Le boulevard Taschereau : Destination soleil
Société

Le boulevard Taschereau : Destination soleil

Croyez-le ou non, mais le boulevard Taschereau est en train de devenir une destination touristique de choix. De plus en plus d’étrangers viennent passer leurs vacances au Motel Idéal et au Motel Canada! Ce qui les attire? Le mini-putt, les places de stationnement et les boutiques à un dollar.

Mary et Ernie Gardener, de Boston, ont découvert le Motel Canada du boulevard Taschereau il y a plus de vingt ans. Depuis, ils y reviennent assidûment passer toutes leurs vacances, tous les étés. «Les premières fois, explique madame Gardener, on quittait le boulevard Taschereau pour aller visiter les attractions touristiques de Montréal. Plus maintenant. On trouve de tout ici, et tout est moins cher. On ne pense même pas que l’on traversera le pont cette année pour aller à Montréal. La vie est moins stressante et les gens plus accueillants de ce côté-ci du fleuve.»

Les Gardener font peut-être figure d’exception: les Américains dépliant leurs bagages sur le boulevard depuis autant d’années ne sont pas légion. Mais nos voisins du sud sont de plus en plus nombreux à choisir le principal axe économique de la Rive-Sud comme destination voyage. «Les gens ont l’impression de se retrouver sur une petite île, dans un coin de paradis à l’écart de la grande ville», explique Lucie Forté, responsable du bureau de ventes du Motel Idéal.

Flairant la bonne affaire, le Motel a depuis peu rénové toutes ses chambres. Dorénavant, on ne vise plus une clientèle de motel de passe. L’accent est mis sur le tourisme étranger: «On reçoit de plus en plus de familles américaines, poursuit madame Forté. Même quelques-unes de France et d’Italie! Les gens viennent pour nos chambres ultra-luxueuses, pour profiter de la piscine, et parce qu’on a su personnaliser nos services. Sur Taschereau, les gens forment une petite communauté. Les touristes américains se sentent bien accueillis. Ils se sentent chez eux.»

«Ça ressemble effectivement un peu à Old Ochard ou à Myrtle Beach!» constate Maurice Giroux, directeur de l’information à la radio communautaire CHAA FM, et ancien directeur général de l’Office des congrès et du tourisme de la Rive-Sud. «Je ne suis pas surpris que des Américains aient l’impression de se retrouver aux États-Unis. On y retrouve un peu les mêmes horreurs.»

Il y a deux ans, monsieur Giroux a exposé dans un hebdo du coin, quelques statistiques sur l’achalandage des hôtels de la région: «J’ai constaté que les hôtels de la Rive-Sud connaissent un taux d’occupation égal ou supérieur aux hôtels de Montréal. Encore aujourd’hui, la Rive-Sud semble tirer favorablement son épingle du jeu.»

En effet, les affaires des motels du boulevard Taschereau se portent bien; le Best Western a connu un taux d’occupation plus élevé de 7 % l’an dernier; le Motel Canada affiche déjà complet pour presque toute la saison estivale et le Motel Idéal enregistre des profits records. Partout, on cumule déjà les réservations pour les célébrations de l’an 2000.

Le dollar élastique
Il suffit pourtant de jeter un coup d’oil à l’amalgame de chaînes de stations-service et de fast-foods bordant le boulevard pour que surgisse LA question: Qu’est-ce qui peut bien motiver tant de touristes à passer des vacances sous les néons et les bruits des klaxons? Selon Eric Schiffi, de Tourisme Montérégie, la raison est fort simple: «Les touristes ne veulent rien savoir des tracas qu’engendre leur véhicule. Ils ont souvent peur des bouchons de circulation et des ponts. Ils veulent trouver facilement une place pour stationner leur véhicule. Les touristes savent qu’ils n’ont pas ce genre de problèmes sur le boulevard. Ils sentent que leur voiture est en sécurité. C’est banal comme analyse, mais vous seriez surpris de voir le poids d’un tel argument auprès de notre clientèle. Pour plusieurs touristes, c’est très réconfortant. En outre, Taschereau offre aux plaisanciers l’union de plusieurs pôles d’intérêts: une multitude de restos et, surtout, des centres commerciaux.»

«Le magasinage est sans contredit le plus important attrait touristique pour les voyageurs étrangers ayant choisi de passer des vacances au Québec, affirme Roseline Hébert, de Tourisme Québec. Aux États-Unis, toutes nos campagnes de publicité sont basées sur l’attrait du taux de change et l’avantage d’acheter ici. Le message que l’on fait passer est simple: venez au Québec and strench your dollar.»

Avec ses 2500 établissements commerciaux (pour un total de 650 000 mètres carrés!), le boulevard Taschereau est devenu l’Olympe du shopping par-delà les frontières, la Voie lactée des touristes du Sud! Tout ce qui se vend s’y trouve entassé, classé et étiqueté. On y retrouve des centres commerciaux à grandes et moyennes surfaces, des magasins à rayons que l’on croyait disparus depuis les années 70, sans oublier les célèbres magasins à un dollar. Le boulevard Taschereau est l’artère commerciale qui en compte le plus au pied carré… au Canada!

À ces honneurs, il faut ajouter la présence d’attraits touristiques secondaires, dont plusieurs salles de cinéma et de quilles, des crémeries et… un mini-putt! Bon an, mal an, une industrie touristique voit le jour aux abords du boulevard. Budget y loue des voitures. La compagnie Gray Line offre des départs à partir de certains motels pour le Casino, Montréal et les Laurentides.

D’autres partances s’organisent autour de croisières sur le fleuve. Il ne manque plus que des visites guidées du boulevard Taschereau en tant que tel!

Or, si Taschereau fait la joie de plus en plus de touristes, il mérite pas tous les honneurs. Les dirigeants de la Municipalité régionale de comté (MRC) de Champlain, par exemple, sont conscients du pouvoir d’attraction du boulevard, mais aussi de son manque d’esthétisme. Souvent pointé du doigt en urbanisme comme l’une des pires horreurs de dévelopement du tissu urbain, le boulevard offre un spectacle d’une piètre allure à un achalandage journalier fort important.

«Le boulevard Taschereau est le cas typique d’un corridor routier commercial développé dans les années 50 avec une fonction commerciale surdéveloppée, et un véritable manque de vision», explique André Brodeur de Biancamano Bolduc, une société d’urbanisme mandatée par la MRC Champlain pour travailler à la mise en valeur du boulevard Taschereau. D’ici quelques années, on souhaite offrir un lifting au boulevard: rajout d’une voie réservé pour le transport en commun, enseignes commerciales et panneaux publicitaires harmonisés, bordures paysagées. Mais pas de mesures particulières pour les motels ou les touristes.

Bof, qu’importe… Le soleil y brillera tous les étés, les motels auront toujours des bains tourbillons, et il y aura encore le Mail Champlain.
La Florida réinventée.