La Lune contient-elle autant d’eau que l’astronaute «Buzz» Aldrin but de scotch en trente ans? Le nouveau télescope à rayons X largué en juin par la navette spatiale saura-t-il déceler au fond de l’univers les raisons de notre passage ici-bas? Combien y a-t-il de mondes habitables de l’autre côté de la galaxie d’Andromède? Rendra-t-on à Mir tous les honneurs que la station mérite en la ramenant sur la Terre?
Entre cinq guerres ethniques, quatre accidents d’auto, trois homicides crapuleux, deux grèves sauvages et trente-huit degrés à l’ombre, l’humanité aveugle lève parfois les yeux vers la voûte de velours piqué de diamants qui, comme le croyaient les Perses, nous tient lieu d’infini.
On parle d’espace un peu partout. Ce petit regain d’intérêt romantique pour ce qui se cache de l’autre côté des étoiles a-t-il quelque chose à voir avec la deuxième fin de millénaire sur ce monde étroit et pollué?
Touristes de demain, vacanciers du dimanche, songez que, malgré les météorites, les excréments en orbite et la menace extraterrestre, un jour, nous (l’humanité) prendrons la navette spatiale aussi simplement que nos ancêtres peu civilisés embarquaient sur le Louis-Jolliet pour une soirée disco, histoire d’apprécier le paysage.
Vue d’en haut, la Terre de l’an 2000 a le visage crasseux d’un enfant turbulent, elle affiche une calvitie précoce aux pôles. Des mouches collent aux grands yeux noirs de l’Afrique.
En plein jour, la seule construction humaine visible des cieux demeure depuis deux mille ans la Grande Muraille de Chine. Ça, c’est quand il fait jour.
La nuit, tout en haut du continent, on peut observer deux points d’une extrême luminescence. Ce sont Montréal et Québec qui brillent de mille feux. Qui brillent tellement, en fait, que c’en est proprement scandaleux pour certains.
Une analyse des images satellites de la US Air Force montre qu’en janvier 1977, la ville de Montréal envoyait autant de lumière vers le ciel que la ville de New York, et la ville de Québec, autant que celle de Paris. Bref, quitte à n’avoir comme Champs-Élysées qu’un bout du boulevard René-Lévesque, et comme tour Eiffel que la grosse antenne de la rue Myrand, nous pouvons désormais prétendre au titre de «Ville lumière». Que l’Office du tourisme mette ça dans ses brochures. Cette constatation a été faite lors d’un symposium sur la protection du ciel astronomique, tenu à Vienne, il y a quelques jours.
Yvan Dutil de l’Observatoire du mont Mégantic, qui participait à ce symposium, s’indigne de la chose dans une petite communication qu’il m’a fait parvenir. «Cet éclairage excessif brise la limpidité du ciel observable au-dessus de nos têtes, empêchant des millions de citadins de pouvoir contempler à loisir les étoiles», dit-il. Et il est vrai que ceux qui n’ont jamais contemplé le ciel loin des lumières de la ville, sur une sombre route de campagne, par exemple, manquent un des spectacles permanents les plus hallucinants qui puissent se voir.
Beaucoup ne prendront pas très au sérieux cette préoccupation d’astronome. J’estime, pour ma part, que la contemplation d’un ciel rempli d’étoiles est une thérapie contre les soucis et les problèmes insolubles du quotidien toute aussi efficace que la méditation transcendentale, le yoga ou l’overdose de valériane.
La sensation d’infinie petitesse qu’elle procure au plus orgueilleux et au plus anxieux des hommes permet de relativiser les pires malheurs et de réduire temporairement bien des problèmes personnels à l’infiniment petit. Ce n’est pas tout.
«Fiat luxe»
Même en tenant compte de la réflexion de la lumière sur la neige, Yvan Dutil a découvert que «les Québécois émettent en moyenne deux à trois fois plus de lumière par habitant que les Européens ou même les Américains».
Cet éclairage excessif a bien sûr un prix que les spécialistes ont estimé à quarante-cinq millions de dollars pour l’ensemble du territoire québécois. Québec, à elle seule, consommerait quatre-vingt gigawatts/heure pour une perte estimée à 4,8 millions de dollars annuellement. Pour Montréal, une perte de près de quinze millions.
«Un projet comme le Plan lumière de la Commission de la Capitale Nationale reflète (sic) la totale ignorance des gouvernements face au problème», ajoute Dutil.
Faut-il pour autant tirer la plug, couper le courant, allumer les bougies et la lampe à huile?
Dutil propose simplement d’éclairer mieux. C’est-à-dire d’éclairer uniquement ce qui doit l’être et de contrôler l’éclairage en le dirigeant avec plus de précision vers le point à éclairer. D’autres que nous ont, semble-t-il, trouvé moyen de le faire en utilisant des minuteries et des détecteurs de mouvement.
Pendant toute mon enfance, le complexe G, la nuit, brillait de tous ses feux. Étant donné que père et mère répétaient quotidiennement d’éteindre les lumières de la pièce qu’on venait de quitter, cela m’étonnait totalement. La légende selon laquelle il en coûtait plus cher d’éteindre et de rallumer au matin plutôt que de laisser allumé était-elle vraie?
Toronto n’a pas résolu le problème, mais ses astronomes amateurs se réjouissent déjà. On projette de créer un parc, le Torrence Berrens Reserve, où la pollution lumineuse sera interdite. Le parc sans lumière de 2000 hectares serait créé dans la baie Géorgienne, à 90 kilomètres de Toronto. Une ville, ça éclaire de loin: dans mon bled de campagne, à une heure quinze de Québec, on ne saurait voir une vache à trois mètres, mais on distingue facilement les lumières de la capitale. Si vous savez voyager, la dernière éclipse solaire totale du siècle, attendue pour le 11 août, vous permettra d’y voir clair. À moins que, là où vous serez, on soit aussi fou de tous ces énormes spots qui s’allument automatiquement.
La lumière éclaire ce que la nuit cache, elle aveugle aussi ce que la nuit révèle. Joli paradoxe.