Société

Droit de cité : Je me fais mon centre-ville

Partir pour Laval en empruntant le pont Pie-IX, aujourd’hui, c’est un peu partir à la découverte du passage des Indes en traversant l’Atlantique en 1492.

Lorsque Colomb a accosté, il a vu du maïs et il a appelé ça du blé d’Inde. Un gros hamster sauvage? Un cochon d’Inde. Une poule des bois souffrant d’embonpoint qui fait glouglou? Une dinde. Les ancêtres de Max Gros-Louis? Des Indiens.

Ainsi, à Laval, vous débarquez sur une immense terre en friche, coincée entre les deux principales autoroutes, à deux pas de vache du Club Prix, et à six pas d’un autre temple de la consommation en gros, et vous appelez ça un centre-ville.
Ainsi, Laval, en quête perpétuelle d’elle-même, vient de se trouver. C’est que Laval est un tissu urbain distendu qui manque cruellement de densité pour être une vraie ville.

Une ville est un milieu géographique et social formé par une réunion organique et considérable de constructions. Laval a beau se prétendre la deuxième ville en importance au Québec, et elle a beau se vautrer dans son statut de plus grande ville agricole du Québec (bonjour la contradiction), Laval n’est pas une ville. C’est une administration municipale couvrant un territoire presque aussi grand que l’île de Montréal.

Mais voilà, Laval en a assez de se faire accuser de trivialité primaire. Tout ostentatoire soit-il, le maire Vaillancourt en a assez d’entendre ses sujets dire: «Je vais en ville», quand ils se dirigent vers Montréal.

Il faut, a pensé le maire, mettre Laval sur une carte. D’où l’idée de faire un centre-ville.

Le point sur la carte
Ainsi, Laval, en quête perpétuelle d’elle-même, s’est trouvée. C’est un peu à l’est de l’autoroute du Nord, au sud de la 440, et à l’ouest de la 19.

Pour le moment, l’endroit s’appelle «À vendre», mais le maire Gilles Vaillancourt assure qu’on rebaptisera le site à temps pour les cérémonies d’ouverture. Ce sera Laval-Centre-Ville.

Laval est une suite presque ininterrompue de banlieues, brisée ici et là par des vestiges agricoles. Alors, pour arriver à Laval (non pas le territoire municipal et administratif, mais le lieu, le point sur la carte), l’administration lavalloise a vendu un grand lopin de terre à des promoteurs immobiliers pour qu’ils érigent Laval.

C’est-à-dire: le centre-ville de Laval, la place où les passants sur l’île Jésus pourront dire: «Ici, je suis à Laval.» Coût de l’opération: 105 millions de dollars.
Pourquoi un centre-ville? Je croyais qu’il y en avait un, quelque part entre le fleuve et la montagne, le long de Sainte-Catherine. Ah non?

Non, les petits roitelets de Laval n’en peuvent plus d’être considérés comme des gardiens de nuit de ville-dortoir. Ils veulent régner.

Quand le gouvernement du Québec a esquissé le début du bout de la queue d’un pacte fiscal avec les villes-centres, afin qu’elles remplissent leur mission métropolitaine, le maire de Laval s’est levé et a dit: «Hé! Ho! Je suis ici!»

Les villes-centres au Québec sont Montréal, Québec, Chicoutimi, Trois-Rivières, Sherbrooke et Hull. Le maire de Laval, lui, a déclaré sans sourciller que Laval était aussi une ville-centre.

Pardon? On ne souffre pas un peu du nombril, ici? La ville-centre de quoi? Laval est la ville-centre de la MRC de Laval, de la région administrative de Laval, de la région touristique de Laval. Bref, Laval est la ville-centre de Laval, croit-on là-bas.

Cela dit, on a vu pire: il y a plusieurs années, quand Mirabel était encore un grand aéroport, les dirigeants politiques de Laval ont tenté, par une campagne publicitaire, de nous faire croire que Mirabel n’était pas l’Aéroport international de Montréal, mais l’Aéroport international de Laval! Parce que Mirabel est plus proche de Laval que de Montréal. Tout bêtement, comme ça.

Le Big Crunch
Mais pour être une ville-centre, encore faut-il avoir un centre-ville. Laval est un tissu urbain distendu qui manque cruellement de densité.
Alors, elle s’en construira, de la densité! Ce sera le mélange d’un Carrefour Laval avec métro, et d’une Plaza Alexis-Nihon à ciel ouvert. C’est d’ailleurs Alexis-Nihon qui créera le centre-ville de Laval – ce qui fait craindre le pire d’un point de vue architectural.

Ailleurs dans le monde, un centre-ville est un point tellement dense que les choses se sont mises à graviter autour de lui. Un centre-ville normalement constitué fonctionne à la façon du Big Bang: il y a une énergie située en un point central qui, en se libérant, s’étend.

À Laval, c’est l’inverse. Laval va naître du Big Crunch, c’est-à-dire que l’univers se rapetisse peu à peu en un seul point. Pendant vingt-cinq ans, on a attendu de voir quel endroit serait laissé à l’abandon, puis on a dit: «Cette terre de Caïn sera notre centre-ville!»

Ils sont fous, ces Lavallois!