Société

La côte du Palais : Vices et verrues

Des voisins qui s’en fichent, un promoteur gourmand, une administration municipale quasi impuissante. En face de l’Hôtel-Dieu, les immeubles abandonnés de la côte du Palais risquent de défigurer le Vieux-Québec pour encore longtemps.Les immeubles abandonnés de la côte du Palais pourraient enfin être rénovés après 35 ans de délabrement si on en croit la Ville. Dès lors, toute la rue serait revitalisée, métamorphosée. Mais, parce qu’il y a toujours un mais, l’Hôtel-Dieu, qui est pressenti pour l’achat des cinq bâtisses, ne veut rien savoir et le propriétaire-promoteur, Jean Campeau, n’est pas au courant du projet!Conseiller municipal responsable du développement économique, Claude Larose en a marre des tergiversations des acteurs dans ce dossier. Pour lui, il est plus que temps que le «cancer» du Vieux-Québec soit traité. Et il a une solution à la problématique dont personne n’est venu à bout depuis belle lurette.L’Hôtel-Dieu a récemment obtenu une subvention d’un peu plus de 16 millions $ pour la construction d’un centre de recherche en oncologie juste derrière les édifices en question sis devant l’hôpital. «On souhaite qu’ils intègrent [les maisons] au nouveau centre», affirme M. Larose, croyant avoir finalement déniché le sauveur. En fait, il espère tout simplement que l’hôpital rachète ce qu’il avait vendu un dollar à M. Campeau il n’y a que quelques années. Des chambres pour les malades ou leurs familles y seraient aménagées.Le conseiller municipal du Vieux-Québec, André Marier, souhaite aussi que les visées de la Ville soient considérées avec grand intérêt par l’Hôtel-Dieu. «On est devant une espèce de cul-de-sac», estime-t-il. Le temps serait venu de régler définitivement les problèmes du secteur et de le revaloriser.Mais, malgré tous les espoirs que fonde la Ville dans cette nouvelle hypothèse, on semble bien loin du jour où les ouvriers s’affaireront sur le chantier. Même si la direction générale de Québec et le Centre de développement économique et urbain (CDÉU) sont de la partie et affirment que les responsables du nouveau centre de recherche ont été contactés, peu des experts impliqués ont vraiment eu vent du dessein et, en plus, ils ne démontrent aucun intérêt pour celui-ci.«On ne peut pas changer nos plans – On a un projet qui ne changera pas», lance le directeur des services techniques de l’hôpital, Gilles Landry. Pour lui, il n’est aucunement question d’hypothéquer son entreprise pour revitaliser la côte du Palais. «On ne veut pas mettre notre projet en péril_ On a une enveloppe fermée et on n’en dérogera pas», ajoute-t-il, comme pour s’assurer d’être bien compris.Avis partagé par son collègue et directeur scientifique, Luc Bélanger. «[La côte du Palais], ce n’est pas une de mes préoccupations», note-t-il, ajoutant qu’il n’a jamais entendu parler des voux de la municipalité. Pas question, donc, de modifier l’échéancier des travaux pour intégrer les immeubles de M. Campeau comme le désire la Ville.La porte-parole du CHUQ, Suzanne Lachance, en remet. Le pavillon de l’Hôtel-Dieu n’a même pas besoin d’un centre d’hôtellerie pour les malades et leurs proches. «On a déjà ce service.»Et, comme si ce n’était pas assez, le Comité des citoyens du Vieux-Québec ne donnera son appui à un projet que s’il est conforme au zonage actuel. Des logements devront donc y être aménagés, sans quoi la présidente, Christine Gosselin, protestera haut et fort. «On veut une place pour l’habitation», clame-t-elle. En attendant, elle préférerait que les immeubles soient démolis, que «cette grosse verrue noire» disparaisse, et que l’on aménage un parc plutôt que de les laisser à l’abandon pour quelques années encore.

Douche froide
Une douche froide pour les autorités municipales qui semblaient fonder beaucoup d’espoir dans ce nouveau scénario de développement. Le directeur du CDÉU, Réal Charest, reconnaît qu’il s’agit d’un dossier chaud et qu’il faudra trouver d’autres solutions si celle-ci n’est pas acceptée par l’Hôtel-Dieu.M. Charest juge qu’il est plus que temps que le dossier débloque. «On vise à développer la côte du Palais_ Nous attendons que ces immeubles soient rénovés», explique-t-il. Les trottoirs et l’éclairage, entre autres, seraient alors harmonisés avec ceux de la rue Saint-Jean. Et si ce n’est pas avec M. Campeau que la Ville trouvera un terrain d’entente, ce sera avec un autre promoteur qui se manifestera bientôt, espère-t-il.Claude Larose abonde dans le même sens. «[Si M. Campeau] ne voulait pas les développer, il n’avait qu’à ne pas les acheter», fait-il valoir. Selon lui, les 1,5 million $ de subvention qui ont été offerts au propriétaire suffiraient amplement. Mais M. Campeau réclamerait entre 2,2 et 2,7 millions $.Des affirmations qui font sursauter l’associée et conjointe du promoteur, Geneviève Marcon, qui n’a jamais été informée des manouvres de la Ville. «On était même prêts à faire un hôtel avec beaucoup moins.» Elle croit, d’ailleurs, que seul un projet d’hôtel pourrait maintenant être viable à cet emplacement. Elle indique que des logements auraient pu être construits avant l’annonce de l’érection du centre de recherche. Elle se demande maintenant qui voudrait habiter dans des appartements dont la vue arrière est un mur de béton de cinq étages.Mme Marcon s’interroge également sur les visées réelles de la Ville. Pourquoi avoir mis tant d’énergie pour essayer de refiler les immeubles à l’Hôtel-Dieu? Peut-être parce que les subventions à verser auraient été moindres, croit-elle. Vérification faite, c’est un million $ en subvention que la Ville versera au centre de recherche, qu’il se porte acquéreur des bâtiments ou non.Quoi qu’il en soit, le bras de fer qui oppose M. Campeau et Mme Marcon à la Ville semble loin d’être terminé. Mme Marcon affirme que la municipalité «a ses torts» et qu’elle fait preuve de mauvaise foi.Les cinq immeubles sont maintenant en vente. On en demande environ 500 000 $. Un peu plus que le dollar payé. Mais Mme Marcon rappelle que tout est négociable. Néanmoins, les acheteurs potentiels ne se bousculent pas aux portes des promoteurs, aucune offre n’ayant été faite à ce jour. Et Mme Marcon assure que son conjoint veut encore aller de l’avant et rajeunir les édifices. «On n’est pas des spéculateurs, notre métier, c’est de développer», soutient-elle.