Annabel Chong : Fuck Fest
Société

Annabel Chong : Fuck Fest

En 1995, Annabel Chong a baisé avec 251 hommes en dix heures. Cette semaine, dans le cadre du festival Fantasia (le festival du sperme, des sueurs froides et du sang), elle vient à Montréal pour nous parler de sa «performance féministe». Faites la queue comme tout le monde…

Avant, devenir célèbre n’était pas à la portée de tout le monde. Maintenant, n’importe quel bozo peut devenir une star. Suffit de tirer sur un Président, ou d’avaler cent vingt hot-dogs en une demi-heure.

Vous connaissez tous la blague: «Sophie était une pauvre fille qui tirait le diable par la queue. Un jour, elle se dit: "Pourquoi seulement le diable?" Et elle devint très riche.»

Eh bien, c’est un peu ce qui est arrivé à Annabel Chong (de son vrai nom Grace Quek). Cette Chinoise qui a grandi en Angleterre a toujours adoré faire l’amour. Au début des années 90, elle décida de mettre son talent au service de son portefeuille. Elle devint donc une actrice de films pornos. Mais après avoir tourné dans plusieurs productions (I Can’t Believe I Did the Whole Team, More Dirty Debutantes #37 et l’inoubliable Cocksuckers), Annabel avait un goût amer dans la bouche. L’anonymat, très peu pour elle. Elle voulait sortir du rang, en mettre plein la vue.

Avec son producteur John T. Bone, cette diplômée universitaire de vingt-deux ans accoucha d’un concept révolutionnaire: le méga gang bang, la partouze la plus spectaculaire de l’histoire depuis la chute de l’Empire romain (et le party de Gilbert Rozon au Manoir Richelieu). C’est ainsi que le 19 janvier 1995, Annabel s’enferma dans un entrepôt avec quelques caméras. Son objectif: baiser trois cents hommes. Mais l’un des participants avait oublié de se couper les ongles, et lui déchira l’intérieur du vagin. Résultat: la performeuse dut se contenter de 251 partenaires sexuels. À l’époque, c’était un record mondial; mais depuis, il a été battu à plusieurs reprises – d’abord par Jasmine St-Clair, qui a atteint le nombre vénérable de trois cents; puis par une autre marathonienne du sexe, qui affirme avoir baisé avec plus de six cents hommes.

Le cinéaste Gough Lewis a tourné un documentaire sur la nymphette: Sex, The Annabel Chong Story. Après avoir fait courir les foules au Festival de Sundance, cet exercice de voyeurisme (au cours duquel Chong s’auto-mutile et dévoile sa véritable profession à sa mère, qui fond en larmes) sera présenté au Festival Fantasia, en présence de la hardeuse.

Nous avons joint Annabel Chong à son domicile, à Los Angeles.

Tout d’abord, comment s’est passé ce gang bang?
Très bien, c’était très sécuritaire. Parmi les participants, il y avait des professionnels de la porno, qui passent régulièrement des tests de VIH. Quant aux autres, ils devaient porter des condoms, c’était obligatoire. Des gardiens de sécurité se chargeaient de faire respecter la consigne. Les règles étaient claires: je baisais avec cinq gars en même temps pendant dix minutes, puis ils étaient remplacés par cinq autres gars. En tout, j’ai dû baiser pendant six, sept heures. Les gars n’avaient pas besoin de jouir. L’important était qu’ils me pénètrent. Étant donné qu’il n’y avait pas trois cents hommes dans la salle, certains ont pu revenir une ou deux fois…

La cassette de cet événement, The World’s Biggest Gang Bang, s’est vendue à 400 000 exemplaires, et est devenue le plus gros succès de l’histoire de la vidéo porno. Mais vous dites que ce gang bang était aussi une performance féministe…
En effet, c’était une façon de détruire le cliché voulant que la sexualité féminine soit passive. Quand un homme baise avec deux cents femmes, on dit qu’il est un stud. Mais quand une femme baise avec deux cents hommes, on dit que c’est une salope. Pourquoi? Les femmes ont autant droit à leurs fantasmes que les hommes. Si, moi, ça me plaît de baiser avec trois cents gars, ça me regarde, non? C’est mon corps, c’est ma décision!

Il y avait aussi beaucoup d’humour, dans cette performance. Je me moquais de l’image du gars viril. Ils étaient tous là, à faire la queue, nus, nerveux. Tout ça pour quoi? Pour pouvoir monter une fille pendant quelques minutes. En fait, je disais que les hommes sont ridicules, qu’ils sont prêts à baiser n’importe quoi, pourvu que ça bouge.

Malheureusement, les féministes n’ont pas vu ce côté humoristique…

Disons qu’on peut se poser des questions. Visiblement, vous êtes une femme intelligente, énergique. Pourquoi n’avez-vous pas investi votre énergie et votre bagout dans la défense de causes un peu plus urgentes, comme la parité salariale entre les hommes et les femmes, par exemple? Il me semble que c’est un peu plus constructif…
Mais c’est exactement ce que je fais! Je lutte pour que les actrices pornos soient aussi bien payées que les hommes, et pour qu’elles soient représentées dans les postes importants: réalisation, production, distribution. Actuellement, je poursuis mon ancien producteur qui me doit 10 000 dollars…

Cela dit, tout ce débat autour de la définition du féminisme m’ennuie. J’ai tendance à me tenir loin de tout ça. Avant, les femmes se crêpaient le chignon pour les hommes. Maintenant, elles se chicanent pour savoir qui est une «vraie» féministe…

Chaque fois que l’on parle de vous, on souligne le fait que vous êtes une diplômée de l’Université de Southern California. C’est la même chose avec de nombreuses performeuses érotiques. Elles disent toujours: «Mais je ne suis pas qu’une actrice porno, je suis aussi une docteure en socio, ou une étudiante en arts…» Il y aurait donc deux classes de pornocrates: les intellectuelles, qui ont un discours, et les autres, qui ne pensent qu’à l’argent? Ça me semble terriblement méprisant…
Écoutez, c’est partout pareil! Que disent les garçons de café? «Je ne suis pas qu’un serveur, je suis aussi comédien.» Et les journalistes? «Je ne fais pas que rédiger des articles dans des magazines, j’écris aussi des livres et des scénarios.» On veut montrer que les actrices de films pornos sont aussi capables de faire autre chose, de réfléchir, d’écrire des thèses. Que nous ne sommes pas que des machines à baiser.

Cela dit, chaque personne a ses raisons de faire de la porno. Jasmine Saint-Clair, qui a battu mon record, a fait un gang bang strictement pour le fric. Tant mieux! Tout ce que j’ai à dire, c’est: «Go, girl, go!» Je n’ai pas à la juger…

Vous connaissez Annie Sprinkle?
Ah oui, on se voit souvent. C’est une femme adorable, merveilleuse. Je ne partage pas tout ce qu’elle fait (son côté nouvel âge, par exemple, a tendance à m’agacer), mais je la respecte énormément.

Il y a quelques années, Annie Sprinkle est venue présenter un spectacle à Montréal. La plupart des gens qui ont payé vingt dollars pour la voir se masturber sur scène n’auraient jamais, jamais mis les pieds dans un club de danseuses. Ce n’est pas hypocrite, tout ça? Annie Sprinkle qui se passe un vibrateur, c’est de l’art. Mais la fille qui se déshabille pour dix dollars de l’autre côté de la rue, c’est du vice…
Effectivement, c’est hypocrite, mais ce n’est pas une raison pour tout balayer du revers de la main, et dire que les performances d’Annie, c’est de la foutaise. Vous savez, tout est dans le regard! Certaines personnes n’iront jamais dans un club de danseuses, ils ne s’y sentiraient pas à l’aise. Si ça prend des performances «artistiques» pour les faire sortir de leur salon, les encourager à réfléchir sur leur sexualité et à briser leurs tabous, eh bien, so be it.

Jasmine Saint-Clair a baisé avec trois cents hommes. Une autre performeuse a dépassé le cap du cinq cents. On pourrait dire que vous avez créé un monstre…
Peut-être! (Rires) Mais vous savez, ça aussi, ça faisait partie de ma performance. Ce commentaire sur l’importance du nombre dans la société américaine. Tout doit être plus gros, on doit toujours briser des records, les plus gros films avec les plus gros budgets et les plus gros effets spéciaux. Aux États-Unis, on est obsédé par les statistiques. Pas étonnant que le sport soit devenu une religion…

Quant à moi, je veux m’orienter vers autre chose, explorer une autre facette de la sexualité. Les records spectaculaires, je laisse ça à d’autres. Que serait-il arrivé aux Sex Pistols s’ils avaient continué à faire du punk en 1985? Ils auraient été pathétiques. Ils ont fait ce qu’ils avaient à faire, et ils sont passés à autre chose. Johnny Lyndon, par exemple, s’est tourné vers d’autres genres de musique. Et ce qu’il fait est toujours aussi pertinent, même si ça fait moins de vagues…

Vous allez passer quelques jours à Montréal. Allez-vous profiter de votre visite pour baiser?
Je ne sais pas… C’est une offre?

Sex: The Annabel Chong Story sera présenté le jeudi 12 août, à 21 h 40, à l’Impérial (pendant ce temps-là, le Cinéma L’Amour présentera Lust in the Bahamas).