Le Printemps du Québec à Paris : La croisière s'amuse
Société

Le Printemps du Québec à Paris : La croisière s’amuse

Le saviez-vous? La littérature québécoise était en vedette au Salon du livre de Paris. Eh oui. Y a même quelques écrivains de chez nous qui sont allés rencontrer les Français. MAXIME-OLIVIER MOUTIER était du nombre. Pour lui, ce voyage ressemblait à une croisière. Un gros bateau rempli de vieux qui sirotent des drinks.

On a tellement fait de retours sur l’événement du Salon du livre de Paris qu’on ne sait même plus de quel bord on se trouve. Mais comme il est rare qu’en littérature il se passe quelque chose d’aussi gros, on nous pardonnera de presser le citron encore un peu, question de ne rien oublier. Des fois qu’on serait passé à côté. On en a entendu parler autant ici que là-bas, à la télé, dans les journaux, à la radio. Par les écrivains et autres gens du milieu. Tellement que je ne suis même plus certain de pouvoir encore dire quelque chose d’un peu neuf. Mais faisons confiance à mon jeune âge. Ça aide beaucoup.

Parce que j’étais le plus jeune de la délégation. Cette super délégation de soixante écrivains, considérés là comme étant les plus représentatifs de la littérature de chez nous. Bon. J’étais le plus jeune: vingt-sept ans. Ce qui, à ce qu’on raconte, est très, très précoce pour faire parler de soi au Printemps du Québec à Paris. Après moi, il y en a un de trente-trois ans et, ensuite, l’âge mental moyen des représentants devait atteindre les quatre-vingt-dix ans.
Il faut comprendre ce que cela signifie. Parce que durant tout le voyage, je me suis senti entouré d’une autre génération que la mienne. Surtout que Godbout n’a pas hésité, l’autre jour à la télé de Charette, à parler de la jeune littérature québécoise, en citant bien entendu les Laferrière, Soucy et autres Robert Lalonde. Les «ceux-là» qui sont allés à Pivot. «La jeune littérature québécoise», dit-il. Surtout que Laferrière écrit depuis maintenant dix-sept ans, et que les deux autres ont dans la quarantaine _ sans vouloir foutre le bordel, je trouve ce genre d’avancée un peu méprisante pour des écrivains de leur espèce. Mais Laferrière est retourné à Miami et, de là-bas, il s’en tape peut-être un brin. Je n’ai rien contre la jeunesse. Personnellement, j’espère quand même pouvoir être jeune avant l’âge de quarante ans.

Pour sauter directement dans le vif du sujet, je n’ai aucun scrupule à avancer qu’il est un peu là, le problème, avec cette littérature d’ici. Le milieu de la littérature québécoise est un milieu de vieux. Ils appréhendent la littérature comme des vieux, de la même façon qu’il y a trente ans. En n’y croyant toujours pas trop, en attendant la subvention. Des jeunes capables de se faire une place, on en connaît peu. Ce n’est pas la faute des Éditions du Boréal, c’est la faute des jeunes. C’est eux qui n’ont pas ce qu’il faut de personnalité pour s’imposer. C’est pour cela qu’on ne parle pas beaucoup des écrivains de moins de quarante ans. On en cherche, mais ils se font rares. Ce n’est donc pas ma faute si je suis jeune, même si ça me pose quelques problèmes quand vient le temps de me trouver des amis dans les cocktails.

Parce que des cocktails et des réceptions, il n’y avait que cela. Tous les soirs. Évidemment que nous nous sommes sentis importants, nous, les petits écrivains. Peu habitués à ce genre d’invitations. Évidemment que durant les dix jours, nous avons rencontré des gens importants. Ils étaient tous là: Bouchard, Beaudoin, Maltais et Parizeau. Même des patrons du Canada, que personne ne connaissait, nous ont invités à leur ambassade. Paraît qu’Yves Beauchemin _ c’est un scoop _ n’a pas voulu venir parce que c’était le Canada qui payait le drink. Là-dessus, je n’ai pas vu la différence. Sinon qu’on se sentait encore très importants, au centre de quelque chose de grand, d’un événement qui fera date.

Sauf que, chaque fois qu’on s’est sentis importants, c’était entre nous. Les Français, eux, étaient chez eux. Ils nous ont vus à la télé _ à Pivot, par exemple. Mais c’est tout. L’effervescence, les poignées de main et les compliments, c’était entre nous qu’on se les échangeait. On s’est même sentis au Québec, un instant. Quel bonheur!

La troisième vague
Ce qu’on appelle les écrivains de la deuxième vague _ ceux de la première étant les Blais, Ducharme et Godbout _ sont ceux qui sont le plus souvent passés dans les médias. Les trois qui ont fait Pivot, justement, une très bonne émission, soit dit en passant. Moi, je dois être de la troisième vague, celle qui n’existe presque pas encore. Du moins, pas pour les vieux de la première. Les vieux qui trouvent que les jeunes ne lisent plus, que le livre est en voie de disparition dans les mours de nos adolescents, etc., etc. Et qui continuent pourtant d’écrire comme des vieux. Comme en 1960.

C’est bien d’être vieux, mais n’en déplaise à Jacques Godbout, ce n’est pas toujours suffisant pour être intelligent. C’est pas pour dire du mal. C’est juste parce que, quand même, j’avais envie de le dire.

En ce qui me concerne, je suis content de la prestation québécoise chez Pivot. J’étais content qu’on y balance Dany Laferrière. Soucy: son livre est bon. Il a remporté le Gouverneur, et semble parti pour en écrire d’autres, tout aussi volubiles.Quant à Lalonde, on se dit: pourquoi pas, il est publié au Seuil. Et Boréal, son éditeur québécois, est une très belle maison d’édition puissante. Ils ont fait une bonne émission. Ce qui est important. Selon moi.

Parce qu’à mon avis, nous sommes en l’an 2000, et je crois qu’un livre doit toujours être accompagné d’un discours. Tant mieux pour Ducharme s’il a miraculeusement réussi à se faire connaître d’une autre manière. Mais je crois assez fermement que le lecteur d’aujourd’hui, le moderne, demande à ce qu’on soutienne ce que l’on fait. Comme il le demande à ses vedettes de cinéma, d’où les journaux à entrevues. S’il n’y a pas de discours entourant l’objet écrit, celui-ci aura beaucoup de mal à exister. Exister dans le sens de savoir se faire reconnaître par le monde extérieur. C’est de plus en plus le rôle que l’on demande aux écrivains de jouer. Celui de parler, de dire quelque chose d’articulé sur le monde social de maintenant. Sinon c’est quoi, un écrivain? Un type qui raconte des histoires? Peut-être. Je crois qu’il est important d’avoir fait ce qu’on a fait à Pivot. «On» étant, par abstraction, les écrivains québécois.

Même s’il paraît, à ce que l’on s’est laissé dire, que Pivot, ce n’est plus la fin du monde comme ce fut le cas dans le bon vieux temps. Paraît que le concept a pris de l’âge (quelle coïncidence), et que les Français ne le croient plus corps et âme comme ce fut déjà le cas. Autrefois, un passage à Pivot propulsait le sujet au rang des best-sellers du pays. C’était instantané. Tandis que maintenant, Pivot, c’est quelque chose qui passe tard en soirée, quelque chose de presque dépassé. Les effets ne sont plus aussi splendides qu’avant. Là aussi, à ce que l’on répand, il y aurait place pour quelques petites rénovations. Tiens donc.

Peu importe. Pour nous, les Québécois, Pivot représente encore quelque chose. C’est donc surtout ici, que l’effet Pivot aura battu son plein. C’est pour nous, pour le public lecteur d’ici, que Laferrière et les autres auront réellement gagné une notoriété à la suite de ce passage télé. Pour les Français, peut-être à court terme. En se croisant un peu les doigts. À long terme, sûrement pas. Tant mieux si je me trompe.

Mais concrètement…
Car concrètement, la difficulté n’est pas seulement de faire parler de soi dans un océan de publications annuelles _ 80 000 titres sont imprimés chaque année en France, tous genres confondus. Ce qui ne va pas, c’est le réseau de distribution auquel on a droit sur le territoire. On le sait. Les bouquins ne se retrouvant pas sur les étagères des librairies, on a beau passer à Pivot ou à Michel Drucker, rien à faire, on n’en vendra pas. C’est de l’économique. Du concret. Quelque chose que même les millions de dollars dépensés pour aller s’exciter à Paris ne pourront pas régler facilement. Un problème concret, tout simple, qui fait qu’en ce moment, même si tous les Français entendent parler en bien du Québec, ils auront de la difficulté à trouver nos livres. Donc pour le long terme, on repassera.
La perception du Québec par les Français. Elle est encore un peu débile. Les lecteurs français étant invités à nommer des gagnants parmi les soixante livres sélectionnés par Le Printemps du Québec ont quand même fini par voter pour Robert Charlebois et Antonine Maillet. Même pas pour Soucy et les autres nouveaux jeunes écrivains. Il va dans ce sens, le regard du public français. Vers les vedettes déjà connues. Bonne raison pour arrêter de s’illusionner.
Ainsi en va-t-il, en gros, du beau milieu littéraire québécois. Les jeunes, on les attend. Ils ont fait leur entrée à la télévision, au théâtre, un peu, en musique et en journalisme aussi. Mais côté livre: rien. Ou presque rien. La littérature, c’est encore des vieillards qui la gèrent. Et c’est pas eux qui vont réussir à casser quoi que ce soit, ni en France ni ailleurs. Pas même ici. Je suis sévère. J’exagère, sans doute. Mais je le fais avec beaucoup d’amour. Et si je me trompe, bien tant mieux.

Quant à moi, j’ai fait un beau voyage. Je n’ai à aucun moment vu dans cette invitation quelque chose qui constituerait un enjeu majeur pour ma verte carrière. C’était pas pareil pour tout le monde. Il y en a même qui étaient fâchés contre moi à cause de ce que j’avais dit dans Le Devoir de la veille concernant le fait que ça ne servirait à rien de dépenser tous ces millions, spécialement si on le faisait dans le but d’espérer se tailler une place parmi l’entité littéraire de la francophonie européenne. Des gens plus naïfs, sans doute. Mais qui étaient quand même fâchés contre celui qui était venu gâcher leur euphorie.

De mon côté, je raffermis ma position. J’ai vérifié à droite et à gauche, et je n’étais pas le seul à ne pas me faire d’illusions. On pourra s’en reparler dans quinze ans. Quand on sera de jeunes écrivains.

Ah oui! aussi, dans un autre ordre d’idées: l’affiche «Le Québec, un accent d’Amérique», je ne sais pas qui l’a faite, mais elle était vraiment très laide.