Société

Droit de cité : La chevauchée des walkyries

La semaine dernière, la Commission de la sécurité publique de la CUM organisait une réunion afin de savoir si on devrait ou non approuver l’utilisation de l’hélicoptère par la police pour ses fameuses patrouilles de nuit. Le grand philosophe Yogi Berra, légende de la tautologie appliquée du base-ball («Ce n’est pas fini tant que ce n’est pas fini»), y aurait trouvé matière à procrastination.

Les dés devaient être déjà pipés. Les élus qui siégaient à la Commission, beaucoup plus proches du chef de police que du citoyen, devaient être déjà rendus aux arguments en faveur du Bell hélicoptère.

C’est donc de guerre lasse que des citoyens se sont rendus sur place.

Or, comme dans la fable du rongeur et du reptile, rien ne sert de courir, encore faut-il ne rien oublier avant de partir à point.

Le SPCUM a sûrement, quelque part dans ses cartons, la démonstration claire du sens vital d’une patrouille héliportée au-dessus des quartiers résidentiels de la métropole. Sinon, il ne l’aurait pas défendue, n’est-ce pas?

Sauf que ce soir-là, la haute direction de la police avait laissé son carburant à débat à la maison. Son plan de vol n’a pas fait une très longue sortie, et le tout s’est écrasé en bout de piste: «Messieurs les policiers, commencez par vous entendre avec les citoyens, tâchez cette fois-là d’avoir des réponses à leurs questions, pis revenez nous voir. On étudiera alors votre demande», a dit en substance Claire Saint-Arnaud, présidente de la Commission.

Apocalypse Now II
Pour faire une histoire courte, l’utilisation de l’hélicoptère par le SPCUM, l’été dernier, avait soulevé l’ire des résidants de certains quartiers, comme le Plateau, le Mile-End et le Centre-Sud. En gros, certains citoyens avaient l’impression d’entendre la trame sonore d’Apocalypse Now chaque nuit chaude de l’été.

«Ce n’est pas nous, c’est l’hélicoptère des autres», a répliqué d’entrée de jeu la police, prétextant que personne ne peut vraiment identifier un hélicoptère la nuit; avant de rétorquer, un peu plus tard, que la présence d’un hélicoptère de police dans le ciel a un effet dissuasif sur les criminels!

De plus, la police a ajouté qu’il n’y avait pas de patrouille au-dessus des quartiers résidentiels qu’en général, l’hélico se contentait de survoler le fleuve en attendant les appels. Wow! Pour être dissuasif, c’est dissuasif, en effet.

La police ne tarit pas d’éloges envers la patrouille sustentée, munie d’un projecteur puissant comme l’étoile mystérieuse. C’est pas des farces, il est tellement essentiel, l’hélico, nous dit la police, qu’il en est même indispensable!

Par exemple, en 1997-98, sur 102 interventions effectuées pour neutraliser des rôdeurs (le type d’interventions le plus fréquent, bien avant les poursuites à haute vitesse et les crimes in progress), l’hélicoptère a été plus rapide que les patrouilles terrestres une fois sur cinq! Résultat: ça a permis d’interpeller un grand total de vingt-six personnes. Pas de les arrêter, encore moins de les accuser _ juste de les interpeller, pour voir si…

Bref, le crime n’a qu’à bien se tenir! Une semaine sur deux. Du jeudi au dimanche, de 19 h à 5 h du matin. Comme le prévoit le contrat de location avec la GRC, le fournisseur de l’hélicoptère.

Il y a le changement, aussi. Le changement n’est-il pas le moteur de l’évolution? «Les temps changent, il faut faire autrement.» Eh bien, il n’en saurait être différemment pour la police. «La criminalité change», a confirmé la police devant la Commission. En effet, avant, le rôdeur rôdait, alors qu’aujourd’hui, il sème la mort, la destruction, le feu et le sang partout sur son passage.
Évidemment, il y aussi les inconvénients. Ce n’est pas moi qui le dis, mais la police: «Évidemment, il y aussi les inconvénients.» Ils ont été identifiés: «Ils (les inconvénients) proviennent des citoyens qui portent plainte contre le bruit.»

Ingrats. Vous n’avez pas honte d’être des inconvénients? Laissez le bruit tranquille!

Parce que, comme l’a dit la police, un hélicoptère la nuit ne fait pas le bruit d’un hélicoptère la nuit. Mais plutôt celui d’une tondeuse, ou encore d’un blender, la nuit. Ils en ont pour preuve une étude sérieuse de l’Organisation de l’aviation civile internationale qui compare le bruit du Bell 206B (l’appareil utilisé par la police) à celui d’une tondeuse ou d’un robot culinaire.

La nuit, les gazons!
À moins d’avoir comme voisin un désaxé compulsif, personne ne sait quel bruit ça fait, une tondeuse ou un blender la nuit, parce que personne n’en a jamais entendu. Jusqu’à preuve du contraire, les tondeuses et les blender, sont silencieux la nuit.

Puis, la comparaison n’est pas à l’avantage des policiers. Faire rouler sa Toro la nuit mérite rien de moins qu’une crucifixion sur la croix du mont Royal.
Alors, reprenons l’argument, mais à l’envers, c’est-à-dire: pour la promotion de l’usage de la tondeuse la nuit. «Voyons, madame, cessez de vous plaindre inutilement, les études démontrent qu’une tondeuse n’est pas plus bruyante qu’un hélicoptère!»

Comme dirait l’autre, ça sonne déjà pas pareil.
Mais surtout, quand la police se sent obligée d’invoquer, à tous les coins de rue, les bouts de chou égarés en forêt dans une cité de deux millions d’habitants, parmi les plus densément peuplées en Amérique, histoire de promouvoir l’usage de son hélicoptère, il y a un léger problème.