Société

Le sida en Afrique : Apocalypse Now

Mort, le sida? Détrompez-vous. En Afrique, c’est la catastrophe. Quatre pays comptent plus de 20 % de leur population vivant avec le VIH/sida. Dans une dizaine d’autres, un adulte sur dix est infecté. Au Rwanda, 4 % des enfants de douze à quatorze ans sont déjà touchés… Tout ça, sur un continent où l’épidémie continue à prendre de la vitesse!

Cette semaine, le G8 (le groupe des sept pays les plus industrialisés, plus la Russie) se réunit. À l’ordre du jour, on discutera de l’allègement de la dette des pays pauvres. Plusieurs voix en ont profité pour dénoncer la responsabilité des pays occidentaux dans la dégradation de la situation en Afrique. Le paiement de la dette se faisant souvent au détriment des services sociaux, il aurait empêché le contrôle de l’épidémie du sida et aurait permis à des maladies comme le paludisme et le choléra d’effectuer un retour en force.

L’ONUsida, l’agence de l’ONU qui a pour mandat de coordonner les efforts internationaux dans la lutte contre cette maladie, dévoilait, il y a quelques semaines, ses estimations sur la propagation du virus. Pour l’Afrique (au sud du Sahara), on a sonné l’alarme. Le continent ne regroupe que 10 % de l’humanité mais il abrite 83 % de tous les cas d’infection de la planète. Actuellement, plus de vingt-deux millions d’Africains sont touchés, et 1999 devrait ajouter quatre millions de nouvelles victimes.

La maladie est en train de faire disparaître tous les acquis des dernières années. Elle touche principalement les jeunes de moins de vingt-cinq ans et a tué deux millions d’adultes en 1998. Que ce soit en coût de santé ou en coût humain, le VIH suce le sang de l’Afrique. Tellement que la mortalité infantile a doublé et que l’espérance de vie, qui devrait approcher de soixante ans si la maladie n’était pas là, est en voie de tomber sous les quarante ans!

Nous avons contacté, à Genève, Michel Carael, chef de l’équipe de prévention de l’ONUsida, pour recueillir ses commentaires sur la situation.

Partout sur la planète, moins de 1 % de la population est touchée par le VIH/sida, sauf pour les Caraïbes (2 %) et l’Afrique (8 %). Pourquoi l’Afrique est-elle si affectée?
L’épidémie y a débuté beaucoup plus tôt qu’ailleurs. En 1985, on a découvert que jusqu’à 10 % des hétérosexuels étaient déjà infectés dans certaines régions. L’idée que le sida était lié aux homosexuels et à la drogue a bloqué l’action de bien des gouvernements. Ce n’est que dans les années 90 qu’ils ont réellement commencé à s’y intéresser, mais, dans certaines régions, 30 % de la population était déjà porteuse du VIH!

Ce n’est pas fini, la maladie est toujours en progression et elle touche de plus en plus les régions rurales, jusqu’à maintenant relativement épargnées… En Afrique, le sida dépasse l’ampleur de la peste au Moyen-Âge en Europe!

Qu’est-ce qui explique la différence entre l’épidémie en Occident et celle en Afrique?
En grande partie, c’est la vulnérabilité des personnes, due à la crise économique, à la pauvreté, aux guerres et aux déplacements massifs de populations, qui est responsable de la propagation de la maladie. Par exemple, au Botswana, jusqu’à 60 % des hommes doivent quitter leur village presque en permanence pour chercher du travail.

Les politiques d’ajustement structurel imposées par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale n’ont certainement pas aidé, mais c’est un facteur parmi d’autres.

Il faut toutefois faire attention, ce ne sont pas nécessairement les pays les plus pauvres qui sont le plus touchés. L’absence d’État efficace et de participation de la population à la société est beaucoup plus dommageable. Il y a aussi la honte et le manque d’éducation… La maladie est encore très stigmatisée.

Que faudrait-il faire pour mettre fin à l’expansion de la maladie?
Au Nord, on peut financer la trithérapie, mais pour les vingt-deux millions de personnes infectées en Afrique, c’est impossible. Le plus urgent, c’est de se battre pour modifier le comportement des plus jeunes face à la sexualité. Pour les adultes, la lutte est déjà perdue dans bien des régions.

On devrait mettre de l’argent sur la prévention de la transmission mère-enfant. Dans une seule clinique, ça peut coûter jusqu’à un million de dollars pour mettre le service en place! Et pour lancer des campagnes nationales de prévention, il faut entre deux et trois millions…

Dernièrement, l’ONUsida publiait un communiqué où elle dénonçait le manque de fonds pour la lutte contre le sida, affirmant que les 350 millions investis annuellement par les pays donateurs étaient insuffisants. C’est pourtant une somme importante…
Un gros hôpital universitaire fonctionne avec environ 350 millions de dollars par année! C’est donc très peu pour lutter contre une épidémie. Seulement pour soigner une MTS, un cofacteur important dans la transmission du VIH, ça coûte entre cinq et dix dollars!

De plus, la lutte contre le sida représente moins de 1 % de l’aide accordée aux pays en voie de développement alors que la maladie détruit systématiquement ces sociétés. Actuellement, la maladie se propage trois fois plus rapidement que n’augmentent les fonds destinés à la contrôler! C’est alarmant!

Seul un vaccin pourrait stopper la maladie?
Honnêtement, oui. On a un succès relatif avec les médicaments, mais pour le Tiers-Monde, ce sera le vaccin. Le médicament, c’est l’arme du riche; le vaccin, l’arme du pauvre. Le condom ne suffit pas, on le voit bien!

Mais l’industrie pharmaceutique n’est pas très intéressée à développer un vaccin puisqu’il rapporterait beaucoup moins que l’actuelle médication…
Vous avez mille fois raison, c’est exactement la vision de l’industrie! On essaie tout de même de les encourager à faire la recherche. La compagnie qui trouvera ce vaccin aura une renommée internationale immédiate! Actuellement, plusieurs candidats vaccins sont à l’étude, mais on ne saura pas avant deux ou trois ans s’ils sont efficaces à 50 %, à 100 % ou à 0 %… Le jour où le vaccin existera, il faudra qu’il soit disponible pour toute la population de la planète en deux ans, c’est essentiel!

En terminant, comment voyez-vous la situation des pays occidentaux, où l’on présente de plus en plus la maladie comme chronique plutôt que mortelle?
C’est une énorme préoccupation. On voit qu’il y a un relâchement des efforts de prévention, même du côté des gouvernements. Le sida ne devrait jamais être traité comme une maladie chronique, c’est faux! Il y a déjà des échecs, des cas de virus résistant à la trithérapie, et il suffit d’arrêter les traitements pour que la maladie fasse un bond immédiat.

Les gens sont mal informés sur les nombreux effets secondaires et sur les difficultés de la trithérapie. Les traitements changent régulièrement, et c’est de douze à dix-huit pilules que les malades doivent prendre tous les jours! La trithérapie, c’est un cauchemar!

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