Société

Droit de Cité : La Bête lumineuse

Non, ce n’est pas un énième hommage posthume à Pierre Perrault, quoique les personnages (réels) de ce film étaient eux aussi pas mal sur le party.

Non, notre Bête lumineuse, c’est le monstre d’illumination auquel la Ville de Montréal entend consacrer deux millions cent mille dollars.

À ce prix, la Ville va éclairer comme le soleil du midi, le Marché Bonsecours, l’hôtel de ville et les deux édifices qui lui servent d’annexe de chaque côté.

Tout ça pour un party, celui de l’an 2000, en cadeau aux Montréalais pour avoir su si bien se perpétuer dans le temps et dans l’espace.

Tout ça, pour donner l’impression que la métropole vit l’opulence des Fêtes du Millénaire, comme toute autre grande ville du monde, en parant les édifices administratifs de feux incandescents. Histoire, peut-être, de mieux faire rayonner l’administration municipale. Allez savoir…

Un peu comme si la Ville tentait de nous passer le message qu’il faut entrer dans le nouveau millénaire sous un éclairage nouveau. «Laissez-vous guider par la lumière, et l’avenir sera brillant!»

La ville des lumières
Rien contre les célébrations de l’an 2000. Contrairement à d’autres qui, par un appétit de d’excentricité et une certaine hauteur, rappellent l’insignifiance de souligner la vie des choses seulement lors de dates aux chiffres ronds. Tout en soulignant, encore, qu’eux seuls ont bien flairé l’arnaque des Fêtes du nouveau millénaire, puisque le nouveau millénaire n’aura pas lieu à la date dite, mais l’année suivante.

Non rien contre. Il n’y a rien de mal, ni même de superflu, à vouloir célébrer le changement de préfixe nominal. Après tout, à Calgary, on y célèbre bien chaque année les Prairies Oysters, les «Huîtres de Terre», selon la traduction maison, en dégustant, savourant, supportant ou subissant, c’est selon, les gosses du bouf de l’Ouest, l’objet de la fête.
Bref, comme disent les copains, tous les prétextes sont bons pour lever le coude. Santé!
Ce n’est tout de même pas une raison pour picoler avant. Ce n’est pas une raison de perdre la tête.

On devait bien avoir l’esprit gommé chez les élus de Bourque pour autoriser le dépassement du budget initial prévu à cet effet: les coûts étaient évalués à un peu plus de 300 000 dollars, bien, un an plus tard, la Ville entend honorer la vraie facture sans rechigner: deux millions cent mille dollars. L’inflation est galopante chez certains fournisseurs de la Ville. En particulier chez ceux qui obtiennent les contrats sans appel d’offres… Dans ce cas-ci, c’est la compagnie Tredec.

Déjà que la Ville a consacré plus d’un million de dollars pour illuminer la place Jacques-Cartier et ses alentours, et projette d’en rajouter un peu plus pour qu’il fasse jour, jour et nuit, aussi sur le Champ-de-Mars et la Place d’Armes, ce qui, ajouté aux deux millions pour l’hôtel de ville, pousse le compteur jusqu’à cinq millions de dollars. À ce prix, les conseillers un brin pantins de Bourque auraient été bien avisés de se demander si le jeu en vaut bien la chandelle.

L’aberration budgétaire, comme dirait l’autre, c’est infus chez eux. T’as beau les passer chez le blanchisseur de budget, la tache demeure: ils dépensent toujours trop, pour toujours trop futile. C’est la même logique qui a sévi pour les arches du quartier chinois. Dire qu’en plus, ces arches, dans la tradition chinoise, signifient la prospérité pour quiconque les franchit.
Il faut tout un effort d’imagination pour voir en ces projets des leviers économiques et touristiques pour Montréal.

Entre l’être ou le paraître pour ces citoyens, l’administration Bourque a choisi le camp du clinquant, du grandiloquent, du faux prospère et du nouveau riche. Bref, le camp de Bob Gratton.

Choix éclairés
Tout ça pour ça, c’est-à-dire pour célébrer notre éclatante victoire sur le bogue de l’an 2000. Je le répète: il n’y a pas de fêtes sottes, que de la «boose» et du plaisir.
Mais fallait-il en faire autant pour si peu?

Il y aurait eu d’autres façons de faire un présent aux Montréalais. Si la Ville désirait tant souligner l’an 2000 et leur offrir un cadeau, cela aurait pu être dans les parcs de la Ville, en piteux état.

Pour le même montant – cinq millions de dollars -, bien des parcs et terrains de jeux dans les quartiers les plus défavorisés auraient pu recevoir un sérieux lifting, remarquable et perceptible. D’autant plus que le maire Bourque reconnaît la gueule défraîchie de plusieurs des parcs de la Ville, faute de budget. Ce qui, soit dit en passant, est déjà une victoire en soi. Une victoire morale.