Société

La police

Personnel policier permanent: 444
Personnel policier temporaire: +/- 40
Personnel civil: 102
Constables: 68,5 % des effectifs
Hommes: 89,6 %
Ancienneté moyenne: 14,64 ans
Âge moyen: 38,76 ans
Tranche d’âge dominante: 25-29 ans = 23 %
Budget: 33 619 290 $
Population desservie: 270 281
Coût par habitant: 124,39 $
Nombre de policiers par 1000 habitants: 1,64

* Données de 1998
Le motard
Les policiers à moto de la Sûreté municipale de Québec (SM) forment une classe à part, une confrérie dans la confrérie réservée à quelques rares élus et soudée à l’extrême.

Sur 444 policiers, seuls une dizaine peuvent devenir motards. «Les autres policiers nous envient», assure un ancien du service, Stephen Lessard. Cette division est réservée aux maniaques des deux roues. «Les gars qui "viennent" aux motos, ce sont ceux qui en ont une et qui ont déjà une passion pour ça», explique-t-il.

Les motards de la SM forment une bande de privilégiés qui ont priorité sur tous les autres policiers au garage lorsque leurs bolides sont accidentés, explique M. Lessard indiquant qu’il s’agit d’un avantage certain. Ils sont tellement fous de leurs motos que si une pièce brise, ils en font un trophée.

Obsédé des «bicycles à moteur», M. Lessard est le parfait exemple du type de policiers qui accèdent à cette clique. Que ce soit lors de ses temps libres, pour se rendre au boulot ou lors de ses quarts de travail, il se déplace presque uniquement à moto. Puisqu’il fait partie des cinq motards cumulant le plus d’ancienneté, il troque, lors de la saison froide, la route pour les sentiers de motoneige histoire de rester dans le même domaine. Seuls un orage torrentiel ou une tempête de neige monstre peuvent le ramener à la voiture.

À 46 ans, il est un des plus vieux du service. Il cumule 28 années au sein de la SM dont les deux dernières passées sur sa monture, une Harley-Davidson 1400cc spécialement fabriquée pour les policiers.

Homme dans un monde d’hommes, il a récemment été confronté à une véritable révolution: pour la première fois depuis 1938, une femme s’est jointe au club sélect des motards. Choc, bouleversement monstre dans la famille Testostérone? Selon M. Lessard, tous se sont adaptés à cette intruse et l’intégration fut finalement plus facile que ne l’avaient appréhendé ses collègues. Ils ont constaté qu’une fille peut manier un bolide de 750 livres aussi bien que ses collègues.

Répression
Que font les motards de leurs journées? «On s’occupe uniquement de la sécurité routière», explique laconiquement M. Lessard. Et ils en voient de toutes les couleurs. «Les gens ne font pas attention sur les routes.» Si bien qu’il croit que les forces policières devront adopter une attitude de plus en plus répressive à ce chapitre au cours des prochaines années, à moins d’un revirement de situation fort improbable.

En fait, les automobilistes inconscients font tellement de manoeuvres illégales que M. Lessard en est venu à se considérer comme une espèce de père de famille surveillant sa progéniture. Mais pas question de poursuivre indéfiniment ses «enfants» sur les routes pour leur faire entendre raison. M. Lessard ne veut plus courir de risque. En 75, lors d’un premier séjour chez les motards, il a été victime d’un grave accident au cours d’une poursuite endiablée. Il se contente donc maintenant de relever tranquillement le numéro d’immatriculation des véhicules des contrevenants et de faire poster les amendes.

Il semble néanmoins que la tâche la plus difficile à laquelle M. Lessard puisse être confronté soit l’escorte des dignitaires lors de visites diplomatiques. «Ils doivent se déplacer le plus vite possible entre le point A et le point B. On n’arrête jamais», explique-t-il. Il se souvient très bien, entre autres, du cirque que provoqua la venue du premier ministre français, Lionel Jospin, lorsque son cortège fut confronté à plusieurs reprises à des automobilistes réticents à céder le passage.

On s’en doute, ce n’est pas ce genre d’obstacles qui détournera M. Lessard de sa moto. À l’aube de la retraite, il apprécie bien trop sa liberté pour vouloir retourner à la patrouille en voiture.

Le vieux
«[En 71, quand j’ai commencé], tout se réglait à coups de poing. Maintenant, il faut presque mettre des gants blancs!»

Vieux de la veille cumulant 29 ans de service au sein de la Sûreté municipale de Québec, Rénald Bastonnais a vu les méthodes de travail policières complètement chambardées au cours des années. Il se souvient de ses débuts comme d’une période pro-policière durant laquelle les agents de la paix avaient tous les droits. «Avant, on était blindé. Aujourd’hui, ce n’est pas la même affaire», dit-il avec un franc parler surprenant

À l’aube de sa carrière, M. Bastonnais en a vu et fait des vertes et des pas mûres. À l’époque, le quartier Saint-Roch était sous la férule de la «petite pègre de Québec». C’était les débuts des bandes de motards criminalisées dans la capitale et les années de règne des bandes du Damier Rose et autres commerces du secteur.

M. Bastonnais classe parmi ses plus hauts faits d’armes l’opération Vadrouille. Encore à ses premiers balbutiements dans le métier, il avait été affecté, avec quelques confrères en civil, au «nettoyage» du mail Saint-Roch. Ils ont mis un mois et demi à «vider» la place des voleurs, prostituées, revendeurs de drogue…

Mais tout cela semble appartenir au passé. Aux dires de M. Bastonnais les méthodes de travail ont grandement évolué. Les policiers ne peuvent plus employer la force, du moins pas ce qui peut devenir qualifiable de force excessive. Et la brutalité policière, un mythe? «Je ne dis pas que ça n’existe pas mais c’est isolé», soutient-il. La population ayant maintenant «le gros bout du bâton», les policiers seraient tenus de rester sur leur garde. Peut-être trop, au goût du policier Bastonnais: «C’est l’effet du balancier. Il faudra trouver un juste milieu», estime-t-il.

Toutefois, les policiers ne sont pas les seuls à changer. Selon lui, les criminels seraient maintenant devenus bien plus dangereux. Couteaux et armes à feu proliféreraient entre les mains des criminels alors qu’auparavant, tous réglaient leurs «différents» à mains nues, seulement à mains nues. Un nouveau rapport de forces qui place parfois les policiers dans des situations dangereuses, selon le patrouilleur.

L’arrivée des femmes
M. Bastonnais a également vécu l’arrivée des premières femmes policières. Une étape de l’évolution du corps de police de Québec qui ne s’est pas faite sans heurt. «Ça a amené beaucoup de chicanes de ménage», se souvient-il avec un petit sourire. Plusieurs divorces ont été causés par ce nouvel état de faits. Des divorces qui furent souvent suivis de remariages à l’interne!

La police communautaire
L’échec cuisant de la police communautaire fait tout autant sourire M. Bastonnais. Selon lui, les dirigeants des forces de l’ordre se compliquent la vie inutilement. Pour que les tentatives de rapprochement avec la population fonctionnent, il faudrait tout simplement ajouter des effectifs afin de revenir à la situation qu’il a connue à ses débuts. «Ce qu’on faisait en 71, c’était exactement de la police communautaire. Qu’ils mettent le nom qu’ils voudront là-dessus ça reste la même chose», juge-t-il.

La solution résiderait donc dans l’embauche de policiers. Ceux-ci étant toujours affectés aux mêmes secteurs, ils pourraient renouer des liens avec résidants et commerçants.

Actuellement, la police communautaire serait même nuisible aux troupes, selon M. Bastonnais. «Quand on parle aux commerçants, ce n’est plus naturel, mais bien parce que c’est commandé», commente-t-il. Et, comme le nombre d’agents a grandement diminué, les autres policiers en service sont débordés puisqu’ils doivent effectuer les interventions de ceux qui sont retenus par le «communautaire».

Dur pour les nerfs
À un peu plus d’un an de la retraite, l’homme de 48 ans pose donc un regard critique sur sa profession et juge que le métier de policier n’est vraiment pas de tout repos. «C’est dur pour le système nerveux. On est toujours dans le négatif. Quand les gens nous appellent, c’est toujours pour des problèmes.»

Des interventions qui vous marquent au fer rouge pour le reste de vos jours, M. Bastonnais en a vécues plusieurs. Il se souvient tout particulièrement de son premier cas de suicide. Deux ans après son arrivée au département, il a trouvé le corps d’un jeune homme de son âge qui s’était enlevé la vie après une peine d’amour.

Une autre fois, il a failli abattre un voleur de banque. Bien qu’il n’ait jamais eu à tirer au cours de sa carrière, cette opération est restée gravée dans sa mémoire comme celle où il est passé le plus près d’abattre un être humain. Alors qu’il patrouillait sur la rue Saint-Jean, il fut averti par un piéton qu’un individu armé braquait la Caisse populaire du coin. le policier ignorait que le suspect avait perdu son arme lors d’une altercation avec le gérant de l’institution. À sa sortie de la caisse, M. Bastonnais lui a pointé son arme entre les yeux et ne s’est retenu qu’en constatant qu’il connaissait le voleur pour avoir picolé dans le même bar que lui à plusieurs reprises.

Ce type d’événements chamboule les policiers. M. Bastonnais croit qu’il est primordial de décompresser par le sport pour ne pas faire de tort à ses proches lorsque la pression est à son paroxysme. «Il y en a plusieurs dont l’état de tension se répercute sur la famille, reconnaît-il. Pour les maris et les épouses, ce n’est pas évident.» Policier: un métier vécu difficilement par tout l’entourage…

La femme
Depuis que les pionnières en ont bavé pour toutes les suivantes, être policière ne serait pas plus difficile que d’être policier.

«Ça a bien changé. Avant, c’était dur de s’intégrer mais, pour moi, ça a très bien été», lance d’emblée Manon Jalbert, une patrouilleuse de 26 ans arrivée il n’y a qu’un peu plus de deux ans à la Sûreté municipale de Québec. Selon elle, cela va de soi à l’aube de l’an 2000. Elle admet néanmoins que certains sont sans doute encore réticents à côtoyer des femmes. «Peut-être qu’il y en a qui le pensent, mais en tout cas ils ne le disent pas.»

Les partys de polices seraient une des bonnes occasions pour les policières de fraterniser avec leurs collègues du sexe opposé et de leur montrer qu’elles ne sont pas si différentes qu’ils le pensent. «C’est important pour tisser des liens, pour maintenir l’esprit d’équipe», ajoute Mme Jalbert indiquant qu’une meilleure compréhension de ses vis-à-vis est gage d’efficacité et d’acceptation.

La jeune Gaspésienne d’origine est également convaincue que le fait d’être une femme l’aide énormément lors de certaines interventions délicates. Justement, le matin de notre rencontre, Mme Jalbert a été retenue puisqu’elle est intervenue auprès d’une femme victime de violence conjugale. Pas toujours facile pour une policière de voir cela, surtout à 8 h le matin… expose-t-elle tout de même.

Depuis son passage au secondaire, Manon Jalbert a toujours voulu devenir policière. Elle aime l’adrénaline que lui procure le stress lors des interventions. «Tu ne sais jamais ce qui va arriver.» L’inconnu serait encore plus fort lors de grandes célébrations publiques, le premier de chaque mois et lors de la venue des Ontariens en hiver. Néanmoins, cela ne lui fait pas peur.

En fait, elle aime assez son métier pour partager son existence avec un conjoint… policier. «Certains trouvent ça spécial», note-t-elle. Pour elle, il s’agit plutôt d’un avantage. Effectuant sensiblement les mêmes tâches, ils peuvent comprendre les humeurs changeantes que provoque le métier. Mais attention. Il n’est pas question de travailler avec lui. Mme Jalbert aime trop son indépendance.

Tirer ou ne pas tirer?
Évidemment, comme tous ses collègues, Mme Jalbert n’échappe pas à l’éternel questionnement sur son pouvoir de tuer. «J’aimerais ne jamais avoir à utiliser mon arme», espère-t-elle, se souvenant d’un individu qu’elle aurait pu abattre. Celui-ci voulait la charcuter avec un couteau, mais l’homme est revenu à la raison lorsqu’elle a dégainé. Ce fut un véritable soulagement pour la jeune recrue qui admet qu’à ce chapitre il lui reste encore beaucoup à apprendre.

Les salaires
Les policiers de la Sûreté du Québec se sont récemment plaints de gagner moins que leurs confrères de Baie-Comeau, qui sont les mieux payés de la province. Est-ce que cela dérange ceux de la Ville de Québec? Aucunement.

«Je n’irais pas travailler là», s’exclame Rénald Bastonnais. Même le stress du travail dans une grande ville reste préférable à l’éloignement.

Avis partagé par Manon Jalbert qui a justement quitté sa Gaspésie natale avant de s’établir ici. La rémunération des agents de Baie-Comeau, soit 58 300 $ pour un patrouilleur au sommet de l’échelle, ne lui inspire pas la convoitise. Avec un salaire qui atteindra 56 800 $ , elle n’a rien à envier non plus aux policiers de la SQ (53 500 $). D’autre part, ayant séjourné durant six mois au sein du corps provincial, elle a appris à détester les mutations arbitraires «n’importe quand» et, surtout, n’importe où.

Stephen Lessard préfère quant à lui se comparer aux employés d’Hydro-Québec ou de Bell qui ont sensiblement les mêmes salaires que les policiers de la capitale. Toutefois, il déplore le fait que les agents de la paix soient beaucoup plus surveillés que les travailleurs des compagnies d’État. «On a déjà été des enfants choyés, mais on ne l’est plus. Maintenant, on marche sur des oeufs tout le temps. On ne prend plus de risques.»

Citoyen(ne)s opposé(e)s à la brutalité policière

Même si les autorités assurent que les éléments nuisibles à la profession ont été éliminés, les policiers ont, comme dans tout corps de métier, leur lot de fauteurs de trouble. C’est pourquoi le comité dénommé Citoyens et citoyennes opposé(e)s à la brutalité policière (COBP) veille au grain.

Depuis maintenant cinq ans, l’organisation née à Montréal recense et documente les situations d’abus de pouvoir dans lesquelles sont impliqués des policiers. Récemment, les membres du COBP ont également ajouté la surveillance directe à leur mandat. Le cop watch permet de recueillir les témoignages des badauds au cours des opérations policières et, ainsi, de faciliter les recours devant le Comité de déontologie.

Aucune adresse fixe, aucun nom, les membres du COBP sont assez paranoïaques (?) pour refuser de dévoiler leur identité respective sur la place publique, explique la jeune femme qui a répondu à notre appel. Comment amasser et diffuser l’information alors? Via un site Internet – facilement trouvable par l’entremise de la Toile du Québec, toile.qc.ca – et une boîte vocale, 514-859-9065.

Sur leur site, on peut obtenir, entre autres, des renseignements sur la Journée internationale contre la brutalité policière (15 mars), le rapport Poitras en entier, les règles à suivre en cas d’arrestation, etc. On y retrouve aussi quelques numéros d’Info-Bavures contenant la description de cas d’abus de pouvoir commis surtout à Montréal mais également un peu partout au Québec et dans la capitale.

Constance
La région, d’ailleurs, est loin d’échapper au phénomène. Dans la grande région 03, le nombre de plaintes déposées chez le Commissaire à la déontologie policière reste constant depuis les sept dernières années. Quelque 120 plaintes y sont acheminées à chaque année, indique le porte-parole, Serge Fortin.
Toutefois, de ce nombre, très peu se retrouveront devant le Comité de déontologie, la conciliation étant maintenant privilégiée. Aucune sanction n’est alors appliquée et le plaignant doit reconnaître qu’il a eu, lui aussi, ses torts.