Société

Je marche

Bien sûr, ce ne sera jamais comme marcher sur la Lune. Reste que la Marche de la fierté gaie représente un maudit grand pas pour l’humanité! Après tout, l’homosexualité était criminelle voilà à peine trente ans au Canada (et dans presque tous les pays). Au début des années 70, une manifestation publique pouvant regrouper un jour une foule de 200 000 hommes et femmes aux «mours honteuses» tenait de la pure utopie. Belle évolution des mentalités, non?

Comme chaque été, depuis six ans, je marcherai dimanche après-midi. J’aurais pourtant mieux à faire. Je connais meilleur scénario de vacances que de parader en compagnie de dykes on bykes aussi sympathiques qu’un poteau de téléphone, et de gros gars de cuir adeptes de flagellation… Vraiment, je préférerais me réfugier au chalet, avec mon chum, loin des travelos et de tous ces bellâtres musclés, bronzés et fraîchement épilés.

Mais je vais marcher. Car je suis persuadé que ce défilé aux allures de carnaval a une portée plus politique que symbolique parmi la population. Le seuil de tolérance des Québécois se mesure à l’intensité de cette fête se répandant dans le Village et ses environs. On le sait, les préjugés sont aussi tenaces que pernicieux. En côtoyant la faune du bal populaire de Divers/Cité, madame Tartempion de Repentigny croisera peut-être son épicier ou son facteur, un voisin ou un cousin. Elle réalisera que les «fifis» n’habitent pas tous autour de Radio-Canada.

Cependant, j’avoue avoir des réserves quant au concept de «Fierté gaie» que certains portent comme un bijou en toc. Il me semble devenu difficile à défendre. Quand un hétérosexuel ouvert d’esprit me demande d’où nous vient ce besoin viscéral d’afficher notre orientation sexuelle à la face du monde, je sens mes arguments fondre comme neige en juillet.

En fait, j’ai toujours pensé que la fierté était une étape de l’acceptation sociale des gais et des lesbiennes. Pas une fin en soi.

Malheureusement, l’identité homosexuelle ressemble de plus en plus à un «nationalisme sexuel» qu’on célèbre à date fixe. En 1999, le mouvement de «la Fierté gaie, lesbienne, bisexuelle, transsexuelle et travestie» (un dessert, avec ça?) se résume trop souvent à une cause à la mode, un trend pour talk-shows en manque de sujets osés. Les militants roses, comme autrefois les rouges ou les verts, n’acceptent aucune critique. À leurs yeux, même le journal que vous tenez entre vos mains est «homophobe»!!!

Ces militants me font penser à de précieuses ridicules, à la recherche d’une cause pour combler leur vanité. Pourquoi les lesbiennes et les gais devraient-ils obligatoirement choisir entre le ghetto et le placard, entre la fierté et le silence? Entre les deux, n’y a-t-il pas une zone plus confortable, un nouveau «pacte social» à définir avec l’ensemble de la population québécoise et canadienne? C’est l’espoir qui nourrira mon cour, dimanche, en parcourant la rue Saint-Denis.

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Je ne marcherai donc pas pour la Fierté, mais pour l’Égalité. Malgré l’évolution sociale, les gais et les lesbiennes sont toujours traités injustement. Ne me sortez pas les chartes et les lois. Je vous parle de discrimination quotidienne, à la fois insidieuse et criante, qui sévit partout où la loi du nombre et du bon sens ne s’applique pas. C’est-à-dire à bien des endroits, lorsqu’on fait partie d’une minorité.

Avant d’assumer leur orientation sexuelle, les gais et les lesbiennes vivent souvent de longues et humiliantes années. Encore aujourd’hui, la grande majorité d’entre eux préfère rester dans le placard. Certains par choix, mais beaucoup par peur des représailles. Car la violence verbale ou physique est le lot de bien des gais et des lesbiennes. On continue à casser du sucre sur le dos des tapettes et autres «pousseux de merde». Sur les ondes, dans les réunions de famille, pendant les partys de bureau, ou parmi certains humoristes qui ne péchent pas par excès de subtilité pour vendre des tickets. Rappelons simplement que ce genre d’humour vise un groupe avec un taux de suicide cinq fois plus élevé que la moyenne chez les 15 à 25 ans…

Ce qui pousse tant de jeunes homosexuels à s’enlever la vie n’a rien de drôle. Alors, si ceux-ci peuvent déambuler dans la rue en toute sécurité, sans avoir à affronter les railleries, le mépris et les regards réprobateurs, c’est tant mieux! Je marcherai avec eux.
Finalement, je vais marcher, bien égoïstement, pour l’enivrant sentiment de liberté que me procure la parade. Nulle part ailleurs, je n’ai ressenti le bonheur d’être gai sans avoir à justifier à tout un chacun le pourquoi et le comment de mon désir.

Imaginez si on vous demandait d’expliquer en long et en large votre attirance sexuelle pour les membres du sexe opposé… Disons deux fois par mois, entre l’âge de 15 et 65 ans. Ça fait 1200 explications à une question dont la réponse coule de source.

Un jour, les gais et les lesbiennes vivront peut-être leur amour sans craindre d’être jugés ou rejetés. Alors là, je ne marcherai plus. Et je resterai bien tranquille au chalet, avec mon chum.