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Investissement immobilier dans Saint-Roch : Route du frein
Baptiste Ricard-Châtelain
À la fermeture des livres comptables en 2000, il se sera dépensé environ 220 millions de dollars dans le quartier Saint-Roch en neuf ans, dont plus de la moitié proviennent de fonds publics. Pourtant, les promoteurs privés ne seront pas tous vraiment plus enclins à y investir.
«On n’est pas attiré par ce secteur», lance le conseiller de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec, Mario Boily. Selon lui, en revitalisant les infrastructures de la Basse-Ville, la municipalité ne s’attaque qu’à un des aspects d’une problématique très complexe.
La principale entrave à l’investissement serait le fardeau fiscal, loin d’être compétitif du côté régional. Depuis 1988, il aurait crû de façon exponentielle. «À Québec, c’est très cher, la taxation municipale», indique M. Boily. En plus, plusieurs propriétaires ont payé le prix fort pour leurs immeubles lors de la folie spéculative de la fin des années 80.
Ajoutons à cela la capacité de payer des locataires qui n’a pas augmenté depuis belle lurette. Et, c’est sans compter le nombre élevé de mauvais payeurs. Tous les éléments sont ainsi réunis pour que les immeubles abandonnés ou décrépits le demeurent encore longtemps. «C’est ce qui fait que les propriétaires fonciers ne sont pas capables de rénover», expose M. Boily, ajoutant que, advenant des restaurations majeures dans le quartier, les loyers seraient trop chers.
M. Boily ne veut tout de même pas freiner les ardeurs des élus. La situation s’est améliorée depuis quelques années, juge-t-il. Il se demande néanmoins si la venue de professionnels, d’étudiants et de nouvelles entreprises suffira. Finalement, il s’interroge sur le rapport entre les efforts investis, le prix à payer pour redorer le blason du secteur et les résultats.
Avis partagé par l’analyste principal de la Société canadienne d’hypothèques et de logements (SCHL), Jean-François Dion. «Je ne vous dirai pas que le problème va être réglé et que dans deux-trois ans, il n’y aura plus d’immeubles en ruines. Ça va prendre encore sûrement des années_ Ça ne change pas du jour au lendemain.» L’analyste souligne que le taux d’inoccupation des logements de la Basse-Ville, 6,6 %, est encore nettement trop élevé, cela même s’il a connu une baisse significative. La normale serait de 3,5 %. Quant aux locaux commerciaux locatifs, les données de la firme d’analystes et d’évaluateurs immobiliers Desjarlais-Prévost démontrent un taux d’inoccupation de 27,5 %, deux fois plus qu’en Haute-Ville. M. Dion fait également remarquer que Saint-Roch est l’un des quartiers où il y a le plus d’habitations abandonnées. «Il y a encore des immeubles vétustes dans un état pitoyable.» Il ne peut toutefois pas prévoir si cet état changera. «C’est difficile de faire de la projection car c’est très lié aux programmes de subventions.» Et, «ça ne donnera jamais de l’argent à ceux qui n’en ont pas.»
Compétition
La conseillère municipale indépendante Caroline Dion n’en revient tout simplement pas. Tout comme les propriétaires privés, elle croit que la fiscalité de la Ville, dont le tiers des revenus sert à éponger la dette, est beaucoup trop lourde. La compétition des villes de la périphérie serait considérable. «La solution est toute là_ Il va falloir que la Ville fasse encore plus», clame-t-elle.
Bien entendu, Mme Dion est très favorable aux programmes qui favorisent l’implantation d’entreprises spécialisées dans les nouvelles technologies de l’information en Basse-Ville. «Mais, il ne faut pas oublier une chose: dans ce secteur, ce sont des quartiers ouvriers.» Les emplois créés ne permettront donc pas aux résidants de s’enrichir. La clé serait la diversification de l’économie locale, considère-t-elle. «On met tous nos oufs dans le même panier : le tourisme et les nouvelles technologies.»
Mais attention! Responsable de Limoilou, Mme Dion craint les effets pervers de la revitalisation de l’ancien moteur de Québec. Prostitution et drogues sont autant de problématiques omniprésentes dans Saint-Roch. Mme Dion constate une migration, un exode des acteurs de ces champs d’activités économiques vers de nouveaux emplacements, dont le Vieux-Limoilou.
Instigatrice du dossier sur l’édifice du Syndicat, elle veut également que la quiétude des citoyens soit assurée et que la Ville cesse de balayer les problèmes sous le tapis. «On se pète les bretelles en disant qu’on investit dans Saint-Roch mais on ne fait pas attention à la sécurité, observe-t-elle, craignant que les édifices abandonnés ne la mettent en péril. C’est le temps que les politiciens changent de mentalité.»
Membre du comité exécutif de Québec et responsable du développement économique, Claude Larose rétorque aux réfractaires que le taux de taxation est comparable à ceux de Beauport ou Val-Bélair, par exemple. Des crédits de taxes de 100 % pour les deux premières années et de 50 % pour deux autres sont aussi accordés pour tout investissement dans Saint-Roch. De plus, M. Larose souligne que les taux d’inoccupation ont chuté depuis un ou deux ans et que des demandes pour plus de 300 000 pieds carrés ont été déposées dans le cadre du projet de Centre national des nouvelles technologies.
M. Larose est tellement enthousiaste qu’il voie déjà la lumière au bout du tunnel. «D’ici cinq ans, le quartier Saint-Roch va être le nouveau quartier latin.» Et, il assure que ce ne sera pas au détriment des résidants. Il promet d’ailleurs d’intervenir si les moins riches se font chasser.
Confiance
La conseillère municipale du district Saint-Roch, Rolande Bernard-Gauvin, est pour sa part très confiante. «Il y a toujours un début à tout», philosophe-t-elle. Elle croit que les investissements sont loin d’être vains et que l’image du quartier va changer sans que ce soit au détriment des actuels résidants. Selon Mme Bernard-Gauvin, le développement mènera à un «mélange entre gens avec différents portefeuilles». Les moins nantis resteront à proximité des services d’aide, alors que les plus fortunés viendront bénéficier d’une vie de quartier rehaussée, croit-elle. «Ça va faire un mélange de gens. C’est ça qui fait qu’un quartier est vivant.»
Elle-même propriétaire d’un immeuble à logements dans Saint-Roch, Mme Bernard-Gauvin ne pense pas que l’état délabré de certains édifices décourage les investisseurs. Elle reconnaît néanmoins que les promoteurs devront avoir les reins solides pour les retaper.