Société

Les arnaques à la carte de crédit : Visa pour la liberté?

Transaction via Internet, paiement dans un restaurant ou dans une station-service… Les escrocs rivalisent d’astuce pour pirater les cartes de crédit. Au plus grand désarroi de la police, presque impuissante face à des réseaux internationaux.

Si loin et si proche… Ça fait trois mois que Caroline est partie étudier à Lille, dans le Nord de la France. Trois mois que François ne la voit plus, qu’il l’entend seulement au téléphone. C’est long. Il découvre alors une astuce qui va enchanter sa blonde: lui envoyer un énorme bouquet de fleurs, via Internet. Facile: il s’installe sur le site d’Aquarelle, une chaîne de fleuristes qui a pignon sur rue au Canada et en France, passe sa commande en tapant un petit mot doux et règle par carte de crédit.

Pas de souci puisque le site claironne que le paiement est «sécurisé», à savoir que la transaction est cryptée et que ni le numéro de carte de crédit ni l’adresse du client ne peuvent être interceptés. Oui, mais voilà…. Stupeur deux mois plus tard quand un internaute français dévoile sa découverte: il est parvenu à pénétrer dans la partie théoriquement invisible du site d’Aquarelle, celle réservée aux informaticiens du marchand de fleurs! À la clé, tous les secrets de la société, mais surtout un bon millier de fiches clients ayant commandé des bouquets fin 1998.

Noms, adresses, numéros de téléphone de ceux qui expédient des bouquets et de celles qui les reçoivent. Tout est là, y compris les petits mots d’amour, comme «Ton bouchon qui t’aime», ou même des câlins envoyés à son «tendre amour clandestin»… Mais le plus grave, c’est que l’internaute en question a également accès aux numéros des cartes de crédit, avec la date d’expiration. Disposer de ces informations permet d’acheter tout ce que l’on souhaite sur le Web, sans la moindre difficulté durant plusieurs jours, tant que le propriétaire n’a pas reçu la première facture des achats qu’il n’a jamais effectués.

Erreur anecdotique d’un seul site sur le Web? Pas du tout. Il y a quelques mois circulait sur le réseau une liste de numéros de cartes de crédit. S’en servait qui voulait. Roger Vézina, caporal de la section des crimes économiques de la Sûreté du Québec, souligne: «Vu la vitesse des progrès technologiques, on peut malheureusement craindre que de telles fraudes n’augmentent.»

Clones de cartes de crédit
Si les arnaques à la carte de crédit sont assez récentes sur le Web, cela fait plusieurs années qu’elles se pratiquent lors des transactions courantes par une astuce redoutable: le clonage. Les enquêteurs de la SPCUM ont récemment arrêté un réseau de fraudeurs algériens qui étaient en contact avec des complices aux États-Unis, en Europe et en Asie. En quelques mois, c’est une centaine de numéros de cartes de crédit que se sont échangés ces groupes installés sur des continents différents.

Le procédé est simple. Un escroc travaille à la caisse d’une boutique ou d’un restaurant. Au moment du paiement normal de la victime, il se débrouille pour passer la carte de crédit dans un boîtier qui enregistre les données inscrites sur la bande magnétique. Discrètement, sans que la victime ne remarque quoi que ce soit: l’encodeuse personnelle tient dans la poche ou peut être placée sous le comptoir. Aussitôt après, les renseignements sont envoyés aux complices qui fabriquent un clone de la carte. Dans 90 % des cas, le clonage s’effectue en Asie, notamment à Hong-Kong, car les copies y sont presque parfaites grâce à l’utilisation de logiciels graphiques.

Puisqu’une carte canadienne est valide partout dans le monde et qu’il faut du temps à la victime pour savoir que des copies de sa carte sont utilisées aux quatre coins du globe, ce type d’arnaque est particulièrement intéressant pour les fraudeurs. D’autant plus que les lois internationales ne sont pas uniformes: plusieurs pays, dont le Mexique et le Japon, n’ont pas encore légiféré sur l’arnaque au clonage de cartes de crédit! Plusieurs experts de la section des crimes économiques, à la Sûreté du Québec, s’interroge: «Qui doit faire l’enquête et où doit-elle être menée? Dans le pays où l’on a utilisé la carte ou dans celui où l’on devra payer la note?»

Selon l’Association des banquiers canadiens (ABC), en 1998, le nombre de cartes de crédit (associées à Visa ou à MasterCard, les deux principaux réseaux au Canada) utilisées frauduleusement a été de 126 384, soit un crédit frauduleux de 104,8 millions de dollars. Depuis quatre ans, ces fraudes ont tout bonnement augmenté de 62 %.

Comment éviter de se faire arnaquer? La banque CIBC vient d’émettre un document pour aiguiser l’attention des utilisateurs de cartes de crédit. Dedans, quelques conseils pratiques, comme de toujours garder l’oil sur sa carte au moment du paiement, pour le client. Ou encore, pour le commerçant, de bien regarder la carte de crédit, qui doit notamment avoir une caractéristique impossible à reproduire: sous le numéro, Visa et MasterCard ont respectivement embossé en bas à droite un V et un MC stylisés.

Des trucs faciles pour contrer la fraude mais, on le sait bien, on a beau s’ajuster aux fraudeurs que déjà ceux-ci ont découvert une nouvelle ruse pour contourner notre méfiance. Les plus grosses arnaques sont celles que l’on ne connaît pas encore…