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Le racisme dans la capitale : Québec raciste? Ben voyons!
Baptiste Ricard-Châtelain
Le nombre de plaintes pour discrimination par rapport à la race, la couleur, l’origine ethnique ou nationale a doublé depuis les cinq dernières années dans la région de la capitale. Portrait d’une situation dont on parle très peu.
Sommes-nous racistes à Québec? – Ben voyons! Regardez les Kosovars, ils ont bien été reçus. Mais, le problème, c’est qu’ils sont loin d’être les seuls immigrants à venir s’établir ici. Et, les autres, ceux dont on n’entend jamais parler, ont souvent maille à partir avec les services sociaux, le système de santé, les policiers, les propriétaires de logements, les employeurs.
Plusieurs croient que la capitale québécoise est épargnée par le racisme. Les immigrants y sont proportionnellement peu nombreux et, surtout, peu visibles ou, plutôt, très visibles. Justement.
C’est de cet état de fait que tous les problèmes découlent, selon les intervenants du milieu, bien que la situation soit nettement moins grave que dans la métropole.
Coordonnatrice à l’intégration pour la maison d’hébergement pour femmes immigrantes de Québec, Rosa Miranda en a vu des vertes et des pas mûres au cours de ses 13 ans dans le milieu. Pour elle, il y a de grandes lacunes au plan des services sociaux, un manque d’ouverture flagrant. «[Ils] ne sont pas adaptés.»
Des femmes amochées physiquement et/ou psychologiquement, Mme Miranda en rencontre quelques centaines par année. Lorsqu’elle se rend à l’hôpital, elle remarque souvent les réticences du personnel, principalement les plus âgés, à prendre soin des immigrantes. «Elles sont traitées comme si elles avaient des maladies graves», observe-t-elle.
Même constat de manque d’ouverture de la part des agents de la Direction de la protection de la jeunesse. «La DPJ, c’est très très raciste car il y a beaucoup de préjugés», lance Mme Miranda. Encore là, les plus âgés sont les plus bornés, selon elle. Elle déplore le peu de considération pour les us et coutumes des nouveaux arrivants. Elle a d’ailleurs déjà porté plainte contre une travailleuse sociale qui voulait retirer ses enfants à une femme parce que celle-ci ne parlait que le roumain. L’employée en question s’était même rendue dans les bureaux de Mme Miranda pour l’injurier.
La situation est tout aussi inquiétante, pour Mme Miranda, au sein des corps de police, quoiqu’un pas de géant ait été fait à cet égard. Les policiers ont participé à des formations données par le centre d’hébergement. Malgré tout, l’intervention des forces de l’ordre demeure parfois difficile, principalement lorsque l’on parle de violence conjugale ou d’enfants battus. «Il y a des préjugés face aux femmes victime de violence_ Les policiers ont peur d’intervenir contre les maris immigrants», souligne-t-elle. La croyance la plus dommageable et entendue de la bouche de policiers: «[Que faire] si c’est dans leurs coutumes de se faire battre?»
Agent d’accueil et d’établissement au Centre multiethnique de Québec, José Lopez abonde dans le même sens. Selon lui, les programmes sociaux ne sont pas pensés en fonction des immigrants. «On est arriérés à ce niveau-là», juge-t-il.
Mais, pour M. Lopez, c’est lors de la recherche d’un emploi ou d’un logement que les préjugés se font le plus sentir face aux clientèles qu’il dessert. Seul intervenant de la région spécialisé dans la «dynamique des hommes», il en a souvent rencontrés qui ne savaient où donner de la tête tellement on leur mettait des bâtons dans les roues. «Pas mal de clients vont venir dans mon bureau et pleurer ou manifester leur frustration.»
Des exemples, il en collectionne. Il n’y a pas très longtemps, un homme de 35 ans, complètement atterré, lui a dit qu’il venait de comprendre qu’il était Noir. Un employeur lui avait promis un poste s’il suivait une formation d’agent de sécurité. Il a investi ses avoirs dans l’aventure mais n’a jamais décroché l’emploi en question. L’employeur n’avait plus de besoin en personnel. Toutefois, quelques jours après, il a embauché trois agents.
À une autre occasion, M. Lopez a discutaillé ferme avec un propriétaire de logements qui ne voulait pas louer à un Colombien en exil. «Hé! C’est un Colombien. Moi, je ne veux pas de drogue dans mon immeuble», lui aurait-il dit.
Néanmoins, M. Lopez préfère parler d’ignorance et non de racisme. «C’est la peur de la différence, de l’inconnu», philosophe-t-il.
Point de vue partagé par la directrice du Service d’aide à l’adaptation des immigrant(e)s, Jelena Krstic, qui n’aime pas employer le mot racisme. Elle préfère penser que les comportements déplaisants dont sont victimes les immigrants ne sont qu’une réaction momentanée au choc de la rencontre avec d’autres peuples.
Mais elle aussi côtoie quotidiennement des gens victimes de discrimination lors d’entrevues d’embauche ou de la location d’un logement. Toutefois, elle est d’avis que les commentaires désobligeants peuvent parfois être nettement plus blessants. Une femme inconnue a même déjà contacté son centre pour engueuler la téléphoniste et lui dire qu’elle en avait marre des immigrants. Elle ignorait que celle qui lui a répondu était une Québécoise «pure laine». En outre, les «maudite négresse» et autres remarques du genre s’avèrent tout aussi difficiles à encaisser.
À la Ligue des Noirs du Québec, on est moins tendre et réservé, surtout lorsqu’on aborde les questions relatives au système de justice. Basé à Montréal, l’organisme reçoit des plaintes de partout dans la province, dont de Québec. Pour le président, Dan Philip, les Noirs sont souvent victimes de harcèlement de la part des policiers qui recherchent un suspect et le voient dans tous les Noirs. Et, quand vient le temps de porter plainte? «Le Comité de déontologie, c’est de la foutaise, c’est des conneries», lance-t-il.
C’est vrai !
L’essentiel de ces critiques est corroboré par le directeur de la Commission des droits de la personne, Marc Bilocq. Le nombre de plaintes pour discrimination par rapport à la race, la couleur, l’origine ethnique ou nationale a doublé depuis les cinq dernières années dans la région, passant de 4 à 8 % du total. Toutefois, on est encore bien loin de la situation vécue à Montréal où cela représente 20 % des demandes.
«On est sûr que le problème est plus gros que ça_ Le volume qu’on obtient n’est sûrement pas représentatif de la réalité», renchérit M. Bilocq. Pourquoi? Tout simplement parce que les immigrants hésitent à porter plainte étant donné que le fardeau de la preuve pèse lourd sur leurs épaules. Leurs expériences avec des gouvernements totalitaires leur inspirent également de la méfiance face à la Commission.
Entre tous les champs de discrimination, c’est le monde du travail qui remporte la palme avec 70 % des plaintes. Viennent ensuite les difficultés d’accès à un logement et à des lieux publics tels des restaurants ou des bars.
Tout est réglé
À la DPJ, le directeur pour la région Québec-centre, Pierre Racette, reconnaît qu’il y a déjà eu un problème de compréhension des communautés ethniques au sein de l’organisme. Cependant, deux ou trois employés ont reçu une formation d’appoint. «La masse critique n’est pas suffisante pour développer une expertise comme à Montréal», précise-t-il.
Il a été impossible d’obtenir les commentaires du greffier et directeur administratif du Comité de déontologie policière, Me Yves Renaud, ce dernier étant en vacances.
Quant au Commissaire à la déontologie policière et à la Régie du logement, aucune compilation de statistiques n’y est effectuée pour évaluer l’ampleur du problème soulevé.