Université McGill, collaboratrice à The Gazette et sour du philosophe bien connu Charles Taylor, a elle aussi souligné que c’était sans doute les membres de l’élite anglophone plutôt que les Montréalais francophones d’extraction modeste qui étaient les plus frustrés _ et les plus menacés _ par la réussite socio-économique de nombreux juifs. Pour être admis à McGill, les candidats juifs devaient également avoir des notes supérieures à celles exigées des candidats chrétiens. Voilà des propos qui démasquaient ce que Gérard Bouchard a nommé l’«antisémitisme à visage unique».

Mais cela ne doit pas faire oublier que l’appui du FLQ et du RIN à la cause palestinienne dans les années soixante provoqua la méfiance de nombreux juifs à l’égard du mouvement souverainiste. Méfiance d’autant plus accrue que les écoles franco-catholiques avaient fermé leurs portes aux enfants juifs, qu’ils soient ashkénazes (juifs d’Europe de l’Ouest) ou même sépharades (juifs d’Afrique du Nord). La situation fut particulièrement pénible pour les sépharades obligés d’envoyer leurs enfants dans des écoles anglophones alors qu’ils étaient eux-mêmes francophones.

Le conférencier juif sépharade David Bensoussan a déploré qu’il y ait si peu de membres des communautés culturelles dans la fonction publique québécoise. Comment en effet espérer que ces individus s’identifient au Québec si le gouvernement provincial ne fait aucun effort pour leur ouvrir les portes de sa fonction publique? Prenant la parole pour répondre aux inquiétudes de Bensoussan, Gérard Bouchard, de façon surprenante, a clairement laissé entendre que le gouvernement du Québec s’apprêtait dans un avenir rapproché à ouvrir les portes de la fonction publique du Québec aux membres des communautés culturelles. Gérard Bouchard étant le frère de Lucien, il y a fort à parier qu’il soit bien informé. Mais il faudra plus que des promesses pour que les membres des communautés culturelles, dont les juifs, se sentent les bienvenus dans la fonction publique québécoise. C’est l’avenir qui nous dira si Bouchard est un vrai prophète ou un faux messie…