Démolition de l'église Notre-Dame du Chemin : Les marchands du temple
Société

Démolition de l’église Notre-Dame du Chemin : Les marchands du temple

Notre-Dame du Chemin est démolie et ses objets d’art sacré dilapidés par des antiquaires. Pour laisser la place à des condos. Simple mauvaise expérience? Un comité vient d’être mis en place pour statuer sur l’avenir de onze autres églises de Québec…

Le vacarme d’un marteau-piqueur qui s’acharne contre la pierre, le grincement d’une grue de trente mètres de hauteur, les cris d’une nuée d’ouvriers. Soudain, un pan de mur se met à vaciller. Tout le monde s’écarte et regarde la chute d’un ange doré qui s’écrase sur le sol. Un nuage de poussière s’élève dans le ciel, dans un silence assourdissant. La messe est bel et bien dite pour l’église Notre-Dame du Chemin.

Sous sa petite casquette bleue, un vieil homme scrute l’irrémédiable démolition. La gorge nouée. Claude Lavoie était organiste à la paroisse Saints-Martyrs-Canadiens, dans le passé. Sa passion a toujours été de sentir les vibrations émises par les églises au moment où résonne une musique liturgique. Il a même voyagé en France et en Italie, rien que pour y dénicher des chapelles aux atmosphères si particulières, empreintes de lumière et de foi. Et là, de retour chez lui, en plein cour de Québec, il assiste à la fin d’une époque pour le quartier Montcalm.

«Notre-Dame du Chemin a fini d’être bâtie en 1930, explique Claude Lavoie. Certes, elle n’avait pas la splendeur des églises européennes, avec ses murs en brique et en béton mais, tout de même, il y avait quelque chose dans son enceinte. Une certaine majesté, disons. Une majesté qui disparaît à vue d’oil, maintenant qu’il ne reste plus qu’un épéhémère squelette métallique, comme les os d’une baleine échouée.»

Certains habitants du quartier se promènent aux alentours et gémissent: «Quel dommage, moi qui ai été baptisé ici-même…» Mais à ceux-là, Claude Lavoie n’adresse pas la parole: «Ils pleurent maintenant, mais il faudrait qu’ils soient logiques avec eux-mêmes. Ils se sont fait baptiser à Notre-Dame du Chemin mais, après, ils ne sont jamais allés à la messe. Eh oui, si l’église a d’abord été fermée, il y a deux ans, puis détruite, c’est pour deux raisons: les infiltrations d’eau dans la façade qui rendaient le passage dangereux, et surtout le manque de fréquentation qui a incité à prendre cette décision fatale, au lieu de faire les réparations nécessaires.»

Bientôt, à la place de l’édifice religieux, un condominium moderne, comme il en pousse un peu partout dans la Vieille Capitale…

Le syndrome Notre-Dame du Chemin
Mgr Maurice Couture, l’archevêque de Québec, ne mâche pas ses mots quant à la réalité de la situation de l’Église: «En tant que propriétaires, on agit comme des personnes responsables, qui ont conscience d’avoir des trésors entre les mains. Mais, des trésors, ce n’est pas monnayable. Il y a des gens qui croient que l’Église est riche, mais ce sont des richesses encombrantes… En effet, il nous est devenu financièrement trop lourd de conserver des édifices qui ne sont plus utilisés. J’estime qu’il est alors de mon devoir de dire: "On n’en peut plus", et de me tourner vers d’autres organismes en mesure de prendre les édifices en charge. Il s’agit de notre part ni de démission ni de saccage des églises, mais bien d’être responsable.»

Le 7 avril dernier, dans l’église Saint-Roch, l’archevêque de Québec, le maire Jean-Paul L’Allier et la ministre de la Culture et des Communications Agnès Maltais ont signé une déclaration conjointe de sauvegarde des églises de la Vieille Capitale. Afin d’éviter que le syndrome de Notre-Dame du Chemin ne frappe à nouveau, comme le souligne Mme Maltais: «L’objectif principal est la transparence vis-à-vis des citoyens, qui maintenant auront trois années pour soumettre des projets le jour où, éventuellement, il faudra prendre une décision quant à l’avenir d’une église de Québec.»

L’avenir? Justement, la ministre lâche: «On a des choix à faire dans l’avenir, on le sait…» Mot rapidement souligné par Jean-Paul L’Allier: «Nos ressources ne sont pas illimitées…» Car le plan conjoint comporte une première cruciale: la catégorisation des églises.

Ainsi, seize des trente-sept églises de Québec resteront ouvertes coûte que coûte en raison de leur richesse patrimoniale. C’est la catégorie 1. Dix autres verront au moins l’extérieur entretenu, grâce à une rallonge budgétaire de 20 millions de dollars sur quatre ans fournie par le ministère de la Culture et des Communications. C’est la catégorie 2. Tandis que les onze dernières pourraient très bien être un jour rasées, sinon recyclées pour un autre usage. C’est la catégorie 3.

Mgr Maurice Couture confirme: «On n’a pas de plan, mais on peut en revanche avoir des prévisions, au diocèse. Par exemple, concernant le quartier Limoilou, on dispose de onze églises, de toute évidence plus que n’en a besoin la population, ça, c’est connu. De sorte que les paroisses auront à prendre des décisions en ce qui concerne le lieu de culte à conserver.»

Cette catégorisation a été préparée par le centre de développement économique et urbain, lequel s’est basé sur les recherches et les analyses menées par les consultants Luc Noppen et Lucie K. Morisset, en 1994. Que trouve-t-on dans ce document? Notamment des descriptions d’églises qui laissent présager un sombre avenir, même si encore rien n’est officiellement décidé. Par exemple, Sainte-Claire-d’Assise, dans Limoilou, se résume à: «1950, garage municipal transformé; de peu d’intérêt architectural; intérieur polyvalent.» Ou encore Sainte-Odile, toujours dans Limoilou, à: «1963, Sylvio Brassard, arch.; forme octogonale qui émerge d’une base carrée, la lecture des volumes devient problématique, l’ensemble paraît lourd; technologie: espace sans colonne par l’emploi d’une structure de bois lamellé-collé.»

Aux mains des antiquaires
Inquiets, des paroissiens se sont regroupés pour former une corporation pour la sauvegarde et le développement des églises de Québec. Un mouvement né au moment où le sort de Notre-Dame du Chemin se jouait dans les hautes sphères, sans que la population ne soit véritablement impliquée. Claudine Dorval, l’une des responsables de cette corporation, raconte: «On a perdu une bataille, mais pas la guerre. La corporation va désormais être attentive aux décisions qui pourraient être prises dans le futur concernant le patrimoine religieux de Québec. Ce n’est pas seulement une question de croyance, cela va plus loin, il s’agit de l’histoire même de la Vieille Capitale.»

Claudine Dorval mène encore un dernier combat pour Notre-Dame du Chemin: elle compte acheter l’ensemble des objets d’art sacré qui décoraient l’édifice afin des les exposer dans un lieu de mémoire. Elle explique: «On a mené notre enquête et on a découvert que ces objets sont maintenant entre les mains d’antiquaires! Déjà, l’autel, ou encore la balustrade, se sont envolés au Colorado. On ne les reverra plus jamais. Mais heureusement, j’ai pu faire des promesses d’achats à ces antiquaires, ce qui peut permettre de conserver à Québec des calices, des ciboires, des bibles, des statues, ou encore les plans originaux des architectes. Le hic, c’est qu’il faut bientôt payer, et le montant s’élève à 10 000 dollars.»

Le conseil de quartier de Montcalm, ou bien le nouveau comité de concertation sur le patrimoine religieux de Québec créé par Mrg Couture, M. L’Allier et Mme Maltais, sauront-ils prêter une oreille attentive à la requête de Claudine Dorval? En fait, jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour la sauvegarde de notre patrimoine? Le débat est lancé plus que jamais. On songe par ailleurs à ce qu’est en train de devenir le carré d’Youville: prochainement deux grands hôtels _ dont l’un à la place du défunt cinéma de Paris _ vont y apparaître, lesquels vont permettre d’offrir 1 200 chambres de plus aux touristes.

Claudine Dorval soupire: «Québec change brusquement de visage. Elle devient plus moderne, plus fonctionnelle. C’est bien, mais faut-il que le prix soit la destruction des vestiges du passé? La Vieille Capitale risquerait alors de perdre sa dénomination si l’on rase tous ses anciens édifices pour y mettre à la place des hôtels ou des condos flambant neufs.»