

José Arruda : Nom de Dieu!
Pires, Rosa
Photo : Benoît Aquin
Monseigneur Turcotte a beau parler la langue de bois, ce ne sont pas tous les prêtres catholiques qui se plient aux mots d’ordre du pape. La preuve: JOSÉ ARRUDA, jeune prêtre de Laval, qui secoue ses ouailles par ses propos progressistes. Il refuse même d’accrocher des croix dans son église!
Ordonné prêtre à l’âge de vingt-huit ans, José Vieira Arruda préfère accorder une poignée de main chaleureuse au pape plutôt que de plier au baise-main traditionnel. Ce jeune prêtre quittera ensuite Toronto pour s’installer à l’église Notre-Dame de Fatima, à Laval, où, depuis onze ans, il secoue les tabous légués à une communauté ardemment catholique. Directeur du journal Lusopresse (journal montréalais de langue portugaise) et enseignant en théologie à l’Université McGill, il surprend jeunes et vieux de la communauté portugaise par ses propos que l’on juge parfois trop progressistes. Rencontre avec un homme qui veut renouer avec le vrai message de l’Évangile.
L’Église catholique ressent le besoin de faire de la publicité pour encourager les jeunes au sacerdoce. Selon vous, pourquoi les jeunes ne s’intéressent-ils plus à la mission cléricale?
L’Église est un régime d’hommes âgés qui refusent de s’ouvrir au monde. Un jeune m’a dit que l’Église ressemblait au Kremlin. Les évêques et le pape apparaissent sur leur balcon pour saluer les foules à l’image des Brejnev et compagnie. «Comme si le monde dépendait d’eux!ª» m’a-t-il dit. Notre image est archaïque, mais il y a un effort pour modifier cela. Nous utilisons peu les médias alors que les jeunes baignent dans cette culture.
Ensuite, il y a la question du rôle de la femme au sein de l’Église. Les jeunes perçoivent une injustice de l’Église face aux femmes, et cela les tient à l’écart. Aussi, les gens sont-ils mal à l’aise avec la notion du sacré et ils recherchent une autre image de Dieu, plus modeste. De plus en plus, nous quittons cette Église arrogante et monarchique pour nous diriger vers une Église de service.
Les positions de l’Église catholique quant aux changements éthiques de la société (l’avortement, l’homosexualité) demeurent conservatrices et ne s’adaptent pas à la réalité. L’Église devrait-elle changer son discours?
Nous devons ouvrir les yeux, et lire les signes du temps. L’idéologie des institutions, dont celle de l’Église, demeure conservatrice. Cela dit, il ne faut pas oublier que c’est de cette tension entre éthiques que naît la réflexion.
Prenons l’avortement. En principe, je suis contre, parce que je privilégie la vie. Néanmoins, tenons compte de l’avortement dans son contexte social et psychologique. La position pro-vie de l’Église est bénéfique quand, dans un contexte culturel comme celui de la Chine, on n’avorte que des fotus de sexe féminin. Cette position protège moralement ces femmes. Mais s’il faut choisir entre le moindre mal, alors péchons!
Il existe un fanatisme au sein de l’institution catholique qui m’attriste. Je vois des hommes d’Église devant des cliniques, prêchant à grand éclat le droit à la vie. Or, non loin d’eux, des gens meurent de faim, et ils n’agissent pas! Est-ce cela, respecter la vie?
De même, il faut situer l’homosexualité dans son contexte historique. Aux temps bibliques, l’idéologie dominante se basait sur la nécessité de procréer. On disait: «Multipliez-vousª!» Le peuple juif devait se multiplier, c’était un besoin démographique. Il est donc logique que les écritures bibliques aient condamné l’homosexualité. L’Église se base sur cette même idéologie de procréation pour désapprouver les relations sexuelles entre conjoints du même sexe, et continue de lire la réalité avec les yeux du passé.
Aujourd’hui, l’Église affirme ignorer la nature de l’homosexualité, mais elle défend les droits humains. Elle s’oppose à toute forme de discrimination, ne niant pas sa part de responsabilité dans les préjugés entourant l’homosexualité. Malheureusement, cette institution qui s’oppose à toute forme de discrimination hésite avant d’ordonner prêtre un homme gai. Souvent, elle ira jusqu’à l’écarter de la prêtrise!
Selon vous, pourquoi les femmes ne sont-elles pas admises à la prêtrise?
La fonction de prêtre est symbolique et sacrée. Le prêtre qui célèbre l’eucharistie devient, aux yeux des paroissiens, le symbole de Jésus. Le Christ et ses apôtres étaient des hommesª. Voilà le principal argument de l’Église pour écarter les femmes de la prêtrise. Les pressions de Rome sont fortes pour qu’on taise ce sujet, mais, au sein de l’Église, ce débat continue. Pour moi, ce qui est important, c’est le baptême, pas l’ordination. Une fois baptisés, nous représentons tous le Christ. La loi canonique n’est pas adaptée
à une société où les sexes sont égaux. Nous lisons encore la Bible avec des préjugés sexistes. Pour le bien de la mission de l’Église, et pour qu’elle soit davantage crédible, nous devons accorder l’ordination aux femmes.
Vous avez redécoré votre église. Vos paroissiens avaient investi dans divers crucifix, et se sont montrés offensés lorsque vous les avez retirés. Comment expliquez-vous votre geste?
Je trouve qu’on en a assez d’une Église de sacrifices et de culpabilité. La vie est déjà une croix en soi, nous n’avons pas besoin d’un Dieu qui nous en donne davantage! Quittons le baroque pour rencontrer la simplicité! Nos églises ne sont pas des musées, mais des espaces libres où tous se recueillent. Comment voulez-vous que l’on réfléchisse sur soi-même dans un espace encombré? Je précise que pour respecter les besoins des personnes âgées qui affectionnent ce genre d’environnement, nous avons aménagé une petite pièce pleine d’ornements religieux. Notre sensibilité visuelle, psychologique, ne tolère plus ces encombrements. Sa Sainteté suggère d’ailleurs aux églises de vendre leurs richesses pour les distribuer aux pauvres.
Et pourquoi le Vatican ne distribue-t-il pas ses richesses?
Eh bien, revoilà les contradictions de l’Église!
Monseigneur Turcotte semble déresponsabiliser l’Église à l’égard de
la cause des orphelins de Duplessis. Qu’en pensez-vous?
Monseigneur Turcotte replace ces malheureux événements dans un
contexte historique et politique, où les religieuses de l’époque ne
doivent pas être tenues coupables de ce qui est arrivé. Cependant, on ne doit pas oublier les victimes, même ci celles-ci peuvent
aller un peu loin, et profiter de l’attrait de leur
cause. Mais l’Église doit être capable de demander pardon et de faire
son mea-culpa. Nous devons être solidaires des victimes.
Vous dites que l’Église est à l’image de Sa Sainteté le pape Jean-Paul II, c’est-à-dire âgée et ayant du mal à se tenir deboutª. Quelle image souhaitez-vous pour l’Église de l’an 2000?
Sa Sainteté devrait se résigner, en se disant qu’à l’âge de 79 ans, il a accompli son devoir. C’est une attitude humaine de céder sa place à un autre. Le pape donnerait un beau message au monde en démontrant que personne n’est indispensable, à part Dieu. Je vous affirme que je ne suis pas le seul prêtre à penser cela.
L’Église de l’an 2000, je lui souhaite de naître. L’image qui m’inspire est celle d’une femme qui accouche. L’accouchement est un moment douloureux mais rempli d’espoir. Une rupture nécessaire afin d’accoucher d’une nouvelle vie. Aidons cette femme à accoucher, pour que cela soit moins douloureux et pour qu’elle ne meure pas. L’enfant devient plus sain lorsque la mère vit. Souhaitons aussi que l’Église fasse preuve d’imagination et qu’elle devienne visionnaire!
Église Notre-dame de Fatima: 1815 Favreau, Chomedey-Laval