Le day trading : La Bourse et la vie
Société

Le day trading : La Bourse et la vie

Phénomène relativement nouveau, le day trading (la spéculation à très court terme via Internet) est en train de devenir la loto de l’an 2000. Un gros casino, que personne ne contrôle, et qui risque de bousiller le système boursier…

Mark Barton, un homme d’une quarantaine d’années, a abattu douze personnes en juillet dernier, à Atlanta.
Dans les jours précédants le carnage, Barton avait essuyé des pertes de 105 000 dollars. Ce qui, selon les policiers de l’endroit, l’aurait motivé à entreprendre pareil raid meurtrier et revanchard.

Comment perdre une telle somme? Barton était un adepte du day trading.

Le phénomène est tellement nouveau au Québec que personne n’a encore eu le temps de lui trouver un équivalent en français. On pourrait appeler ça du «boursicotage extrême».

Le day trading, c’est de la spéculation sur des titres boursiers à très court terme, une affaire de quelques minutes, en pariant sur le comportement des investisseurs dans certaines circonstances.

Bref, la loi des probabilités des jeux de hasard est ici remplacée par la nature humaine. Parfois, c’est une question de minutes entre l’achat et la vente d’une action, misant sur l’extrême volatilité du cours de certaines actions, quand, par exemple, la compagnie visée est sur le point de faire l’annonce d’intérêts financiers. Ce qui est considéré comme de la folie pure dans le milieu du courtage.

Les day traders se sont considérablement multipliés depuis qu’Internet permet les opérations boursières presque en direct et depuis l’apparition de Bourses électroniques. En fait, sans les outils d’aujourd’hui – ordinateurs puissants, réseaux ultrarapides -, le day trading est pratiquement impossible.

Une activité illégale
Pour le moment, le phénomène touche surtout les États-Unis et peu le Canada. La raison en est fort simple: le day trading est en pratique illégal ici, contrairement aux États-Unis où les particuliers peuvent avoir accès à certaines Bourses électroniques. Au Canada, seuls les courtiers en valeurs mobilières, dans l’exercice de leurs fonctions, peuvent échanger à la Bourse.

N’empêche, certains Québécois s’y prêtent par l’entremise de bureaux qui offrent la quincaillerie informatique nécessaire à une telle pratique. Ils achètent des actions américaines, sur des parquets américains, en dollars américains, à partir d’un ordinateur de Montréal.

À la Commission des valeurs mobilières du Québec (CVMQ), l’organisme gouvernemental chargé de faire respecter la loi dans l’industrie du courtage, on ignore l’existence de tels bureaux à Montréal, même si certains courtiers, sous le couvert de l’anonymat, jurent de leur présence. Le day trading est aussi tabou à Montréal aujourd’hui que les barbottes à l’époque de Pacifique Plante et du procureur Jean Drapeau… «Nous avons bien eu quelques demandes pour ouvrir de tels bureaux à Montréal, mais nous n’avons rien autorisé encore, dit Denis Dubé, porte-parole de la CVMQ. S’il y en a déjà, ils devront obtenir les autorisations.»

Que les day traders se le tiennent pour dit!

Un très gros casino
«La Bourse, c’est le plus grand casino du monde», affirme Edward Looney, dont l’organisme d’aide aux joueurs compulsifs qu’il préside, le Council on Compulsive Gambling of New Jersey (CCGNJ), a noté une nette remontée de la spéculation compulsive depuis l’apparition du day trading.

Situé dans la région de New York, capitale du day trading, le CCGNJ affirme que depuis quelques mois, son organisme est inondé d’appels de gens lessivés par le jeu de la Bourse en ligne.

En fait, depuis que le boursicotage en ligne est apparu – permettant d’effectuer des transactions gigantesques en moins de temps qu’il n’en faut pour y réfléchir -, c’est l’explosion. Vingt pour cent des joueurs compulsifs auraient maintenant la Bourse comme principale table de jeu.

Chez les Gambleurs Anonymes de Montréal, on reçoit aussi des spéculateurs compulsifs. Mais on ne ventile pas les statistiques afin de les dénombrer. Un gambleur, c’est un gambleur, peu importe l’objet de son obsession. Mais l’arrivée du day trading inquiète. «Plus ça va vite pour le spéculateur compulsif, plus c’est intéressant pour lui. Mais aussi, plus c’est dangereux.»

En fait, le day trading est plus pernicieux que le casino. Au casino, quand vous êtes lavé, vous êtes lavé – à moins, bien sûr, d’aller contracter un prêt chez le mafieux du coin.

Mais dans les entreprises offrant le service de day trading, on vous avance les sommes nécessaires à votre appétit quand vos fonds s’avèrent insuffisants, même si, dans ces circonstances, la prudence aurait été de mise.

Une pratique qui a secoué la morale de l’industrie du courtage. Comme l’absence de supervision des transactions, l’absence d’information quant aux risques financiers associés à la spéculation sur le très court terme, etc.

Ce n’est pas demain la veille que la CVMQ va autoriser le day trading au Québec. Il inquiète trop, faute d’un encadrement légal défini, et difficile à définir du reste, puisque l’action même de «day trading» va à l’encontre des règles les plus élémentaires du courtage de valeurs mobilières.

La Régie des loteries et courses serait-elle plus apte à légiférer? C’est ce qu’on serait porté à croire depuis que la pratique s’est fait particulièrement varloper dans un rapport d’enquête déposé au début du mois.

Selon l’enquête de la North American Securities Association, qui regroupe toutes les autorités en valeurs mobilières du continent (dont celle du Québec), 70 % des day traders se sont fait littéralement plumer.

En fait, seulement 11 % des day traders réalisent des bénéfices dignes de ce nom. Des statistiques qui se rapprochent de celles des meilleurs casinos du monde.

Le déclin de l’empire boursier
L’enquête aura permis toutefois de remettre les pendules à l’heure: pas de panique, le phénomène n’est pas encore très répandu, contrairement à la rumeur populaire dans le milieu. La NASAA estime le nombre de day traders à tout au plus cinq mille. Soixante-deux entreprises offrent des services de day trading aux spéculateurs compulsifs, la plupart ayant pignon sur Web, et totalisant deux cent quatre-vingt-six bureaux locaux.

Mais pour les autorités, ce n’est pas une raison de dormir sur le piton. À défaut de pouvoir éradiquer le day trading, il faudra au moins mieux l’encadrer, et vite! Les risques liés à cette pratique ne touchent pas seulement ceux qui s’y adonnent, mais tout le monde. «L’effet d’une spéculation trop importante peut avoir un impact négatif sur le cours des Bourses», affirme Denis Dubé, de la CVMQ.

Par exemple, quelques individus misant sur la chute d’un titre, pourraient acculer à la faillite une entreprise autrement saine. C’est aussi par ce jeu de la spéculation sans vergogne qu’un jeune courtier britannique à l’emploi de la banque Barings, Nick Leeson, a fait tomber une institution financière qui avait résisté à plusieurs révolutions, deux guerres mondiales, deux krachs boursiers et d’innombrables récessions. Mais elle n’a pu survivre au spéculateur compulsif qu’était Nick Leeson.

La CVMQ, comme la NASAA, rappelle qu’on ne devient riche à la Bourse que très lentement. Mais ils auront fort à faire pour convaincre leurs ouailles, quand des dizaines de livres sur le sujet sont publiés chaque année pour affirmer le contraire. Marc Friedfertig, coauteur d’un best-seller sur la question (The Electronic Day Trader), prend trois cents pages pour démontrer que ce type de spéculation peut s’avérer très lucratif.
Pour un autre, Mark Etzkom, le day trading est «un jeu unique en son genre».

Faites vos jeux, rien ne va plus!