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L’îlot d’Aiguillon : L’hôtel des cours brisés
Baptiste Ricard-Châtelain
Additionnez les désirs de grandeur d’un promoteur gourmand à la sensibilité d’un secteur fort achalandé et vous obtenez un hôtel dont on ne connaît pas encore l’aspect définitif, pour lequel on n’a pas délivré tous les permis et dont la construction suscite beaucoup de mécontentement. Bienvenue à l’îlot d’Aiguillon.
La Ville de Québec marche sur des oufs dans le dossier de l’hôtel situé aux abords de la place d’Youville, d’autant plus que quelques millions de dollars de fonds publics y sont investis. Et elle met tout en ouvre pour ne pas donner de munitions aux réfractaires au projet. Mais, malgré tout, quelques éléments chatouillent toujours le sens critique des opposants.
Gourmand, le propriétaire du futur hôtel, Jacques Robitaille, l’est certainement. Sans tambour ni trompette, il a récemment tâté le pouls des autorités municipales. Voulant rentabiliser davantage son entreprise, il a proposé une modification aux plans originaux soumis il y a peu. Un étage supplémentaire ferait son plus grand bonheur a-t-il laissé entendre sans toutefois déposer de demande officielle.
Il s’est cependant buté à la détermination des fonctionnaires de ne rien laisser au hasard et de suivre à la lettre la procédure pour ne pas se retrouver dans l’eau bouillante. «Les seuls qui peuvent approuver ça, c’est la Commission d’urbanisme et de conservation (CUCQ)», fait valoir le responsable du dossier pour l’organisme municipal, Yvon Robitaille. Il s’attend à recevoir une demande d’ici quelques semaines à moins que le promoteur ait compris les réticences de la Ville à lui accorder ce privilège.
La CUCQ et la Division des permis et des programmes (DPP) ont indiqué que le règlement de zonage est très clair. L’hôtel comptera dix étages et son élévation ne sera pas de plus de 30 mètres. Cela rend très perplexe Yvon Robitaille quant à une possible acceptation de la demande. «Ça me surprendrait ben gros», s’exclame-t-il.
La présidente de la CUCQ et conseillère municipale, Odile Roy, en remet. «On peut accepter des changements, mais pas n’importe quoi_ C’est un secteur qui est très sensible», expose-t-elle, prise de court, n’étant pas au courant des désirs de Jacques Robitaille.
Consultations publiques
Certains pourraient s’en donner à cour joie si l’investisseur se décide et demande un amendement au zonage. Des consultations publiques deviendraient alors inévitables, explique l’un des porte-parole de la Ville, André Chamorel. Jusqu’à maintenant, elles ont pu être éludées puisque le projet répond en tout point aux normes.
La hauteur prévue de l’édifice, la densité d’occupation du sol et les usages qu’on en fera correspondent donc aux règles préalablement fixées. La seule façon de se faire entendre pour les citoyens est ainsi, pour l’instant, de communiquer avec les conseillers municipaux ou les médias, selon M. Chamorel.
Mais, bien que des consultations publiques ne doivent pas avoir lieu à moins d’un revirement de situation, les protestataires ne manquent pas. Au Comité des citoyens du Vieux-Québec on s’oppose au projet de «l’Îlot sauna» et l’on déposera une demande de moratoire sur le développement hôtelier dans le quartier en août, signale la présidente, Christine Gosselin.
Un autre membre du Comité, Benoît Bossé, est tout aussi découragé de l’attitude de la Ville dans le dossier. Selon lui, la municipalité se laisse porter par la vague de la hausse de l’achalandage touristique. «On assiste à une multiplication des projets près du ou dans le Vieux-Québec sans planification d’ensemble, sans ligne directrice, note-t-il. Dans cinq ou dix ans, que va-t-il arriver s’il y a moins de touristes?»
Certains vont plus loin et tentent de se regrouper afin de stopper les travaux. C’est le cas de trois empêcheurs de tourner en rond «professionnels» qui veulent mobiliser les troupes.
«On est vraiment tenu à l’écart», déplore Richard-Pierre Caron, un résidant du Vieux-Québec qui ne comprend pas comment l’argent des contribuables peut être investi sans consultation. Un de ses acolytes, Marc Boutin, s’étonne pour sa part que l’on accepte d’ériger un tel édifice près d’une place publique. «On dirait que l’époque Pelletier revient», clame-t-il.
Le troisième mousquetaire, François Dussault, un propriétaire immobilier du secteur, est quant à lui surpris de constater que les plans finaux n’ont toujours pas été déposés à la Ville. «On a donné le feu vert à la construction d’un édifice dont on ne connaît même pas l’aspect final», déplore-t-il.
Dossier en suspens
Information confirmée par la CUCQ. «Jusqu’à maintenant, on a délivré des permis partiels», fait remarquer le secrétaire et architecte de la Commission, Yves Couture. En fait, Jacques Robitaille a été renvoyé chez son architecte pour qu’il peaufine ses plans puisque l’apparence extérieure de l’immeuble ne convient pas. Il ne peut donc, présentement, que terminer la construction des étages souterrains. Tout ce qui dépassera le niveau de la rue reste à être approuvé.
Le conseiller en réglementation qui a piloté le dossier pour la DPP, Jacques Michaud, précise que «pour l’aspect final du bâtiment, on ne s’est pas encore entendu_ Là où on accroche, c’est au plan du fini extérieur». À deux ou trois reprises, Jacques Robitaille aurait changé les matériaux qui seront utilisés et ils ne répondent pas tous aux critères. Le promoteur devra se représenter devant la Ville au retour des vacances et reprendre le processus d’approbation. Le dossier est donc en suspens pour une période indéterminée.
Mais, bien que l’entreprise de Jacques Robitaille crée des remous, plusieurs intervenants ne trouvent rien à redire, au contraire. Pour le président de l’Association des gens d’affaires du Vieux-Québec, Claude Dupuis, l’arrivée de l’hôtel apportera de l’eau au moulin et améliorera l’apparence du secteur.
N’ayant pas été informé de l’implantation de nombreux commerces au rez-de-chaussée de l’hôtel, il se réjouit tout de même de leur arrivée et ne craint pas la concurrence. «Il faut voir le Vieux-Québec comme un immense centre commercial à ciel ouvert», croit M. Dupuis.
Avis partagé par l’Office du tourisme et des congrès de Québec. Le porte-parole, Daniel Gagnon, est «dépassé par l’attitude des gens». Pour lui, la construction d’un nouvel hôtel de 230 chambres au centre-ville est de bon augure et les citoyens ne devraient pas s’en plaindre. Il ne veut donc pas de consultations publiques. «La Ville de Québec est plus catholique que le pape quand on parle d’aménagement», conclut-il.
Notons que le dossier de l’îlot d’Aiguillon est surveillé de près et qu’il est parfois difficile d’obtenir des renseignements. À la Régie du bâtiment du Québec, le directeur régional, Serge Goulet, s’est contenté de dire qu’il veille à la sécurité des lieux mais que, pour toutes autres informations, il avait un devoir de réserve.
Attitude similaire à l’Association hôtelière de Québec. «On a déjà essayé d’intervenir_ On s’est fait dire que ce n’était pas de notre ressort», lance le porte-parole, Fred Carraro. «On n’a pas à critiquer. On les représente tous [les hôteliers], même les non-membres.»