Que faut-il afin d’obtenir une Fête du Canada kétaine qui colle bien au fond? Voici les ingrédients nécessaires pour une petite famille de quatre personnes.
– Une troupe de jeunes danseuses folkloriques manitobaines grassouillettes
– Une artiste de variétés (bilingue) fraîchement naturalisée qui chiale de bonheur
– Quelques chanteurs québécois (bilingues) un brin zozos et nécessairement apolitiques
– Une interprète country connue uniquement dans les Maritimes
– Un rockeur ontarien blond, très inoffensif
– Trois pilotes de F-18 en tenue de combat
– Quelques Kosovars reconnaissants
– Une chorale d’enfants sages et propres
– Un gouverneur général (bilingue) tout décati, qui s’exprime avec des intonations d’ancien jésuite
– Deux animateurs constipés (bilingues)
À Ottawa, la Fête du Canada se consomme sans alcool, en bermuda et t-shirt rouges sur la pelouse du parlement. Elle accentue encore un peu plus chaque année le sentiment d’exil perpétuel de ceux qui, comme moi, n’ont jamais réussi à se sentir «Canadian».
Aucune information confidentielle n’ayant filtré quant à l’identité de possibles invités-surprises, je penche pour quatre hypothèses: Émile Genest, Juliette Huot, Serge Savard ou Jean Chrétien.
Happy birthday Canada, distant country. Bon anniversaire à ce peuple lointain.
J’ai regardé le show de la Saint-Jean à la télévision… sur la pelouse des plaines d’Abraham.
Je m’explique: trente pieds à côté de la scène, juste derrière en fait, les organisateurs de la fête avaient installé une télé qui retransmettait TQS aux membres des médias. Les images étaient belles. France D’Amour est encore plus chouette à la télé qu’en personne. Cette remarquable dichotomie entre l’image et la réalité m’a rappelé la seule fois où je suis allé voir un match des Nordiques au Colisée. Le commentateur me manquait, les pubs aussi… enfin presque. Quelle dépendance terrible, la télévision.
Chez nous le concept du show l’emportait un peu sur l’intérêt.
Faute d’appel à la nation en ouverture, la fête a débuté par des remerciements aux commanditaires. On a distribué des drapeaux et, à défaut de produits dérivés, vendu des patates frites, de la barbe à papa et de la bière à Charlebois. Il n’y avait pas de pomme en sucre.
Les quarante classiques de la chanson mis au programme du concert furent parfois distribués de manière un peu discutable, mais, entraîné par Brathwaite, tout le monde s’est tiré honorablement d’un concept un peu étriqué et bien populiste. Sauf Luck Merville, poseur comme c’est pas permis. Peu à l’aise dans le rock, en fin de spectacle, sa petite voix haut perchée glissait sur Câline de blues. Il fut sauvé in extremis de la catastrophe par l’apparition-surprise du sympathique Garou.
Simple et conviviale, notre ministre des Affaires culturelles fut à la hauteur de sa petite tâche d’introduction. En la regardant pousser son discours, je n’ai pu m’empêcher de penser que l’accession au pouvoir de cette fille correcte est une des meilleures choses qui soient arrivées en politique pour les gens de ma génération. Ce n’est pas tous les jours que les créateurs d’ici pourront trouver une interlocutrice qui leur ressemble.
En ce qui concerne la foule record annoncée chaque année, selon mon livre à moi, il faudra repasser.
Le lendemain, à Montréal, ce que retransmettait la Société d’État était proprement navrant. Sur le mont Royal, le président de la Société nationale des Québécois et des Québécoises laisse entendre que la Fête nationale n’est pas celle de tous les Québécois, mais bien de ceux et celles qui veulent un pays; en lâchant des slogans nationalistes, son discours était à ce chapitre sans équivoque.
Sur scène, machos et fachos à la petite semaine s’étaient donné rendez-vous entre deux étoiles pâlissantes. Comment peut-on compter sur les membres de Dubmatique pour célébrer un pays dont la chanson reste l’un des modes d’expression les plus exceptionnels? Leurs textes «niaiseux» célébrant les vertus de la foi, du bon droit, machos et rétrogrades, donneraient la migraine à une enclume. Il y a autant de poésie là-dedans que dans l’annuaire du téléphone. Cette manière de niveler tout ce qu’ils interprètent à la hauteur d’un rythme unique relève du grand art. Quant aux Colocs, on prie pour que cette crise interminable d’anticapitalisme primitif finisse un jour par leur passer.
Ces chansons célébrant les vertus traditionnelles du Québec d’antan ressemblent à un discours électoral tiré du vieux catéchisme créditiste de Camille Samson.
Reste Michel Rivard. Le Québec a tendance à sacrifier un peu vite ses idoles. S’il est de bon ton de l’estimer dépassé ou endormant, il fut bien le seul qui eut, ce soir-là, quelque chose d’intelligent à chanter. Je ne parle pas de Diane Dufresne puisqu’elle était absente pour tous, sauf pour elle-même.
Québec encore vainqueur aux points.
Ceci dit, pour beaucoup, le spectacle était ailleurs. En quittant les Plaines, je suis passé près de la Croix de la victoire. Là, l’accès contrôlé au site provoquait un gros bouchon humain. Mais, de toute manière, beaucoup n’avaient pas l’intention d’aller plus loin. Près de l’angle Grande Allée et la nouvellement baptisée rue des Parlementaires, des milliers d’ados magnifiques, minces, élégants, insouciants, pour lesquels fêter n’est rien de plus que se retrouver en gang avec quelques bières, s’étaient «évachés» par terre tandis que leurs vieux, là-bas, écoutaient des chansons et radotaient des histoires de pays.
Place d’Youville. Une délégation de policiers embusqués sur le toit du Palais Montcalm surveillait la circulation fluide. Jusqu’aux petites heures, tout laissait penser qu’il n’y aurait ni troubles ni émeute. Policiers discrets, voitures banalisées, tolérance relative à l’alcool, distribution de bouffe, transport par autobus: on pouvait apprécier les finesses déployées par la Ville afin d’éviter les attroupements et la casse. Mais la trouvaille de génie des organisateurs de la fête fut d’avoir recours à une arme secrète imparable afin d’anesthésier place d’Youville: Patrick Normand.
Car se faire susurrer le redoutable «Ne laisse pas tomber / la chance d’être aimé» est plus efficace que le plus puissant des gaz incapacitants. L’auditeur s’en trouve tellement ramolli mentalement et musculairement qu’il ne peut puiser en lui assez d’énergie pour lancer ne serait-ce qu’un gros mot.
D’ailleurs, comme chacun le sait, Quand on est en amour est une chanson qui fut composée par un policier.
Ah, ah! Tiens, tiens! Y aurait-il eu préméditation? Le sourire espiègle du chef de police de Québec vendredi passé me porte à le croire.