

Les jeunes libéraux : Le tournis
Éric Grenier
Les jeunes libéraux de Jean Charest nous avaient promis une grande remise en question du «modèle québécois» pour leur dernier congrès. Ils nous ont plutôt servi une crise existentielle. Portrait d’une jeunesse écartelée entre la droite et la gauche…
Après deux jours à frayer avec les jeunes libéraux, lors de leur Congrès-Jeunesse annuel, nous ne savons toujours pas ce qu’est le modèle québécois, le nouveau buzzword des politiciens, infatigables fabricants d’expressions passe-partout.
Encore aurait-il fallu s’entendre sur la définition du terme avant d’en parler. «C’est un mélange d’économie sociale et d’initiatives privées», me lancera un militant.
Ce n’est pas le modèle québécois, c’est le modèle de l’économie mixte, en vigueur dans l’ensemble des pays occidentaux, à l’exception des États-Unis! «Ouais, t’as peut-être raison…»
Par contre, nous avons trouvé des jeunes libéraux qui se cherchent: tourne à droite, tourne à gauche, ils ont tenté de se donner une nouvelle identité.
«Nous essayons d’être à gauche où nous étions à droite, et à droite, où nous étions à gauche», déplore François J. Vain, militant de la Commission Jeunesse du PLQ depuis cinq ans.
Que sont devenus les jeunes libéraux sous Jean Charest? Toujours les mêmes. «Ceux qui ont proposé le système de santé à deux vitesses sont au parti depuis bien plus longtemps que Jean Charest», fait remarquer Guillaume Côté, de Sherbrooke.
«D’aucune manière Jean Charest n’est responsable de ce qui se passe, croit pour sa part Chantale Ouimet. Ce qu’on a vu dans le parti en fin de semaine, c’est un écourement face aux ratés de la réforme Rochon _ Jean Charest ou pas.»
Le «courage» des jeunes
L’évacuation des débats sur la question nationale a permis l’émancipation d’une autre bivalence au sein de la CJ. Si, autrefois, l’assemblée était le terrain d’affrontements entre nationalistes mous et fédéralistes durs, désormais, c’est la gauche contre la droite. Ou, si vous préférez, conservateurs versus libéraux…
«C’est le problème au Québec: il n’y a pas de polarisation entre droite et gauche. C’est fédéraliste ou souverainiste», constate Yannick Sirois, délégué de Matane.
Sirois est aussi militant chez les libéraux fédéraux. Lorsqu’il a entendu son nouveau chef louanger la «Révolution du bon sens» du conservateur ontarien Mike Harris, l’automne dernier, son cour de libéral n’a fait qu’un tour! «Pourquoi aller chercher des modèles à l’extérieur, comme en Ontario et en Alberta? Aïe! L’Alberta, c’est le Texas du Nord! Ce n’est pas nous autres. Le modèle de Mike Harris, ça n’a rien de libéral. Je ne peux pas prôner une affaire sur la scène fédérale, et prôner son contraire au Québec. C’est insensé!»
Fait étonnant, peu de jeunes conservateurs semblent avoir suivi Jean Charest du PC au PLQ. Nous n’en avons trouvé aucun. Normal, paraît-il: «Les jeunes conservateurs y étaient déjà avant lui», constate David Rheault, le président de la CJ.
Certes, les quatre cents délégués présents au Collège militaire de Saint-Jean ont adopté une résolution controversée et résolument conservatrice – la proposition 6-f, qui suggère que les malades qui en ont les moyens puissent se retirer des listes d’attente et s’offrir médecins, salles d’opération et autres ressources médicales à grands frais, en attendant que l’État retrouve les moyens de s’offrir un régime universel.
Une résolution rejetée d’emblée par le chef. «Le PLQ veut un système de santé universel, accessible, où une personne pauvre a accès aux mêmes soins qu’une personne nantie», dira Jean Charest en conférence de presse, une fois le congrès terminé. (Sous Robert Bourassa, le chef rabrouait les positions des jeunes devant eux, lors du traditionnel discours dominical, et non pas en leur absence, avec les journalistes.)
À tout le moins, le chef libéral a souligné le «courage» de ses jeunes troupes.
Michel Bento, délégué pour Crémazie, aurait préféré se passer de ce supposé courage. «Nous devons nous tenir loin du débat sur un système de santé à deux vitesses. Ce n’est pas à notre avantage. Ce n’est pas à l’avantage de personne.»
David Rheault était aux côtés de son chef lorsque Jean Charest a réhabilité l’intouchable universalité du système de santé. Nous l’avons joint le lendemain, histoire de lui laisser le temps de bien digérer les paroles du chef. Le discours sur la proposition 6-f était soudainement plus modéré.
Si, en plénière, cette proposition était un remède miracle qui allait aussi profiter aux miséreux, lundi, elle n’était plus qu’une solution de dernier recours. «C’est seulement si le gouvernement ne veut vraiment pas mettre plus d’argent dans le système. Dans ce cas, et seulement dans ce cas, on pourrait envisager une telle solution. Le temps de réduire les listes d’attente.»
Ce n’est pas ce que nous avons entendu dans les débats de samedi, et ce n’est pas ce qui est écrit dans le texte de la proposition non plus. «Non, mais c’était dans l’esprit», tranche monsieur le président.
Un brin devin, Éric Mongelard, de Mont-Royal, avait prévu, vingt-quatre heures avant les déclarations de Jean Charest, le sort réservé à la proposition 6-f. «Rappelons-nous, il y a cinq ans, quand la Commission Jeunesse avait voté en faveur du ticket modérateur. La résolution avait été rejetée par les seniors plus tard. Ce sera la même chose.»
Un pas en arrière, un pas en avant
La proposition 6-f aura eu au moins le mérite de faire paraître Jean Charest comme un compagnon d’armes de Gérald Larose. Jean Charest qui, justement, a bien de la difficulté à se défaire de son image de conservateur…
Mais les jeunes militants ont aussi adopté un train de résolutions sans trop de discussions, favorisant un plus grand soutien aux organismes communautaires; la création de programmes d’employabilité pour les assistés sociaux plus généreux et moins discriminatoires; une baisse du nombre d’élèves dans les classes; l’augmentation substantielle des allocations versées aux familles d’accueil.
Comme ils ont aussi prié pour une réduction des impôts.
À gauche, à droite, à gauche…
Mais c’est la proposition 6, celle concernant le système de santé, et en particulier son paragraphe f, qui a fait de cet événement un vrai congrès d’orientation, pas un simple abattoir de propositions.
Le débat sur la 6-f a duré une bonne heure, et ce n’est qu’à la toute fin, quand le président David Rheault a pris le micro, que le vent a tourné. «Dès lors, on a su qu’il venait de gagner son vote, croit François J. Vain. Parce que lorsque le président parle, ça emballe les congressistes. On aurait intérêt à débattre un peu plus en profondeur.»
L’une des régions les plus opposées à la proposition 6-f est celle de Joliette. Et ce n’est pas un hasard: la région de Lanaudière est l’une des plus mal pourvues en matière de services de santé. La crise du système de santé, aiguë ailleurs, atteint une forme de paroxysme au pays du tabac et des poulets. La sensibilité relativement au sujet est extrême. «Toutes les avenues n’ont pas été explorées. Le débat a été escamoté», déplore à son tour Caroline Gamache, déléguée de Joliette.