Benoît Dutrizac : La télé sous haute surveillance
Société

Benoît Dutrizac : La télé sous haute surveillance

BENOÎT DUTRIZAC est scénariste. Il y a quelques mois, il accouchait de Haute Surveillance, un projet de télésérie sur des gardes du corps. Mais les producteurs l’ont complètement réécrit, afin de le rendre plus «grand public». Ce qui l’amène à se poser une question: y a-t-il de la place pour l’originalité et l’audace à la télé québécoise? Ou est-ce le black-out total?

Je déteste écrire à propos de la télé. Ce n’est pas mon métier. Mon métier est de raconter des histoires, d’écrire de bons dialogues, de structurer une intrigue étonnante, de provoquer des réflexions, de faire rire, de faire chialer, de faire grincer des dents. De plus, c’est certain, je vais offusquer des gens qui ont droit de vie ou de mort sur les projets, dont les miens. Mauvais plan de carrière. Mais la controverse autour de la télésérie Haute Surveillance m’oblige à poursuivre ma réflexion.

Chaque fois que je dois écrire à propos de la télé, c’est pareil: je me retrouve en train de me cogner la tête sur mon clavier. Ce que je peux dire ou non. Ce qui est su et connu, mais que personne ne révèle pour ne pas se retrouver sur une quelconque liste noire.

Je ne veux pas nécessairement blesser les gens, mais c’est ce qui se produit quand on dit qu’on n’aime pas ce qu’ils font. Parce que, souvent, ce qu’ils font est ce qu’ils sont. Et je n’ai pas l’autorité de remettre en question la valeur d’un auteur, d’un producteur ou d’un réalisateur (ajoutez des «trice» partout) simplement parce que leurs trucs ne me font pas triper. Il y a tellement de susceptibilités titanesques, d’amour plus ou moins propre, d’ego indégonflables qu’il est impossible de même soupirer d’exaspération devant des émissions de télé sans en payer le prix tôt ou tard.

Parce qu’il ne faut jamais oublier que ces ouvres sont incarnées par des gens que l’on va retrouver sur notre chemin, un jour ou l’autre. Donc, est-ce qu’on peut vraiment dire ce qu’on pense de leur téléroman ou de leur sitcom? Hummm… pas sûr. De fait, il n’y a que ceux qui ne vivent pas de la télé qui peuvent la critiquer ouvertement. Et ça s’appelle des critiques.

Petit milieu
Pourquoi la télé déclenche-t-elle autant de passions? Si la télésérie Haute Surveillance avait été un roman et que la même situation s’était produite, est-ce que les journalistes s’y seraient autant intéressés? J’ai cinq mots pour vous: Salon du livre de Paris. Ou: We don’t give a fuck. La culture au Québec passe par la télé. Pas les livres, pas les films, pas les pots de plantes: la télé. Malheureusement, à part les deux premières années d’Omertà, rien à la télé ne m’allume.

Ça ne signifie pas que les créateurs québécois soient incompétents. Simplement, je ne regarde aucun téléroman, aucune série, aucune sitcom québécoise. Sauf quelques minutes ici et là pour constater que c’est du pareil au même. Qu’on parle et parle et parle. Qu’on a tous au fond de bons sentiments. Qu’on chante tous les mêmes chansons d’amour. Qu’on aime donc ça rire quand un gars nous parle de ses problèmes de couple. Et la majorité des gens qui font de la télé ne la regardent pas non plus.

Vous voyez, ce dernier paragraphe vient d’offenser l’ami de quelqu’un qui est quelqu’un. Montréal est si petite que j’ai retrouvé un de mes anciens voisins à un souper de postproduction avec lequel il n’avait rien à voir.

Alors imaginez ceux et celles qui décident! Des producteurs, réalisateurs, scénaristes qui vont et viennent du privé au public, du côté des décidés à celui des décideurs. Seule une certaine arrogance arrive à sauver leur santé mentale. Comme tout un chacun doit protéger ses arrières, ceux qui partent demeurent bons amis avec ceux qui sont restés, et les relations s’entretiennent à partir de curriculum vitae interchangeables. Ça s’appelle des contacts.

Pourtant, j’adore la télé. C’est un média fantastique pour rejoindre les gens. Je consomme à la carte. Aucune fidélité pour aucun poste…

Dénominateur commun
Bref, la question se résume à ceci: Avons-nous vraiment les moyens de nous offrir une télé originale? Une télé qui ne vise pas le dénominateur commun le plus bas possible? Une télé qui ne s’adresse pas à tous, mais qui pourrait conquérir de nouveaux fans? Une télé audacieuse? Quand on sait qu’autant dans les stations de télé que dans les institutions ou les maisons de production, une personne fait le travail de cinq. Dans ce contexte de folie furieuse, de burnouts à répétition, de stress omniprésent, est-ce qu’on peut demander à un télédiffuseur de satisfaire les goûts d’une minorité ?

Peut-on poser des questions générales sur l’état de la télé, autant en tant que spectateur qu’en tant que créateur, sans avoir l’air petit ou envieux? Peut-on simplement demander pourquoi il n’existe pas de genres à la télé, comme il en existe en littérature ou au cinéma? Comment se fait-il qu’aucune série de science-fiction québécoise n’a vu la

lueur du petit écran? Qu’il n’y a jamais eu de fiction d’horreur pour l’Halloween? Que les dessins animés sont tous moralisateurs et plates? Qu’il n’y a jamais eu de série noire? Où sont les intrigues? Où sont les frissons? Où est la folie? Pas à la télé, en tout cas.

Car si c’est toujours une question de fric, eh bien, que les directeurs de la programmation avertissent les créateurs et les administrateurs. Et s’il n’y a que l’humour qui marche, eh bien, qu’on le dise une bonne fois pour toutes. Qu’on annonce que, désormais, seul les projets de téléséries humoristiques seront lus.

Et il faut voir quel genre d’humour… Rien de politique, oh non! Pas trop social. Du bon humour qui provient du bide… ou un peu plus bas. Le reste, on n’en veut pas. Adressez-vous au département du téléroman. Ça, les ados et les boomers aiment bien ça. Des relations personnelles. Des querelles à n’en plus finir. Et des histoires à dormir debout. Les télés montréalaises n’ont de l’argent que pour faire des téléromans ou des séries lourdes, et encore, seulement s’ils sont proposés par une poignée d’auteurs qui ont fait leurs preuves.
Pourquoi? «Parce que toute émission de quelque genre que ce soit va attirer au plus 10 % du public…» Mais qui nous dit que cette réponse est valable? Personne, car au Québec, il n’y a jamais eu de télé de genres.
Aux États-Unis, 10 % du public peut assurer des profits aux producteurs. Mais ce n’est pas le cas ici.

Malheureusement, nous avons les mêmes critères de sélection… sauf qu’on n’en a pas les moyens. Il faut bien l’admettre: la formule fonctionne. Deux personnages, deux chaises, une table et un service à café. Maintenant, chicanez-vous.

Et moi et moi
Entendez-vous les oufs craquer? Parce que je marche dessus depuis le début du texte. Il existe tellement d’exemples de conflits d’intérêts, mais tellement, qu’il serait répréhensible de ma part de donner un ou cinq ou dix noms. En fin de compte, si j’avais écrit Haute Surveillance, est-ce que j’aurais protesté contre cette pratique courante de tasser les auteurs? Probablement pas.

Je ne suis ni mieux ni pire que les autres. J’ai gueulé parce que je subissais l’injustice. Ce n’est pas d’aujourd’hui que des théoriciens imposent leurs décisions aux praticiens. Sauf que c’est à moi que c’est arrivé.

Et christ, je le prends pas.