«C’est loin d’être la politique que le Conseil permanent de la jeunesse (CPJ) demandait… On ne veut pas une politique bâclée.»
La présidente du seul organisme gouvernemental dirigé par des jeunes, Clairandrée Cauchy, n’en revient tout simplement pas. Depuis 10 ans, les benjamins de la société québécoise réclament des engagements fermes et ils n’ont droit qu’à des généralités. «C’est facile de dire qu’on pense à nous. Mais là, ce qu’on veut, c’est le mécanisme qui y oblige.»
Au nombre des irritants du projet du ministre Legault, on compte les orientations qui guideront les pouvoirs publics pour les prochaines années, voire décennies. Il y en a quatre: engager la société dans une culture de la relève; développer un sentiment d’appartenance; mettre en place les conditions favorables au développement de la personne et préparer à la vie professionnelle.
«Il faut mettre du piquant… s’assurer que la politique jeunesse ait des dents.» Vous aurez compris que Mme Cauchy s’attendait à des objectifs un peu plus palpables. «Il faut que ça veuille dire quelque chose. Il manque le concret… Ça ne va pas très loin, surtout au niveau des mécanismes de suivi.»
Le piquant dont discourt Mme Cauchy, c’est, entre autres, la nomination d’un représentant jeunesse au sein de tous les ministères et la création d’un comité interministériel qui étudierait les projets de loi selon «l’angle jeunesse» comme cela se fait, par exemple, pour les femmes. Elle ne manquera pas de le dire à M. Legault.
Le vice-président de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), Éric Dion, soulèvera également «quelques différends» lors de l’examen public du projet. «Il faut espérer qu’il le voit comme un document de consultation sans le voir comme une politique.»
«C’est difficile de voir où ils s’en vont… Les orientations, ce sont de beaux grands termes. Des fois, on se demande ce que ça veut dire. À nos yeux, il y a des choses importantes qui ne sont pas là. Au minimum, on doit avir des objectifs précis.»
Mais, malgré tous les espoirs qu’il fonde en cette entreprise, M. Dion craint que le gouvernement Bouchard leur mette des bâtons dans les roues. C’est qu’une politique forçant les élus à considérer les besoins des jeunes aurait des impacts pécuniaires et administratifs pour tous les ministères. «Ce n’est pas nécessairement M. Legault qui peut décider ce qui s’y retrouve… Il est pris en sandwich.» D’un côté, ceux qui entament leur vie et voudraient un coup de pouce, de l’autre, nos députés qui trouvent cela un peu trop contraignant. «On a du pain sur la planche.»
Même désarroi au Comité national des jeunes de la CSN. Pour le président, Éric Morin, les orientations doivent prendre le chemin de la poubelle. Rien de moins. «On ne peut pas avancer avec ça… Je trouve cela absolument désolant. On ne veut pas que la politique soit une grande déclaration qui ne veut rien dire.»
M. Morin rêve du jour où les ministères se concerteront pour que les programmes touchant les jeunes soient «arrimés». Du jour où les jeunes qui se démènent pour travailler, quitte à mener deux emplois précaires de front, puissent se sentir épaulés. Mais, pour y arriver, il faudrait un document plus explicite, étoffé.
Pas très excitant
Chez Force jeunesse, le désenchantement est tel qu’on se questionne maintenant sur la pertinence même d’un tel projet, vide de sens. «Il ne faut pas s’exciter trop trop à la vue de ça. La politique jeunesse, ça n’excite pas grand monde [dans notre mouvement]», lance le président, Martin Koskinen.
«On n’est pas contre le fait de produire une politique jeunesse. Mais, on est déçu que pour les décideurs, la préoccupation jeunesse, ce ne soit pas intrinsèque… Au Québec, c’est rendu qu’il faut écrire noir sur blanc qu’on se préoccupe des jeunes!» Est-ce que ça va avoir un impact réel sur la société, sur l’État? «Il ne faut pas penser que ça va être la solution aux problèmes que vivent les jeunes.»
Pour M. Koskinen, il y a des roblématiques tangibles qui méritent plus d’attention que le projet Legault. Pourquoi y a-t-il encore si peu de jeunes dans l’appareil étatique? Pourquoi la refonte de la loi sur les normes du travail est toujours reportée? Pourquoi le salaire minimum n’a pas été augmenté? La réforme municipale, qui va payer pour? Etc.
Bien qu’il soit complètement désabusé, désillusionné, M. Koskinen souhaite que la politique voit le jour. Mais en observant le gouvernement retourner en consultation même si tout a été dit au Sommet de la jeunesse, il craint que l’échéancier ne soit étiré. «On doit accélérer le processus. Je ne voudrais pas qu’on adopte la politique jeunesse quand je ne serai plus jeune!»
Des appréhensions partagées par une travailleuse communautaire du Regroupement des organismes communautaires autonomes jeunesse du Québec (ROCAJQ), Isabelle Gauthier. «On est peut-être un peu pessimiste», admet-elle. Mais quand on travaille avec les plus démunis et qu’on a l’impression de ne pas être entendu, difficile de penser autrement. Surtout quand on a les mêmes revendications depuis 10 ans, note-t-elle.
«On n’a pas énormément d’espoir devant les consultations. On sent qu’on a déjà tout dit au Sommet. On n’a pas été écouté la première fois. La politique ne prend pas en compte ce qu’on y a dit. Encore une fois, on ne pense pas à l’action.»
Évidemment, devant la montée de la contestation, la Commission jeunesse du Parti libéral du Québec ne pouvait se taire. «On était à l’étape des choix et on ne les a pas encore faits… Les jeunes, ce qu’ils veulent, c’est des résultats, proteste la présidente, Isabelle Merezzi. C’est général. Des valeurs, des grands principes… On était en droit de s’attendre à plus que ça.»
Mme Merizzi perçoit dans l’attitude gouvernementale une tactique visant à gagner du temps. Des consultations à l’automne, un projet en février, un comité d’étude au printemps, etc. La vraie politique n’est pas encore à l’horizon. Et on ne parle pas d’un plan d’action.
Sonvis-à-vis fraîchement élu du Comité national des jeunes du Parti québécois, Jonathan Valois, n’entend pas de réelle grogne sur l’avant-projet en tant que tel. «C’est sur les mécanismes de suivi qu’il va y avoir de bonnes discussions.»
M. Valois croit que les jeunes libéraux s’isolent en affirmant que les consultations ne serviront à rien. Lui préfère être questionné à nouveau plutôt que de se faire imposer des mesures. Il invite d’ailleurs tous les jeunes à se faire entendre. Quant aux péquistes de l’aile jeunesse, ils seront bientôt réunis dans un camp afin d’être formés et de «bâtir leurs grands "enlignements"».
Déceptions en vue
Tous les groupements de jeunes qui espèrent que le gouvernement Bouchard bonifiera le projet de politique jeunesse en y incluant des mesures concrètes risquent d’éprouver bien des déceptions. Dans le document disponible sur le site Internet du Québec www.gouv.qc.ca on inscrit clairement que la politique «a un caractère général» et qu’elle débouchera ultérieurement sur des actions.
Comme l’explique la directrice du Secrétariat à la jeunesse, Andrée Bernard, l’avant-projet «est un document d’orientation, un document qui amène la réflexion sur ce qui doit être "priorisé"». Avant de penser à la mise en oeuvre, il faut établir les grands principes.
En l’absence du ministre d’État à l’Éducation et à la Jeunesse, François Legault, son attaché de presse, Martin Saint-Louis, précise «qu’une politique n’est pas une liste de mesures». Le débat ne sera donc pas clos et les désaccords État-jeunes alimenteront encore les discussions, même après l’accouchement du controversé document.