Société

La semaine des 4 jeudis : Suivez la Guilde

Je pensais que les rugissements féroces et la grosse colère publique des producteurs de Notre-Dame-de-Paris auraient renvoyé la Guilde des musiciens du Québec dans son coin, tête basse, menacée par la poursuite de 1,2 million de dollars intentée contre elle par Coscient. Nenni, loin de là.

En plus d’envisager une action contre le producteur Charles Tallar pour voies de fait contre la personne de Libert Subirana, président de la Guilde, nos amis musiciens sont partis battre la campagne. De retour d’Europe, le président rentre au pays avec le soutien de 250 000 musiciens de France, de Suisse, d’Angleterre, de tous les États-Unis et du Canada. Le bras de fer entre Coscient et la Guilde pourrait donc s’intensifier. On a taxé la Guilde de rétrograde. Fait valoir qu’en ces temps où l’échantillonnage peut remplacer un orchestre, où les D.J.’s réinventent la musique sur des platines avec de vieux 33 tours, il est inutile de revendiquer une présence humaine dans la fosse d’orchestre. Je ne vois pas ce que ce genre d’argument a à voir avec un opéra rock qui fait jouer, soir après soir, un enregistrement d’instruments traditionnels: basse, batterie et guitares…

Dans ce contexte, la bande sonore fait presque figure de scab. Déjà, les musiciens qui l’ont enregistrée ont, paraît-il, cédé leurs droits.

Les producteurs ont fait valoir qu’il faudrait 60 musiciens pour jouer live la trame sonore de Notre-Dame-de-Paris, qu’aucune fosse d’orchestre ne serait assez grande pour les accueillir. Gérard Masse, vice-président de la Guilde, fait valoir que dix musiciens pourraient suffire amplement. Il en coûterait, selon lui, approximativement 1600 dollars par soir pour rémunérer ces dix musiciens. Ce qui représente le prix de 24 billets. Les producteurs de Notre-Dame-de-Paris vont passer pour des cheaps.

Depuis que la Guilde a mis son grain de sable dans cette machine bien huilée, les interprètes de Notre-Dame se sont peu fait entendre. Luck Merville, Daniel Lavoie – jadis dépouillé de ses droits d’auteur – et d’autres, encore sauvés de la famine, de l’oubli ou de l’ordinaire, finiront l’année millionnaires en francs français. Sont-ils solidaires des producteurs ou bien de la poignée de musiciens qui pourraient payer le loyer sans inquiétude pendant quelques mois? Des musiciens, des amis, ils en connaissent assurément quelques-uns. Et Luc Plamondon, défenseur acharné du droit d’auteur, comment son cour peut-il ne pas pencher vers l’autre moitié de la chanson, sa musique, ses musiciens?

Je ne suis pas certain de ce que Notre-Dame-de-Paris gagnerait à être joué live par des musiciens d’ici. Je sais ce que ceux-ci gagneraient. Un peu d’argent, et un peu de fierté à participer à ce succès dont la collectivité a plutôt tendance à se féliciter en le prenant plus pour un modèle d’entrepreneurship que pour un opéra.

Au show de la Saint-Jean, Luck Merville chantera, paraît-il, un extrait de Notre-Dame-de-Paris. Je serais musicien, je refuserais de jouer. Inutile, de fait, il va le chanter a capella. Les organisateurs ont pensé éviter le débat? Ils en ont fait une farce. Des paroles sans musique.

Parlons-en, du show de la Saint-Jean.

Appuyant d’une seule voix la lubie de nos dirigeants, amateurs de mondialisation, le Mouvement national des Québécois, regroupement d’organismes indépendantistes, a retenu pour l’événenement le slogan «Québec au cour du monde». Amour, partage, compréhension, solidarité sont, comme à chaque année, au programme de cette fête dont la recette n’a pas changé depuis trente ans.

À une exception près: l’obsession de l’intégration des communautés ethniques dans la fête. Il y a quelques jours, lors du dévoilement des participants au gros show des Plaines, on a fait défiler la moitié de ce que la province compte d’artistes noirs connus. Luck Merville, Normand Brathwaite, on a même tiré Boule Noire des boules à mites. Les organisateurs n’éprouvent aucune gêne à admettre, avec un petit rire coincé et bon enfant, que ceux-ci sont là «aussi» parce qu’ils sont Noirs.

Se pourrait-il qu’un jour, la participation des Noirs, des jaunes, des Indiens à ce genre de célébration nationale semble strictement normale, pas pittoresque ou exceptionnelle? Que personne n’éprouve la nécessité de le souligner grossièrement? Que l’on cesse d’avoir l’air d’une bande de sous-développés ébahis qui trouvent nécessaire d’intégrer la plus petite minorité ethnique pour se donner bonne presse, bonne conscience ou pour des motifs politiques?

Les communautés ethniques votent contre l’indépendance, elles le feront probablement dans cent ans. Outre cette propension à jouer aux bien-pensants, citer en conférence de presse un poème sans équivoque de Gilles Vigneault tel Il me reste un pays à bâtir… et tendre la main aux ethnies du même souffle ce jour-là m’a semblé désespérément contradictoire.

Prolongeant le racisme jusque chez nous, les Serbes de Sherbrooke, qui sont 800, ne veulent pas de la cinquantaine de Kosovars qui viendrait éventuellement s’installer dans leur coin. Certains font leurs bagages, d’autres manifestent. On leur demande pourquoi, il ne savent pas trop quoi répondre. Les enfants vont se chicaner à l’école… Probablement qu’ils pensent que ça pue et que ça se décrotte le nez avec ses orteils, un Kosovar. Lorsqu’ils ont franchi la frontière, il y a quelques années, ces Serbes ont gardé la haine et le racisme dans leurs bagages. Leur propre expérience n’aurait servi à rien?

Le ministre Perreault rassure les Serbes de Sherbrooke. «Il y a des lois ici, dit-il, on n’est pas au Kosovo.» «Les Kosovars devront être pacifiques et se tenir tranquilles…» etc., etc. Le ministre se trompe de cible. Les Serbes de Sherbrooke sont de dangereux inconscients. Qu’ils foutent donc la paix à ces gens qui cherchent un coin pour reprendre leur souffle.

Quelques observations…

Joyeuse.

En prévision des célébrations de l’an 2000, la SAQ avait 120 000 caisses de champagne. Quinze mille caisses supplémentaires viennent de s’ajouter à la commande. C’est trois fois plus que l’an dernier. De quoi célébrer déjà ces recettes extraordinaires dans les bureaux de la société.
Atroce.

Une femme dont le chien a mordu à mort un petit garçon s’exclame, en couverture du Journal de Québec, «Surveillez votre chien!» Le mot est malheureux. Il me semble que «Surveillez vos enfants!» aurait été plus à propos.

Indélicate.

Mardi matin, une trentaine d’infirmières manifestent devant l’entrée principale de l’Hôtel-Dieu. La pancarte de quelques-unes d’entre elles invite les automobilistes à la solidarité. Klaxonnez pour manifester votre soutien! Klaxonner? Dans une zone d’hôpital? Mais c’est interdit!