Société

La semaine des 4 jeudis : Day by Day

Les antécédents politiques du nouveau chef de l’opposition fédérale ont donné lieu, depuis deux semaines, à une avalanche de commentaires dans ces sections des quotidiens qu’on ne lit plus qu’en vase clos, entre journalistes et ministres comme entre gendarmes et voleurs, sur les bancs des parlements.

Ainsi, au lendemain de son investiture, Stockwell Day était déjà considéré comme trop à droite pour avoir une quelconque chance de mener son Alliance canadienne à la victoire. «Il ne plaira pas aux Québécois. Peu aux Ontariens. Rien à faire», pronostique-t-on dans les salles de presse. Voilà déjà le jeune chef condamné pour 100 ans aux tristes tourments de l’opposition: 150 000 piastres et une résidence gratuite de trois millions – en vertu de convictions politiques surannées. Raciste, homophobe, provie, capitaliste sauvage et vieux facho. La description a beau ressembler aux trois quarts des politiciens d’Amérique, elle lui sied mal à première vue. Quelle surprise quand on le voit de constater que le monstre ressemble à Tintin en Californie, bronzé et tout sourire.

Prônant les libertés individuelles comme ces Américains qui entourent leur propriété de clôtures électrifiées, Stockwell a vite rétorqué que «quelles que soient [ses] opinions politiques, ses électeurs ne sont en aucune manière tenus d’avoir les mêmes».

Ai-je bien entendu?

Mais alors, pourquoi voter pour lui? Eh bien justement parce que le chef de l’Alliance est en faveur des libertés. Et quelles libertés s’est-il trouvées à défendre! Liberté des provinces de se distinguer de l’ensemble canadien et vote libre pour tous les élus du parlement.

De grands idéaux.

La première mesure provoquerait la lente balkanisation de son propre pays, et l’autre, le vote libre, entraînerait la criminalisation de l’avortement et le retour de la peine de mort.

Revenons aux critiques principales. Monsieur Day est si à droite qu’il n’est pas premier-ministrable?

Qu’à cela ne tienne, Stockwell penchera un petit peu vers la gauche.

Tout juste après le premier tour d’investiture de l’Alliance, l’homme a immédiatement, de vive voix, rassuré les Canadiens à faible revenu. «Avec moi, les programmes sociaux ne disparaîtront pas. Avec moi le gouvernement sera responsable.»

On soupçonne monsieur Day de francophobie, de racisme? Allons donc!

Qu’à cela ne tienne, il prend un p’tit cours de langue seconde dans une région bucolique du Québec. Et le voilà plein de délicates attentions à l’endroit de notre peuple fondateur. Imagine-t-on, par exemple, Jean Chrétien souhaiter bonne fête nationale aux Québécois lors d’un discours télévisé? On le soupçonnerait d’antisémitisme qu’il s’empresserait de porter la kippa et les papillottes comme Rabbi Jacob.

La droite se fait tirer l’oreille? L’Alliance canadienne n’aura-t-elle d’alliance que le nom? Qu’à cela ne tienne. Hop! En pleine cour amoureuse avec les conservateurs d’Uncle Joe, échangez votre partenaire comme dans ces danses western de l’Ouest. Et courtisez un brin le Bloc québécois jusqu’à ce que quelqu’un crie au sacrilège.

C’est gros gros gros tout ça. Gros comme l’avant-bras de Popeye, flagrant comme une poutre dans un oeil.

Dans le monde de la musique populaire, qui est parfois un art, souvent une industrie, il n’est pas rare d’entendre une vedette en crise de lucidité s’exclamer: «You’re only good as your last hit!» Manière bien américaine de dire, d’abord qu’on ne vaut jamais plus cher que son dernier succès au palmarès et, surtout, que le public a la mémoire si courte que, peu importe vos antécédents, vous n’êtes jugé, apprécié et finalement coté qu’en fonction du présent immédiat. Il en va de même en politique.

Alors, à quoi bon couper les cheveux en quatre. Analyser les tendances lourdes de l’Alliance qui, d’ici les élections, ne seront rien d’autre que l’art de naviguer entre deux rives avec le sondage pour gouvernail et l’opportunisme comme moteur, Day by Day.

Ceci dit, monsieur Stockwell n’aura peut-être pas à virer le capot jusqu’à la doublure.

Ceux qui pensent que ses idées rétrogrades ne dépasseront pas le blé des prairies se font une bien haute idée du taux de tolérance canadien. Ils ont peut-être oublié que le très progressiste Mike Harris est toujours premier ministre de l’Ontario et que le centre-gauche québécois qui se dissocie complètement de la politique canadienne en votant pour le Bloc laisse le champ libre aux bigots et fanatiques du reste du pays. Une réalité politique que Jean Chrétien voudra sans doute rappeler aux Québécois en temps et lieu, en se faisant le champion de l’État providence. Et retour à la case départ.