La ministre des Affaires municipales, Louise Harel, risque de frapper un mur en béton armé lorsqu’elle finira par rencontrer les acteurs politiques de la région de Québec avec ses idées de réforme municipale en main.
C’est à la Communauté urbaine de Québec (CUQ) que le coup pourrait faire le plus mal. Pour le président, Denis Giguère, il n’est pas question de se faire écarter par une nouvelle instance supramunicipale comme projeté à Montréal. «Un gouvernement suprarégional, les élus sont contre ça», lance-t-il fermement.
Pour M. Giguère, il n’est aucunement envisageable de créer un conseil métropolitain regroupant de nouveaux élus et, surtout, ayant un pouvoir de taxation. Selon lui, la CUQ est déjà bien ancrée et a atteint une vitesse de croisière enviable. Il opterait donc plus pour une CUQ aux pouvoirs élargis qui pourrait regrouper les municipalités de la Rive-Sud plutôt que pour une structure lourde qui ne ferait qu’éloigner le pouvoir des citoyens.
Le président de la CUQ se demande également pourquoi il est maintenu dans la noirceur près de deux mois après la date fixée par la ministre Harel pour une rencontre. «On ne sait pas où le gouvernement s’en va, déplore M. Giguère. Je trouve que c’est long». Les délais lui font craindre que le débat ne s’éternise. À l’approche des vacances, on peut penser que rien ne sera fixé avant l’automne. «Ça va allonger le processus, croit-il. On ne règle pas le sort d’une région ou d’une municipalité en deux mois.»
Mme Harel devra donc débarquer dans la capitale avec de nouvelles idées si elle veut avoir une oreille attentive de la CUQ. Les discussions s’annoncent vives à compter du 30 juin, nouvelle date fixée pour le dépôt des propositions gouvernementales quant à la région de Québec.
Pas de scénario
L’attachée de presse de la ministre, Annick Bélanger, se contente, pour l’instant, de dire que nul scénario définitif n’a été établi et qu’il est prématuré de s’avancer. Elle précise que le processus pourrait perdurer puisque aucune date-butoir n’a été déterminée. «Les dés ne sont pas joués, l’échéancier n’est donc pas arrêté».
Mme Bélanger précise que le gouvernement veut donner les outils nécessaires à la région pour qu’elle puisse s’inscrire dans le circuit des grandes villes. Toutefois, elle s’obstine à affirmer que toutes les options sont envisagées même si une sortie publique sera faite à la fin du mois et que le dessein prend forme.
Le scénario de la Commission Bédard sur la fiscalité locale et les fusions municipales ne serait donc pas le seul envisagé. Dans son rapport, Denis Bédard optait pour les conseils métropolitains et des fusions massives de municipalités.
À l’Union des municipalités régionales de comté du Québec (UMRCQ) on appréhende avec inquiétude la sortie de la ministre. «On nous laisse dans l’incertitude pour nous faire accepter plus», juge la présidente, Jacinthe B. Simard. Elle ne voudrait surtout pas que Québec décide d’imposer ses solutions par l’instauration de mesures punitives. «[Mme Harel] devrait s’en remettre au référendum. Les populations sont capables de décider de leur sort», croit-elle, rappelant que le provincial subira les conséquences de ses actes.
Tout comme son vis-à-vis de la CUQ, elle serait en faveur d’une communauté urbaine élargie plutôt que d’un nouveau palier de gouvernement municipal. La création de conseils métropolitains pourrait faire disparaître de nombreuses MRC. «Au lieu de rapprocher les services du citoyen, on l’éloigne», estime-t-elle.
Mme Simard fait également remarquer qu’une seule solution ne peut s’appliquer à tous les problèmes, à toutes les régions. «Chaque situation de regroupement doit être évaluée au cas par cas.»
Quoi qu’il en soit, si Mme Harel décidait d’aller de l’avant avec la mise sur pied de nouvelles instances, Mme Simard exige que les travaux soient échelonnés sur trois ans. «Les élus pourraient se préparer, explique-t-elle. On veut s’assurer d’une neutralité fiscale.» L’important est donc, selon elle, de maintenir les niveaux de taxation des citoyens même si les nouveaux organismes haussent le taux de taxe foncière. La solution: Québec diminue ses gains.
Pour l’Union des municipalités du Québec, un seul critère guide actuellement le débat. Quels sont les avantages pécuniaires pour le citoyen? «S’il y a des économies à faire, faisons-les», expose le porte-parole, Richard Leblanc. Il sera présent le 30 juin lors de la sortie publique de la ministre pour évaluer ses propositions et détaillera sa position à ce moment.
Refus catégorique
Le maire de Québec, Jean-Paul L’Allier, ne veut rien savoir d’un conseil métropolitain. Son refus est catégorique. «Je ne pense pas que l’on doit avoir dans la région un nouveau palier élu, clame-t-il. Un niveau d’élus, c’est assez_ Je vais plaider contre ça.»
M. L’Allier cite en exemple les chicanes fédéral/provincial pour justifier son point de vue. «On n’est pas obligé de transposer ça ici_ On n’est pas là pour se compliquer les choses», lance-t-il craignant les différends entre organismes décisionnels. L’élargissement des pouvoirs de la CUQ lui semble beaucoup plus viable.
Selon le maire de Québec, les citoyens seraient perdants dans l’exercice. «Le gouvernement risque d’envoyer des factures, croit-il. Les citoyens paieraient plus cher et perdraient du pouvoir.»
Avis partagé par son homologue de Sillery, Paul Shoiry. «On a un gouvernement qui souffre de stucturite, commente-t-il. Quand on multiplie les structures, on complique la vie du citoyen.» Il se demande ce que pourrait apporter de plus à l’agglomération urbaine de Québec la création d’un conseil métropolitain, soulignant que les municipalités sont les gouvernements les plus près des électeurs et qu’elles sont à même de les comprendre.
Le plus aberrant selon M. Shoiry est que la ministre des Affaires municipales prend le problème à l’envers, qu’elle cherche une solution avant de poser un véritable diagnostic. Aussi, le poids du rapport Bédard pèserait lourd sur les épaules de Mme Harel. Il voudrait pouvoir enfin discuter avec elle afin de comprendre son point de vue.
M. Shoiry déplore tout autant les délais d’intervention de la ministre. «Cela sème l’inquiétude, ce n’est pas sain.» Il ajoute que Mme Harel devrait refaire ses devoirs et trouver des solutions alternatives plus efficaces.
Pour le maire de Beauport, Jacques Langlois, l’important est d’avoir une grande liberté dans l’application de quelque réforme que ce soit. «On veut participer aux décisions, énonce-t-il. Et, si on a des choses à faire, on veut avoir le temps pour les faire.» Il n’est, de plus, pas question de se faire imposer un modèle de réforme.
Tout comme ses confrères, il se demande ce qu’attend Mme Harel pour se décider à leur soumettre ses positions. «Ça presse de connaître en définitive les enjeux.» Malgré l’importance de la région de Québec, il note le silence gouvernemental.
Responsable de la région de Québec au cabinet ministériel, Paul Bégin n’a pas voulu commenter le dossier. Par le biais de son attachée de presse, Caroline Drouin, il mentionne qu’il est en période de réflexion et de discussion. Il rencontrera tous les intervenants locaux ainsi que les organismes provinciaux concernés avant de prendre officiellement position.
Si la solution envisagée pour la métropole est appliquée à la région de la capitale, les résidants devront se rendre aux urnes plus souvent pour élire de nouveaux représentants. Cela implique la création de partis politiques et le déblocage de fonds pour leurs opérations, pour les suffrages ainsi que pour le fonctionnement du nouvel organisme.