Société

4 jeudis : Entre l’arbre et la coque

Un biologiste en colère me fait remarquer que deux erreurs se sont glissées dans cette chronique la semaine dernière (Comme un long fleuve, Voir vol. 8, numéro 18). L’une concernait le lieu d’accostage du navire de l’équipe Cousteau, la seconde, le nom de ce même navire _ Alcyone au lieu de Halcion. Désolé pour les éditeurs du catalogue international des noms de bateaux et les fabricants de neuroleptiques.

Plus sérieusement mon interlocuteur me dit que je ne sais pas de quoi je parle. Il s’inquiète que mes propos puissent porter préjudice au travail d’une communauté d’écologistes et de citoyens de la Baie des Chaleurs. Ayant mal situé les faits, je m’en excuse auprès des intervenants de la place.

Pour le reste j’assume.

Devrais-je spécifier que _ justement _, puisque je ne sais pas de quoi je parle, j’ai cité au hasard quelques sources réputées compétentes qui, incidemment, partageaient toutes une opinion plus ou moins négative à l’égard des quinze secondes de propos des Cousteau, telles qu’entendues à la télé.

Le téléphone a aussi sonné. Chez Environnement Canada, mis en cause par les gens cités dans cette chronique (dont Daniel Green de la Société pour vaincre la pollution), «… on n’est pas content.» Le contraire m’aurait étonné. Mettant en doute mon impartialité, «on» estime que si Green s’en prend au beau ministère en arguant des pratiques incestueuses, d’une sympathie étonnante entre Cousteau et l’État, ainsi qu’en contestant certaines études, c’est entre autres parce qu’il n’a pas reçu de subventions depuis un bout de temps, ses projets ne rencontrant pas les critères d’éligibilité du ministère. Depuis, Green voit des complots partout dans le beau monde du silence paraît-il. Je n’ai pas demandé à Green ce qu’il pense de cela. Pas plus que je ne demanderai à Greenpeace s’il est vrai qu’une partie de leurs commentaires relèvent d’un esprit de concurrence envers Cousteau ou d’un racisme latent envers le peuple latin que nous sommes, comme on me l’a suggéré. Tout cela pue trop.

Je voudrais quand même ici rapporter les propos de Léonce Naud, membre de la Société des gens de baignades. Oui, ceux-là mêmes qui barbotent chaque été dans le bassin Louise. M. Naud considère «qu’on peut se baigner sans danger, 60 % du temps, dans le Saint-Laurent, et manger la majorité des poissons que l’on pêche devant Québec.» Avec une longueur d’avance, Naud annonce une ruée des citoyens vers les usages du fleuve. Il presse les gouvernements d’en défendre dès maintenant les accès publics. Intéressant.

Quelles que soient leurs compétences, outre de tous plaider pour un fleuve plus beau et plus propre, certains des détracteurs de cette chronique ont des vocations de donneurs de leçons. Ils s’arment chèrement de statistiques et de chiffres incontestables, afin d’exercer le droit de réplique. Car l’opinion publique n’a pas de prix. Mais l’opinion publique ne croit plus aux chiffres ni aux discours convenus. Elle a le soupçon facile. Moi aussi. Alors, ces donneurs de leçons abusent de gros mots tels démagogie et intégrité, contestent la compétence des sources, leur prêtent des motivations inavouables, la gloire, le sensationnalisme. Bref, faute de contrôler le message, on discrédite les messagers.

Comme d’autres accusent Desjardins de tenir un discours biaisé et de ne pas avoir les compétences requises pour parler de la forêt.

Comme d’autres encore veulent poursuivre Léopold Lauzon parce qu’il aurait une mentalité anti-cléricale.

Ce genre de niaiseries pseudo-éthiques fourniront assurément du travail à deux générations de pisse-vinaigre.

À moins qu’on ne se lasse de voir des sociétés d’État engloutir nos taxes afin de se donner bonne presse.

Qu’on se fatigue de bouffer de l’info-publicité déguisée en reportage. Qu’on s’écoure des émissions telle Au cour de nos vies, série sur le monde minier financée par un État qui a laissé l’industrie détruire une ville au nord.

À moins qu’on ne se lasse d’entendre les deux prises de courant d’Hydro mémérer pendant que les pauvres se font tirer le breaker à chaque printemps.

Tiens, impénitent, je vous offre une autre anecdote à saveur écologique sur fond de relations publiques.

L’Association des manufacturiers de bois de sciage du Québec a invité un dénommé Patrick Moore à sa première conférence annuelle en tablant sur le fait qu’il est l’un des membres fondateurs de Greenpeace. Monsieur Moore est désormais un membre actif de la Forest Alliance de Colombie-Britannique, un groupe défendant exclusivement les intérêts de l’industrie forestière. Greenpeace dénonce «qu’on ait sorti des boules à mites un personnage qui n’a plus rien à voir avec ses activités et ses positions.» Jeudi dernier, l’organisation écolo est sortie manifester contre ce qu’elle qualifie de «tentative visant à induire la population en erreur.» Voulez-vous mon avis? Tous les moyens sont bons pour… Oups, attendez là… Il faut que je consulte tous les intervenants du «dossier» sinon je vais encore me faire chicaner.

Ne sortons pas du bois pour autant.

Les arbres, c’est devenu toute une affaire. On en coupe dix à Montréal, tout le Québec en entend parler. Et voilà que «géranium», le maire écolo de la métropole, se fait traiter d’inconscient par l’opposition.

Homme prévoyant s’il en est un, notre maire à nous a fait émettre quelques communiqués rappelant que s’il ne faut pas d’autorisation pour planter des arbres, il en faut une pour les couper, même sur votre propriété. Tenez-le-vous pour dit. Dans un même souffle, les frênes de la municipalité, menacés d’anthracnose _ un champignon microscopique qui provoque une sorte de rouille peu élégante _, seront aspergés de fongicide en fin de semaine.

Pour ne pas être en reste, le gouvernement du Québec annonçait le financement de 23 nouveaux projets, présentés par autant de municipalités, qui permettront d’en finir avec les ravages du verglas de 1998. Pour ramasser, élaguer, déchiqueter et planter des arbres, Anjou, Beaconsfield, Chénéville, Delson, Ripon, Sainte-Julie, Saint-Valentin, Weedon, etc. recevront des sommes qui vont de 4 000 à 600 000 dollars.
On coupe au nord, on plante et l’on soigne au sud. Au Québec, l’arbre peut donc prétendre à une certaine noblesse puisque, outre son essence, sa valeur se mesure aussi selon le lieu de sa naissance.

La pire affaire qui peut arriver à un arbre c’est bien de vivre dans le bois.