Société

Grandes gueules : Montréal n’a pas besoin d’un autre pont!

Le spectacle de la horde de banlieusards ahuris perdant des centaines d’heures sur le béton, l’asphalte fumant et dans la pollution lourde qu’ils disaient pourtant vouloir fuir en allant vivre en banlieue, aussi navrant soit-il, n’est pas le principal problème que cette transhumance quotidienne fait vivre à la région.

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Un des problèmes collatéraux – trop souvent passé sous silence – est la perte de productivité entraîné par les dizaines d’heures qu’ils volent à leurs collègues vivant à Montréal pour tenter de les convaincre – chiffres à l’appui – que ça leur prend juste vingt minutes porte à porte pour se rendre au bureau!

Il ne faudrait pas non plus minimiser les douleurs musculaires qu’ils s’infligent en essayant de cacher leur manteau dans leur dos en souriant niaiseusement dans les ascenseurs à 15 h 30 alors qu’ils tentent de s’éclipser sans que ça ne paraisse (ben non, ça paraît pas!), histoire d’arriver avant leurs voisins dans l’entrepôt de leur choix où, cette semaine seulement, les soixante livres de croquettes de faux poulet sont en vrai spécial!

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Plus sérieusement, le problème des embouteillages – concret et bien visible -, bien qu’il constitue une cible de choix pour une certaine classe de politiciens que l’abstaction déroute, n’est rien par rapport à la destruction que ce type de transport a infligée aux résidants de Montréal.

Des dizaines d’artères sont devenues des «no man’s land» parce qu’elles se transforment matin et soir en pistes de course pour handicapés sociaux: Papineau, Saint-Urbain, Notre-Dame (dans l’Est), Saint-Patrick, Berri (au Sud), avenue du Parc et L’Acadie.

D’autres, comme Christophe-Colomb, Saint-Joseph, Saint-Denis, Saint-Laurent ou Ontario ont vu la valeur des logements locatifs s’effondrer par rapport aux rues voisines, ou tout simplement par rapport à leur propre potentiel.

Partout, en ville, des quartiers se sont appauvris ou ne se sont pas développés parce que les grandes artères qui les traversent sont devenues des limites repoussantes au lieu de devenir les beaux – et même les chic – boulevards qu’ils auraient pu être.

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Il faut avoir vu une photo des terre-pleins gazonnés des boulevards Saint-Joseph ou Pie IX plantés d’ormes majestueux, il y a quarante ans, pour imaginer comme la vie pourrait redevenir belle si on ne s’acharnait pas, depuis quatre décennies, à penser la ville en fonction des automobilistes plutôt qu’en fonction de ses résidants.

Imaginez sur Christophe-Colomb entre Rosemont et la Métropolitaine un terre-plein sur troies voies à la manière des ramblas de Barcelone, ombragé par les arbres et traversé de pistes cyclables. C’est tout le quartier qui prendrait une nouvelle dimension.

Imaginez Saint-Denis ou Saint-Laurent avec des trottoirs plus larges à la manière des Champs-Élysées à Paris, ou des terrasses plus envahissantes comme sur le cours Mirabeau à Aix-en-Provence: c’est tous les deuxièmes et troisièmes étages qui se mettraient à revivre et le commerce qui prendrait une nouvelle dimension.

Imaginez que la quasi-autoroute qu’est le boulevard Saint-Laurent devant le parc Jarry devienne un boulevard-belvédère bordé de beaux grands immeubles à l’italienne, les rez-de-chaussée occupés par des cafés où il ferait bon paresser, et les balcons protégés du soleil par des auvents multicolores.

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Montréal est déjà une ville étonnante; peu s’en faut qu’elle devienne magnifique. Les gens qui l’habitent ont le potentiel pour la transformer en ville de charme (ce qu’elle est déjà un peu, il est vrai), à la réputation internationale.

Il faut arrêter de sacrifier son potentiel de développement sur l’autel du transport des banlieusards. Ce faisant, on leur donne raison de quitter la ville.

Ce qu’il faut faire maintenant, c’est le contraire.

Un pont coûterait huit cents millions de dollars et permettrait le transit de 40 000 résidants. Que l’on investisse la moitié de cette somme dans la réappropriation de nos boulevards – au profit des résidants, cette fois -, et il n’y aura plus de raisons pour que 40 000 lascars fuient le paradis.

P.-S.: Si vous êtes intéressé par cette question, vous pouvez me joindre au [email protected]