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Amnistie internationale : Feu sur les États-Unis
Frédéric Huiban
Les États-Unis n’hésitent jamais à donner des leçons de morale au monde entier. Pourtant, même au «Royaume de la liberté», on viole les droits de la personne. Amnistie internationale se charge de nous le rappeler, à l’aide d’une campagne-choc…
Chaque année, Amnistie internationale lance une campagne mondiale destinée à sensibiliser les gens aux violations des droits de la personne commises dans un pays. Cette année, la campagne «Les mêmes droits pour tous» vise… les États-Unis, le «grand sauveur» de la démocratie mondiale, où la peine de mort continue de faire des victimes (on va bientôt procéder à la 500e exécution capitale), et où l’on n’hésite pas à exécuter des mineurs.
Le cas de Stanley Faulder apparaît comme le point d’orgue de cette campagne. Condamné à mort pour le meurtre d’une riche Américaine, ce Canadien de soixante et un ans a passé les vingt dernières années de sa vie en prison de haute sécurité (ce qui a coûté près de deux millions de dollars aux contribuables). Or, non seulement l’ambassade canadienne n’a pas été avertie de son arrestation, comme la loi le prévoit, mais il existe de sérieux doutes quant à la crédibilité du témoignage qui l’a envoyé en taule.
Qu’à cela ne tienne: «justice» suit son cours. C’est ainsi que le 10 décembre dernier, lors du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, Stanley Faulder est passé à quarante minutes de l’injection létale, grâce à un sursis de la Cour suprême des États-Unis. Malgré l’intervention de Madeleine Albright auprès du comité des grâces du Texas, Faulder risque toujours d’être exécuté, le 17 juin.
Comme le rappelle Amnistie, le hic avec la peine de mort, c’est qu’elle n’est pas réversible: elle condamne parfois des innocents. Il y a deux semaines, en Illinois, on a retiré les charges de meurtre et de viol qui pesaient contre Ronald Jones. Des tests d’ADN ont prouvé son innocence… huit ans après sa condamnation!
«Ce n’est pas une preuve que le système de justice fonctionne bien, explique Gilles Sabourin, représentant de la section canadienne francophone d’Amnistie. Si ce n’était d’Amnistie internationale et d’autres organismes qui ont enquêté à fond sur ces cas, ces personnes innocentes auraient été exécutées.»
Noir et Blanc
C’est en 1973 que la peine de mort a été réintroduite aux États-Unis. Depuis ce temps, soixante-dix-neuf condamnés à mort ont été libérés, après que l’on se fut rendu compte de leur innocence! Sans parler de ceux qui ont été exécutés à tort…
De plus, la peine capitale a tendance à viser davantage les Noirs que les Blancs. Plus de 81 % des prisonniers qui ont été exécutés entre le début de 1977 et la fin de 1998 avaient été reconnus coupables du meurtre d’un individu de race blanche. Or, il y a autant de Noirs que de Blancs victimes de meurtre chaque année, aux États-Unis! Serait-il moins grave de tuer un Noir?
Un moratoire sur cette forme moderne de barbarie peut-il exister? Le problème, c’est que le système de justice criminelle est indépendant dans chaque État. Mais il y a de l’espoir. Cette semaine, par exemple, le Nebraska a décrété une pause de deux ans pour les exécutions, à cause d’un trop grand nombre d’irrégularités dans les procès. Et l’Association des juristes américains appuie Amnistie dans sa demande de moratoire concernant la peine capitale.
«Dans les années soixante-dix, la peine de mort a été abolie partout aux États-Unis pendant un an, dit Gilles Sabourin. Elle a été réinstaurée un an et demi après… Mais il y a eu une trêve! Malheureusement, ces dernières années, la tendance est plutôt à l’augmentation du nombre d’exécutions. Mais on s’approche d’un seuil critique que les autorités ne pourront pas franchir. On espère que ce vent de folie va obliger les Américains à faire preuve de plus de rationalité…»
Le Massachusetts, le Michigan et le Maine viennent d’ailleurs de voter contre la réintroduction de la peine de mort. Début d’un retour en arrière?
Renseignements: 766-9766
«Land of the free»
* Depuis 1980, le nombre de prisonniers aux États-Unis a plus que triplé, atteignant 1,7 million de détenus, alors que le nombre de femmes incarcérées a été multiplié par quatre. Plus de 60 % appartiennent aux minorités raciales ou ethniques. Plus de la moitié des détenus sont afro-américains, alors que les Noirs ne représentent qu’un peu plus de 12 % de la population.
* Un nombre croissant d’enfants âgés de moins de dix-huit ans sont incarcérés dans des prisons pour adultes, où ils risquent particulièrement d’être victimes de sévices.
* Douze prisonniers qui ont été exécutés étaient mineurs lorsqu’ils ont commis leurs crimes; et trente étaient des malades mentaux…
* En Californie, des gardiens de la prison d’État de Concoran auraient mis en scène des combats de «gladiateurs» entre détenus, en pariant sur les résultats.
* En Arizona, à la suite d’émeutes survenues à la prison d’État de Graham, les gardiens auraient obligé plus de 600 détenus menottés à rester à l’extérieur, sous une chaleur intense, pendant 96 heures. L’accès aux toilettes leur était interdit.
* À la prison de haute sécurité de Baltimore, des détenus ont été enfermés dans des cellules individuelles d’à peine 5,5 mètres carrés, entièrement closes. Ils ont été privés d’exercice à l’air libre pendant plusieurs années, jusqu’à ce que le ministère de la Justice menace d’intenter un procès.
* En 1995, pour la première fois depuis plus de trente ans, on a réintroduit la «chaîne de forçats», une pratique qui consiste à enchaîner les prisonniers entre eux.
* En mars 1997, Michael Valent est mort des suites de la formation d’un caillot sanguin, après être resté attaché sur une chaise d’immobilisation pendant seize heures. Il avait les pieds maintenus par des fers, et un trou avait été percé dans la chaise pour qu’il puisse uriner et déféquer sans bouger. En juin 1996, à la prison du comté de Maricopa (Arizona), Scott Norberg est mort asphyxié après avoir été maintenu sur une chaise d’immobilisation, avec une serviette sur le visage, parce qu’il avait refusé de quitter sa cellule. Avant de l’attacher sur la chaise, les gardiens lui avaient infligé plus de vingt décharges électriques.
* On oblige de plus en plus les prisonniers à porter des ceintures neutralisantes qu’un gardien peut actionner à distance; lorsqu’il presse un bouton, une puissante décharge électrique fait tomber le prisonnier par terre en lui infligeant une douleur intense.