Le Festival du 8e art : Foufounes éclectiques
Société

Le Festival du 8e art : Foufounes éclectiques

Du 6 au 29 mai, les Foufounes électriques accueilleront le Festival du 8e art, une expo qui célébrera le travail du sexe par le biais de films, de toiles et de photos. Une manif ludique, mais aussi politique.

Organisé par la Coalition pour les droits des travailleuses et travailleurs du sexe en collaboration avec d’autres groupes tels que Séro-zéro, Stella et Passages, Le Festival du 8e art: le travail du sexe nous présentera des ouvres d’art réalisées par des travailleuses du sexe détenues à la prison pour femmes Tanguay, des extraits de films québécois, et des diapositives d’ouvres signées par des peintres célèbres et mettant en scène des professionnels du sexe. On y retracera aussi l’histoire du Red Light de Montréal.

Mais cette manifestation ne sera pas que ludique: elle sera aussi politique. Pascale Galipeau, «commissaire» de l’exposition, explique que cet événement lui donne «l’espoir de contribuer à l’humanisation de la société».
Anna-Louise Crago, militante de la Coalition pour les droits des travailleuses et travailleurs du sexe, est l’une des organisatrices de l’exposition. Elle nous fait part des idées qui sont à la source de ce nouveau festival.

En quoi cette exposition est-elle politique?
Premièrement, il faut du courage pour exposer, pour s’identifier publiquement comme travailleuse ou travailleur du sexe. On se demande: «Qu’est-ce que ma mère va penser, qu’est-ce qui va arriver à mon enfant?» Ceux qui exposent sont prêts à prendre le risque parce qu’il y a quelque chose qui les y pousse. C’est politique.

D’ailleurs, être militant, surtout dans les métiers du sexe, implique qu’on risque d’être harcelés par la police, d’avoir des difficultés à se trouver un appartement. Et la famille endure également la stigmatisation, de façon parfois dramatique.

Les militantes et militants de la Coalition sont très politisés. En quoi sont-ils représentatifs de l’ensemble des travailleuses et travailleurs du sexe?
En général, ceux qui sont politisés sont rendus à un stade dans leur vie où ils sont capables de s’asseoir et de penser aux implications politiques des choses, plutôt que de ne penser qu’à survivre. Nous ne prétendons pas avoir assez de vécu pour pouvoir tout comprendre! Chaque personne dans l’industrie du sexe a une expérience spécifique _ et qui peut d’ailleurs changer au cours de sa propre carrière _ en ce qui a trait à l’argent, au pouvoir, à la drogue, aux gens qu’elle rencontre. Nous tentons, quant à nous, de créer une vision qui englobe toutes ces expériences, et qui prend en compte les diverses façons de participer à l’industrie du sexe (comme par exemple le sexe sur Internet, la danse, la prostitution de rue, et la prostitution masculine qui est tellement ignorée).

D’ailleurs, nous ne parlons pas de notre vécu car ça pousse les gens à croire qu’on est trop stupides pour parler d’autre chose que de notre propre expérience. Un journaliste qui travaille dans un des grands quotidiens montréalais nous a téléphoné pour nous dire que le texte de l’entrevue qu’il venait de réaliser avec nous ne serait publié que si l’on fournissait des photos de nous en g-string!

Vous militez pour les droits de ceux et celles qui travaillent dans l’industrie du sexe. Mais que répondriez-vous à quelqu’un qui dirait: «Si vous n’êtes pas heureuse dans l’industrie du sexe, vous n’avez qu’à vous trouver un autre job»?
C’est condescendant, en plus de révéler une acceptation tacite des conditions de travail qui existent et qu’il faut changer.

Comment l’éclatement des stéréotypes sexuels et l’effet de mode autour des travestis affectent-ils votre militantisme?
Ça facilite l’émergence des revendications des travailleurs du sexe. Dans la Coalition, beaucoup de militants sont d’ailleurs transsexuels, bisexuels ou gais. Je crois qu’il y a un lien très étroit entre nos valeurs par rapport à la sexualité, et nos valeurs concernant les métiers du sexe.

La décriminalisation doit être liée à un changement des valeurs sociales. Au début des années 90, les policiers ont joué sur l’idée de la honte lorsqu’ils ont procédé à des descentes dans les bars gais où l’on baisait en public. Ils utilisent la même approche pour réprimer les prostitués. Et personne ne conteste, de peur d’être vu.

En dénonçant le silence et la stigmatisation qui entouraient le VIH au début des années 80, les gais et les sadomasochistes ont ouvert les esprits à la réalité du monde souterrain, de la sexualité, de la bisexualité, de la drogue, etc. Il faut se souvenir qu’à l’époque, les médecins qui participaient aux colloques sur le SIDA avaient peur de dire «pénétration anale»!

Vous avez également établi des liens avec des groupes d’autres pays.
Oui. Savoir qu’en Argentine, par exemple, des gens s’organisent en dépit d’obstacles importants, ça nous redonne énergie et passion. Ces réseaux nous permettent également de comprendre les liens qui existent entre les métiers du sexe, le néolibéralisme, l’immigration, notre vie personnelle, etc. Tous ces réseaux de solidarité d’ici ou d’ailleurs nous donnent l’occasion de nous parler sans la présence du client, du gérant de club ou du policier, ce qui nous permet d’accroître notre conscience et nous aide à comprendre les forces en jeu.

Voulez-vous mobiliser et politiser les gens qui ouvrent dans l’industrie du sexe?
Je ne prêche pas, je ne suis pas missionnaire! Ce qui importe avant tout pour la Coalition, c’est d’être accessibles lorsque l’urgence se fait sentir. Quand il y avait beaucoup de descentes de flics dans les bars de danseuses, voilà deux ans, beaucoup de danseuses se présentaient à la Coalition. On dénonce également le discours médiatique qui parle du «nettoyage de rues», ou encore le fait que les policiers utilisent des mots de code comme «indésirables» pour parler de nous.

La criminalisation de nos vies, de nos familles et de notre travail est une violence en soi. On n’est pas pour la légalisation mais pour la décriminalisation. La criminalisation frappe encore plus tragiquement les personnes qui sont dans une situation de survie. Sans oublier que la prostitution de survie est souvent reliée à la pauvreté et à la toxicomanie.
Il y a beaucoup de programmes de désintoxication qui refusent les prostitués, ou qui exigent qu’on renonce aux métiers du sexe et qu’on renie notre passé de travailleur du sexe. Il y a également beaucoup d’abris pour femmes battues qui refusent les transsexuels. La société combat les toxicomanes plutôt que la toxicomanie; les prostitués, plutôt que la pauvreté. La société choisit mal ses luttes, même si elle a sans doute de bonnes intentions.

Info: 285-8889.

Rendez-vous sur notre site Internet pour des liens concernant le travail du sexe.