Société

La rentrée télé

L’époque où l’on salivait devant la programmation des grands réseaux de télé est bel et bien révolue. La concurrence des canaux spécialisés (au Québec, quatre nouvelles chaînes s’ajouteront cette année au bouquet déjà offert), la télé numérique et l’arrivée d’Internet ont transformé les directeurs de programmation des principales chaînes québécoises en êtres frileux, repliés sur des valeurs sûres, question de ne pas faire peur aux annonceurs de plus en plus sollicités.

Le plus récent exemple: aux États-Unis, la chaîne ABC a annulé la toute nouvelle série de David Lynch (Mulholland Drive, qui devait débuter cet automne), et ce, malgré le coût exorbitant du pilote (sept millions de dollars) qu’on disait très bon. Au lendemain de la tragédie de Columbine High (où deux ados ont assassiné leurs collègues de classe), la chaîne a soudainement jugé la série trop noire, trop violente.

Plus près de chez nous, Radio-Canada ressort Les Détecteurs de mensonges des boules à mites, TVA propose l’émission des records Guinness (ah! l’importance de voir un bozo du Wisconsin manger le plus grand nombre de Pogos en une heure…) et TQS programme Une fois c’t’un gars, le milliardième show mettant en vedette des humoristes. Bonjour l’audace et la créativité!
Les réseaux généralistes ont-ils raison de rester figés dans le temps? Chez nos voisins du sud, c’est la panique à bord des gros navires comme ABC, NBC ou CBS. Pendant que les capitaines tentent par tous les moyens d’éviter le naufrage, les petites chaînes cablées attirent des auditoires fort enviables avec des émissions au concept original et surtout, avec des petits budgets qui n’ont rien à voir avec des séries ruineuses comme ER (qui paye certains de ses acteurs jusqu’à un million de dollars par épisode!)

Au Québec, le marché est limité et c’est vrai que, plus souvent qu’autrement, il faut viser le plus petit dénominateur commun pour pouvoir survivre. Mais qui a dit que «petit» était synonyme de «médiocre»?

La preuve: les téléspectateurs délaissent les séries à gros budgets comme Réseaux et Radio (deux séries de qualité discutable payées au gros prix par Radio-Canada), et se tournent vers Virginie et 4 et demi, deux téléromans plus modestes, mais dont la qualité des textes et des interprètes ont séduit le grand public. Il y a des leçons à tirer de ces deux succès. Même chose du côté de Télé-Québec. Il y a un an, notre télé éducative n’était ni plus ni moins que moribonde. En l’espace de quelques mois, elle a pris bien du monde par surprise avec une programmation audacieuse qui n’a pas peur de conjuguer télévision et intelligence dans la même phrase.

Mais tout n’est pas pourri au royaume de la Poule aux oeufs d’or. Armé d’une zapette et d’un bon horaire-télé, tout en se répétant le nouveau mantra du téléspectateur de l’an 2000 («Je suis mon propre directeur de programmation…, Je suis mon pr…»), on devrait pouvoir se bâtir une grille-télé à peu près potable. Voici quelques suggestions.

Les dessous de la presse
Télé-Québec (qui entame l’an deux de l’ère Mario Clément avec un choix exceptionnel de films et de documentaires) propose deux nouvelles émissions qui, à première vue, valent le détour: La Face cachée de la une (jeudi 22 h 30), un magazine hebdomadaire concocté par Pierre Huet (Beau Dommage, Croc) et animé par un tandem prometteur – le caricaturiste Serge Chapleau et la journaliste politique Chantal Hébert – scrutera les dessous de la presse: ses choix, ses bons coups, ses erreurs et son impact. À la rédaction en chef: Benoît Aubin, ex-directeur du Devoir, directeur de l’information défroqué des stations de télé TVA et Global. Bref, une équipe aguerrie qui en a vu d’autres.

Après nous avoir fait découvrir l’étrange Royaume du Danois Lars Von Trier, voilà qu’on nous présente Dream On (mardi 22 h 30), sous-titrée en français. Cette sitcom, produite et réalisée (en partie) par l’Américain John Landis et présentée sur les ondes de HBO il y a quelques années, a fait l’objet d’un véritable culte aux États-Unis. Elle raconte l’histoire de Martin Tupper, éditeur de littérature pseudo-érotique qui a grandi (comme bon nombre de ses contemporains) en écoutant les séries télévisées des années 50 et 60. Résultat, ses références sont presque exclusivement télévisuelles (pensez Papa a raison, I Love Lucy, etc.). En images, cela se traduit par des inserts d’archives en noir et blanc, un procédé pour le moins inusité dans le contexte d’une sitcom. Novateur.

Du côté de Radio-Canada, on s’attend à ce que Jamais sans mon livre (dimanche 15 h) sorte des sentiers battus. Magazine littéraire produit par le duo Charette/Gignac et animé par un trio original composé de l’écrivain Maxime-Olivier Moutier, de la reporter Marie-Louise Arsenault et du chroniqueur-recherchiste-D.J.-critique Sylvain Houde, il a tous les ingrédients pour devenir un incontournable de la rentrée. Les attentes sont élevées.

Au-delà du réel
Fin de siècle oblige, la rentrée 1999 se fera également sous le signe de l’étrange puisque Canal D diffusera (pour la première fois en français) la série culte Twin Peaks (vendredi 22 h), réalisée par David Lynch. À découvrir ou à redécouvrir, selon le cas.

À TVA , qui persiste dans son rôle de télé près du «vrai monde», on attend Fortier (dès janvier 2000) avec beaucoup de curiosité. La nouvelle série de Fabienne Larouche (qui fait ses premiers pas en tant que productrice) mettra en vedette Sophie Lorain (qui coproduit la série) dans le rôle d’une psychologue criminaliste un peu brouillonne appelée à élucider des dossiers impliquant tueurs en série, terroristes et autres beaux specimens du même type. C’est réalisé par deux gars issus du milieu de la pub et on nous promet que «l’argent sera à l’écran». À surveiller.

Etendez-vous…
La série de l’heure est malheureusement la moins accessible de toutes. Aux États-Unis, les critiques sont littéralement à genoux devant The Sopranos. Créée par David Chase et mettant en vedette des acteurs peu connus du grand public (Lorraine Bracco est la principale tête d’affiche), la série raconte les hauts et les bas dans la vie d’un petit mafioso qui, semaine après semaine, traîne son mal de vivre sur le divan d’un psy (là s’arrête la comparaison avec le film Analyze this). Encore une série sur la mafia? Attention, celle-ci est différente: l’intrigue, l’interprétation, et même le générique sont brillantissimes. En nomination pour seize prix Emmy (l’équivalent de nos Gémeaux), The Sopranos n’a qu’un seul défaut: c’est diffusé sur la télé payante (HBO aux États-Unis et The Movie Network au Canada). Eh! Qui a dit que le monde était parfait?

Les gaffes de l’info
Vous cherchez un antidote à la télé trop lisse et sans faille où chaque mot, chaque geste sont contrôlés? Allez sur Internet.

L’an dernier, toujours aux États-Unis, le vidéaste Jed Rosenzweig avait fait trembler le réseau NBC avec des images fort compromettantes de certains gros noms de la station. Équipé d’un «satellite dish», Rosenzweig (il n’est pas le seul à le faire) pouvait intercepter TOUS les signaux d’une chaîne télévisée – ce qui était diffusé en ondes mais, également (et c’est là que ça devient intéressant), ce qui se passait HORS d’ondes. Du genre: un journaliste-vedette qui, juste avant son topo, se demande pendant de longues minutes s’il va lever ou baisser son col d’imperméable. Ou encore, le lecteur de nouvelles de fin de soirée Tom Brokaw qui, ne se sachant pas observé, imite avec un brin de méchanceté son rival Dan Rather. Du bonbon.

Après avoir montré ces images dans le cadre d’une émission diffusée sur le câble, Rosenzweig (fortement «encouragé» par les avocats de NBC, même si la diffusion de telles images n’est pas réglementée aux États-Unis) a fermé boutique et s’est tourné vers le Net. Son site (www.wildfeedtv.com), qui n’est plus alimenté que sporadiquement, vaut quand même le détour. Inutile de dire qu’on rêve d’un équivalent québécois… Bonne rentrée quand même!