Société

Céline Galipeau et le conflit au Kosovo : Profession reporter

Elle ressemble un peu à Fanfreluche. Même visage de porcelaine, même douceur, même magnétisme. Sauf que les histoires qu’elle nous raconte sont loin de nous amuser. Pendant une vingtaine de jours, aux nouvelles de Radio-Canada, Céline Galipeau a décrit le désespoir et la détresse des milliers de réfugiés expulsés du Kosovo. Ex-correspondante à Moscou, elle connaissait déjà la guerre puisqu’elle avait couvert le conflit en Tchétchénie. Elle a même déjà suivi une formation pour reporters de guerre, donnée par des militaires britanniques. Mutée à Paris, où les sujets sont souvent moins hard, la voilà repartie sur le terrain, là où, visiblement, elle se sent le mieux.

Mardi dernier, Radio-Canada a organisé une petite rencontre avec les médias. L’objectif était double. Le premier: permettre à Céline Galipeau de raconter ce qu’elle avait vécu, une façon habile et délicate de «débriefer» quelqu’un qui a été profondément marquée par ce qu’elle a vu sans pour autant l’envoyer dans un cabinet de psy. Second objectif, plus ou moins avoué, celui-là, mais tout aussi légitime vu les circonstances: faire parler de la couverture radio-canadienne du conflit au Kosovo.

Depuis qu’elle est de retour à Montréal, on peut voir et entendre Céline Galipeau partout: à Radio-Canada, à RDI, à CKAC, à CBF. Tout le monde veut parler à celle qui a été nos yeux et nos oreilles pendant plus de deux semaines. Comment expliquer ce soudain intérêt pour un conflit aussi loin de nous, alors que les Québécois sont habituellement réputés pour leur indifférence vis-à-vis de la chose internationale?

La messagère elle-même y est sans doute pour quelque chose. La sensibilité des reportages de Galipeau (et le fait qu’on y parle surtout du sort des Kosovars, et non d’armement ou de stratégie militaire) a touché les Québécois. On veut savoir ce qu’elle a vu, ressenti, ce qu’elle pense du conflit, de sa durée, de son dénouement éventuel. «Je suis revenue la tête remplie d’images, raconte-t-elle. J’étais habitée par les propos que j’ai recueillis pour mes reportages. Mais je crois que ce qui m’a marquée le plus, c’est lorsque nous avons vu arriver une colonne de réfugiés qui marchaient sur la voie ferrée. Ils marchaient, tête penchée, prostrés. J’étais complètement démunie, je n’ai pas osé leur parler. En fait, j’avais honte d’être là, d’assister à ça.»

Cette image, au symbolisme insoutenable, nous l’avons vue aussi. À la télévision, assis dans notre salon. Après, nous avons zappé, privilégiés de pouvoir passer à autre chose. Pas Céline Galipeau. Avec son équipe (un cameraman et un preneur de son), elle travaillait environ 20 heures par jour (parfois malade et fiévreuse) pour alimenter Radio-Canada, RDI et CBC. Je ne veux pas en faire une martyre, et elle ne se présente pas ainsi. Mais sa présence parmi nous aujourd’hui a quelque chose de surréaliste. Elle-même a vécu un choc lorsqu’elle est rentrée à Montréal, en passant par Paris. Alors que des milliers de gens vivent entassés dans des camps, prisonniers alors qu’ils n’ont absolument rien fait, nous vivons ici, dans notre petit confort habituel, comme si de rien n’était. Pour nous, le conflit au Kosovo existe quelques minutes entre 22 h et 22 h 30.

La rencontre avec Céline Galipeau, qui a parlé de son expérience avec beaucoup d’émotion («On peut être sensible sans pour autant perdre son objectivité de journaliste.»), a également permis de connaître davantage les rouages de la machine de guerre radio-canadienne. Une bien modeste machine si on la compare aux équipes européennes et américaines, mais une machine qui livre la marchandise. Au total, deux journalistes couvrent à eux seuls le conflit. Céline Galipeau et Paul Workman (correspondant de la CBC à Paris) ont été remplacés la semaine dernière par Raymond St-Pierre et Don Murray. À la fin avril, Céline Galipeau retournera probablement à son poste. Cette fois, elle espère bien pouvoir rentrer au Kosovo pour constater l’ampleur des dégâts.

D’ici là, Radio-Canada poursuit sa couverture. Mardi prochain, à 21 h, on présentera une émission spéciale: Kosovo: que doit faire le Canada?. Un forum public où des citoyens ordinaires pourront discuter de l’engagement du Canada, et poser des questions à nul autre que notre subtil premier ministre Jean Chrétien. Un must.

Souverains anonymes
Depuis bientôt dix ans, sous la gouverne de l’infatigable Mohamed Lotfi, l’émission enregistrée à la prison de Bordeaux permet aux détenus de rencontrer des artistes, des politiciens et des personnages publics jouant un rôle important dans la société. Récemment, LES GARS de Bordeaux ont pu s’entretenir avec LA FILLE de la Fédération des femmes du Québec, Françoise David. Au menu: des questions franches sur la place des femmes dans la société (du genre: «Une femme n’a pas sa place dans le monde du hockey!»), les liens entre l’émancipation des femmes et le taux de divorce, la sensibilité particulière des gais face aux revendications des femmes et, bien sûr, l’affaire Rozon. Une discussion franche à écouter absolument les mercredis 21 et 28 avril, à 18 h, à CIBL.