Société

Droit de cité : Acrobaties mathématiques

Question: Pourquoi la Ville de Montréal doit-elle tout faire pour permettre la construction d’un nouveau stade de baseball?
Réponse: Parce qu’il rapporterait plusieurs millions de dollars en taxes foncières.

Question: Que peut faire la Ville pour permettre la construction d’un nouveau stade qui rapporterait des millions de dollars en taxes foncières?
Réponse: Accorder une exemption de plusieurs millions de dollars en taxes foncières.

Question: Duh!
Réponse: C’est ce qu’on dit après s’être fait fourrer.

La vie est un grand marécage stagnant
Il est dit quelque part que les gens heureux n’ont pas d’histoire. Or, ces jours-ci, dans l’entourage des Expos, on doit nager dans une mer de bonheur.

Non, on doit plutôt être à un cheveu du délire mystique tellement rien ne se passe, rien ne se vit dans l’opération de sauvetage du club. C’est le last call depuis un an. Ça branle dans le mât (du stade), comme dirait l’autre, dans le dossier du stade au centre-ville. C’est le moins qu’on puisse dire.

Ces petites acrobaties mathématiques, je les avais faites, la première fois, il y a un an, quand les dirigeants de la balle à Montréal jonglaient avec l’idée de remettre la propriété du nouveau stade à Baseball Québec. Parce que les Baseball Québec et autres organismes sans but lucratif sont exempts de devoirs fiscaux à Montréal.

Douze mois plus tard, la dernière tentative en lice pour permettre la survie des Expos en ville passe… par un congé de taxes foncières en remettant la gestion du stade à un organisme sans but lucratif! La nouvelle est parue la semaine dernière, mais c’aurait pu être l’année dernière.

Ainsi, l’un des derniers plans échafaudés – pour ne pas dire alambiqués – chez les Expos, est de remettre le nouveau stade une fois construit à la Régie des installations olympiques (RIO), organisme sans but lucratif s’il en est un. À deux milliards dans le trou, c’est même un euphémisme.

En effet, ça délire chez les Expos. La gestion de leur nouveau stade à la RIO?
La même RIO qui gère le Stade olympique?
Avec un mât de cent millions de dollars vide depuis dix ans? Trois toits qui coulent?
Et les salons qui fuient vers la bonne vieille Place Bonaventure?
«Allô? Expos, vous m’entendez? Ici Houston; répondez, Expos, vous déviez de votre trajectoire.»

Faites comme eux
S’il est normal pour une industrie plusieurs fois milliardaire de ne payer aucun impôt foncier, alors, il est sûrement archinormal pour des petits gagne-pain comme nous de le faire itou.

Vous cherchez donc un moyen de financer l’achat de votre duplex de la rue Parthenais? Constituez-vous en organisme sans but lucratif, genre l’Association des victimes du fisc et du percepteur général des amendes (l’AVFPGA), ou le Mouvement pour des Expos modernes et ouverts (MEMO), et obtenez votre statut de «tax free». Nommez-vous président; votre conjoint ou votre conjointe, vice-président, et partagez-vous les tâches de secrétaire-trésorier. Ensuite, faites voter par votre assemblée générale annuelle (vous et votre conjoint) la location à long terme du duplex à vous-même, selon le mode emphytéotique, c’est-à-dire qu’au terme du bail, dans vingt-cinq ans, vous pouvez acquérir l’immeuble pour la somme nominale de un dollar. C’est un procédé assez courant dans l’immobilier.

Ainsi, pendant vingt-cinq ans, vous aurez économisé au moins 75 000 dollars en taxes foncières.

La Bell solution
Si les Expos n’ont pas accès à la tirelire du gouvernement, c’est qu’ils n’évoluent pas dans la bonne industrie. Le baseball, c’est vieux jeu, du gossage de fumeux de pipe en bois d’épinette, alors que les télécommunications, c’est l’avenir – du moins, depuis hier.

C’est pourquoi l’État distribue les subventions aux entreprises de ce secteur comme les lanceurs des Expos donnent généreusement circuits et buts sur balles.

C’est le dogme économique des années 90: l’avenir de Montréal passe par la fibre optique. Le gouvernement y croit, la Ville et l’establishment économique aussi.

Mais comme tous les nouveaux dogmes, celui-ci rend aveugle.

La société Nordia, une nouvelle compagnie de télécommunications, recevra une subvention qui pourrait se chiffrer dans les millions de dollars. Parce que Nordia promet de créer dans la région un millier d’emplois de téléphonistes. Or, Nordia est une compagnie fantôme fondée par Bell et une compagnie américaine. Les mille emplois créés, ce sont les mille postes de téléphonistes abolis par Bell.

Ainsi, l’apport miséricordieux de l’État dans le secteur des télécommunications sert aussi à briser un syndicat, à couper des jobs, et à réembaucher les nouveaux chômeurs avec des salaires coupés de près de moitié.

Si l’avenir de Montréal passe par la fibre optique, celui des travailleurs d’ici, lui, passe dans le drain.