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Portrait de la communauté anglophone de Québec : Voix d’extinction?
Alexandre Vigneault
Principalement constituée de descendants d’Irlandais et d’Anglais établis ici depuis plusieurs générations et de Canadien anglais venus travailler dans la région, la population anglophone de Québec constitue une minorité en péril. Sans renoncer à la promotion de sa langue et de sa culture, elle cherche avant tout à côtoyer paisiblement la majorité francophone.
«St-John’s Gate 1897». Gravée à même la pierre, à deux pas de la porte Saint-Jean, cette inscription apparemment banale fait un pied de nez historique à la capitale. Aux touristes curieux et aux citadins attentifs, elle rappelle que Québec, berceau de la francophonie en Amérique, a déjà abrité une imposante communauté anglophone.
Cent ans après que cette inscription ait été simmortalisée dans le granit, le visage de Québec a beaucoup changé. La région compte désormais moins de 12 000 anglophones, qui se vantent d’être parfaitement intégrés à la majorité francophone. «Il n’y a pas de ghetto, parce que les anglophones d’ici parlent tous français. Ils n’ont pas besoin de s’installer dans un endroit où les gens parlent anglais», s’enthousiasme sobrement Karen Macdonald, directrice régionale de Global TV et copropriétaire de l’hebdo Quebec Chronicle Telegraph.
«On passe notre temps à parler comme des séparatistes quand on est au Canada anglais et comme des fédéralistes quand on est au Québec», poursuit la journaliste, qui a presque toujours vécu à Québec. «C’est un sentiment que plusieurs de mes concitoyens partagent, assure-t-elle. On a été obligé de s’intégrer pour vivre ici, alors on comprend bien les Québécois.»
Dear prudence
Malgré cette proximité entre les deux cultures, certains anglos semblent méfiants à l’endroit des francophones. Ceux qui acceptent de parler à Voir le font prudemment et demandent parfois de taire des confidences apparemment anodines échappées au milieu de la conversation. «Cela nous arrive aussi au Chronicle, reconnaît Karen Macdonald, et pas juste lorsqu’on parle de langue. Les anglophones de Québec sont discrets de nature, ils ne veulent offusquer personne.»
«Je ne veux pas exagérer, continue-t-elle, mais dans notre communauté au moins une personne nous a dit qu’on n’aurait pas dû parler de graffitis F.L.Q.» De même, la transformation du Jeffrey Hale en centre de soins prolongés a provoqué un débat parmi les anglophones: certains voulaient descendre dans la rue pour montrer leur désaccord, alors que d’autres étaient farouchement opposés à ce type de démonstration populaire. «La communauté anglophone a peur de brasser la cage un petit peu, insiste Mme Macdonald.
Elle ne veut pas détruire l’équilibre qui existe entre elle et les francophones dans cette ville.»
La circonspection des anglophones de Québec a même mené à une rupture officielle entre Voice of English Québec (V.E.Q.), un organisme dédié à la promotion de la langue et de la culture anglaises dans la région, et Alliance Québec, son équivalent montréalais. Le 13 octobre 1998, V.E.Q. annonçait publiquement sa «démission comme membre d’association régionale de Alliance Québec».
Selon le communiqué officiel, c’est «l’approche d’affrontement» préconisée par Alliance Québec et son nouveau président, William Johnson, qui déplaisait aux membres de V.E.Q. Puisque V.E.Q privilégie le partenariat avec la majorité francophone, son conseil d’administration considérait que «des liens officiels avec l’organisme de M. Johnson pourraient miner les bénéfices remportés depuis 1981 par [leur] propre organisme de langue minoritaire.»
«Nous avons voulu dire à nos voisins francophones que nous nous dissocions de ce discours», explicite aujourd’hui Thomas Reisner. L’ancien président de V.E.Q. tient également à préciser que cette résolution avait été adoptée à l’unanimité par le conseil d’administration de l’organisme.
Staying alive
Derrière ce discours prudent, c’est l’extrême précarité de la situation des anglophones de la région de Québec qui se profile. Cette communauté doit aujourd’hui faire face au vieillissement marqué de sa population, à l’exode de ses jeunes et à un taux d’assimilation que certains considèrent au moins aussi critique que celui des francophones de l’Ouest canadien.
La question de l’emploi semble au cour du problème. «Très peu d’anglophones nés à Québec y restent parce qu’ils n’ont pas d’opportunité d’emploi», affirme Steven Morris, publicitaire qui a vécu à Québec pendant dix ans avant de s’installer à Montréal. «C’est faux!», réplique Thomas Reisner, qui affirme que «les employeurs ne trouvent pas le personnel bilingue dont ils ont besoin.» Avis partagé par Mme Macdonald, qui croit que le développement du secteur de la haute technologie à Québec va accentuer ce besoin dans la région.
Pour l’heure, la communauté a du mal à retenir ses membres. «Il n’y a pas assez d’institutions qui rassemblent les anglophones», déplore Peter Black, réalisateur à CBVE. «Les enfants vont poursuivre leurs études ailleurs et ne reviennent pas. Souvent, les parents finissent par les suivre», regrette M. Reisner. «Les gens partent beaucoup plus pour des raisons personnelles que politiques», confirme Mme Macdonald.
Qu’adviendra-t-il de ceux qui restent à Québec? Personne ne s’entend à ce sujet. Les initiatives locales telles que la mise sur pied du Holland Daycare Center (une sorte de CLSC anglophone) laissent croire à Mme Macdonald que la communauté «est en santé» et que tous les espoirs sont permis.
M. Reisner ne veut pas jouer les oiseaux de malheur, mais, selon lui, les perspectives d’avenir sont beaucoup moins reluisantes. «Rester ici, pour un anglophone, cela veut dire l’assimilation au bout de trente ans, affirme-t-il. Je ne veux pas être pessimiste, mais, dans deux générations, il n’y aura plus de communauté anglophone à Québec… Je ne vois pas cela comme une tragédie», laisse tomber ce fils adoptif de la capitale, établi ici depuis trente-cinq ans.
Jeunesse anglophone
Bilingues et fiers de l’être, les jeunes anglophones de Québec ont le cour enraciné dans la capitale, mais le regard souvent tourné vers d’autres cieux.
Lorsqu’on cherche à faire le portrait de la jeune génération d’anglophones de Québec, on se heurte inévitablement à une série de paradoxes. Nés à Québec de couples mixtes ou, plus rarement, dans des familles complètement anglophones, ces jeunes ont surtout fréquenté l’école anglaise et entretiennent des rapports ambigus avec les deux communautés linguistiques.
«Mes amis francophones me trouvent chanceuse de parler anglais», raconte Jessica, 15 ans. Cette phrase, lâchée avec légèreté, va droit au cour du sujet: les jeunes anglophones d’ici évoluent avec la même aisance dans les deux langues officielles et ils en tirent une fierté qui n’a rien d’arrogante.
Mais être identifié à la communauté anglophone ne compte pas que des avantages. «Des fois, il y a des attitudes un peu racistes, confie Jessica. Il y a des écoles françaises qui ne nous aiment pas et on se fait parfois crier des noms dans l’autobus.» – «À [l’école] Perreault, ils haïssent les anglophones, cela n’a pas de bon sens», affirme Mélanie, aussi âgée de quinze ans. «Quand t’as un manteau avec le sigle de Quebec High School ou St. Patrick High School, tu ne sais jamais si tu vas te faire brasser», dit-elle.
Ces conflits essentiellement linguistiques ne survivent pas à l’école secondaire, assure Robert, ancien étudiant de Q.H.S. aujourd’hui âgé de vingt-deux ans. Ce qui préoccupe les jeunes adultes, c’est bien sûr la situation politique.
«Je ne me sens pas minoritaire parce que je peux faire ce que je veux. Je n’ai pas de restrictions», explique Robert. «C’est essentiel de parler français ici et je ne vais pas parler en anglais si je vais au dépanneur, poursuit-il. Mais si j’ai des enfants, je veux pouvoir les envoyer à l’école anglaise», dit-il, avant de confier qu’il s’inquiète d’un éventuel durcissement des lois linguistiques.
Même si elle a «un peu peur» lors du dernier référendum, Barbara, sour jumelle de Robert, manifeste le désir de demeurer à Québec et même d’envoyer ses futurs enfants à l’école française. «Ils doivent maîtriser le français s’ils veulent vivre ici», dit la jeune femme, qui regrette d’avoir un peu de difficulté à écrire le français.
«Quand je vais être plus vieille, je vais peut-être partir vers Toronto ou aux États-Unis, avance Mélanie. J’ai envie de faire ma carrière en anglais.» Pourquoi? «Parce que le français, c’est trop compliqué!»
Sans le savoir, Mélanie vient de toucher à l’un des problèmes majeurs auxquels est confrontée la minorité anglophone: si les jeunes anglos quittent, c’est souvent parce qu’ils ont peur de ne pas maîtriser le français écrit…