Société

Le Livre noir de l’automobile : Woh les moteurs!

Au Québec, un accident d’auto se produit toutes les trois minutes. Chaque année, ces accidents font près de mille morts, deux mille handicapés et quarante-huit mille blessés. Avec son Livre noir de l’automobile, RICHARD BERGERON nous indique la route à suivre pour mettre un frein à ce massacre.

La voiture est une arme. Même que la mignonne Coccinelle était, à l’origine, une commande d’Hitler, produite par des esclaves, pour servir l’idéologie nazie. Elle était la «voiture du peuple». Aujourd’hui, l’automobile est une arme au sens propre, beaucoup plus efficace, et elle se retourne trop souvent contre son supposé maître. C’est du moins ce qu’affirme Richard Bergeron dans Le Livre noir de l’automobile, qui est aux autos ce que Le Livre Noir du communisme était à Lénine et à Karl Marx.

Après des années passées comme coopérant dans les pays du Tiers-Monde, ce docteur en aménagement a décidé qu’il était temps pour lui d’étudier sa propre société. «Ça faisait vingt ans que je songeais à un livre comme celui-là, j’ai toujours pensé que la conduite automobile était le domaine de la vie où l’on était le plus cons», explique-t-il. Et il sait de quoi il parle! «J’ai été cinq ans chauffeur de taxi et j’étais particulièrement baveux. J’étais impliqué dans des accrochages au moins toutes les semaines, et il m’est arrivé de me retrouver avec un fusil entre les deux yeux à cause de mes folies…»

Il aura fallu un peu plus de quatre ans pour que son livre voie le jour. «Je voulais réveiller le monde, renouveler la pensée sur le sujet de l’automobile tout en ne tombant pas dans l’analyse bêtement gogauche.»

Maintenant que c’est fait, Richard Bergeron ne conduit que lorsque c’est nécessaire. Le reste du temps, il pédale entre sa charge de cours à l’université et le ministère des Transports qui, malgré son livre choc, vient de lui donner un contrat!

Plus gros, plus fort
On parle beaucoup de la rage au volant, depuis quelque temps. Pour Richard Bergeron, ce n’est qu’une autre façon de parler de la violence automobile. «Selon les dernières statistiques, 32 % des gens admettent poser des gestes violents lorsqu’ils conduisent, comme freiner brusquement devant un piéton ou klaxonner inutilement. Quand j’étais chauffeur de taxi, j’utilisais mon auto comme une arme.»

Même la publicité joue sur des thèmes violents. Dans son livre, l’auteur cite plusieurs textes publicitaires: «Une vraie bombe», «La force brute sans concession», «Prenez le contrôle de la route», «Né pour dominer», sans oublier le fameux «Tasse-toi mononcle»…

«L’industrie automobile cherche à faire de l’argent par tous les moyens, dit Richard Bergeron. Or, le marché est stagnant depuis de nombreuses années. Pour faire plus d’argent, il faut que les fabricants vendent leurs autos plus cher. Ils augmentent donc la grosseur des moteurs, fabriquent des autos plus grosses, plus puissantes.»

Pour l’auteur, cette course au profit est dangereuse. «Vous avez 2 % de risques de mourir des suites d’un accident d’auto; 4 % de devenir handicapé; 8 % d’être blessé gravement, et 66 % de l’être légèrement…»

Prendre un virage
Dans son livre, Richard Bergeron propose un nombre important de solutions à la violence automobile, en commençant par la plus simple: limiter ses capacités. «Je ne comprends pas que le gouvernement permette la vente d’engins qui peuvent dépasser de plus de deux fois la limite de vitesse légale. C’est absurde!»

Quand on lui demande ce qui est le plus urgent, il affirme: «Il faut absolument réurbaniser les abords du métro: c’est le projet le plus porteur. On vient d’annoncer l’injection de 250 millions de dollars pour allonger le métro jusqu’à Laval. À la place, on aurait dû subventionner la construction d’édifices à logements aux abords des stations existantes: ça aurait apporté dix fois plus d’usagers!»

Richard Bergeron n’est pas dupe: il sait que sa lutte contre l’automobile est loin d’être gagnée. Les cinq plus grandes entreprises de la planète sont liées à l’auto; et au Canada, GM, Ford et Chrysler occupent trois des cinq premières places. On ne peut donc pas s’attendre à des changements bien rapides. On assiste même à un recul des forces démocratiques devant le lobby de l’auto. «On a offert trente-cinq millions de dollars à Kenworth pour préserver trois cents emplois, et on s’apprête à donner trois cents millions de dollars à GM pour sauver huit cents emplois. C’est plus de cent mille dollars par emploi! On pourrait en créer beaucoup plus en mettant notre argent ailleurs.»
Selon l’auteur, nos gouvernements touchent sept milliards de dollars de revenus par année avec l’industrie de l’auto, ce qui pourrait expliquer ces choix. «Les médias aussi sont largement financés par cette industrie. Selon mes calculs, 40 % des revenus publicitaires de la télévision, 25 % de ceux de la radio et 20 % de ceux des journaux viennent des géants de l’auto…»

Jusqu’à maintenant, seule la radio de Radio-Canada, qui n’a pas de revenus publicitaires, a parlé du Livre noir de l’automobile. Serait-ce que le «quatrième pouvoir» a peur de mordre la main qui le nourrit?

Le Livre noir de l’automobile
Éditions Hypothèse, 1999, 435 pages

Crash

Quelques chiffres tirés du livre de Richard Bergeron

– Le 24 décembre 1999, l’auto tuera une vingt millionième personne depuis son invention. À ces «sacrifices humains», on peut ajouter 600 millions de blessés, dont 40 millions handicapés à vie.

– Depuis son apparition, le sida a emporté 5,8 millions de personnes. Pendant la même période, l’automobile en tuait 8,5 millions.

– En quinze ans au Québec, la route a tué 2 700 cyclistes et piétons. 50 % des piétons tués étaient des enfants de moins de quatorze ans et des personnes âgées.

– Dans les dix dernières années, le poids de l’automobile moyenne a grimpé de 440 livres (200 kilos) et la puissance du moteur est passée de 100 à 150 chevaux-vapeur.

– Le prix réel des voitures a augmenté de 40 % depuis une décennie. Il n’y a plus sur le marché que des automobiles hyper-performantes.

– La centaine d’entreprises de l’industrie automobile totalise plus de 2000 milliards de dollars de chiffre d’affaires, ce qui lui permet de dominer la plupart des économies nationales et même l’économie mondiale.

– La publicité est le nerf de la guerre automobile: 13 % de son chiffre d’affaires y est investi.

– L’industrie automobile n’est pas créatrice d’emplois. Alors qu’elle représente 25 % de l’économie, elle ne fournit que 10 % des emplois. De plus, c’est un secteur déficitaire qui fait perdre au Québec 10 milliards de dollars par an.